Terralaboris asbl

Conséquences d’un congé avec préavis signifié pendant un congé sans solde

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 juin 2015, R.G. n° 2012/AB/53

Mis en ligne le mardi 26 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 30 juin 2015, R.G. n° 2012/AB/53

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 30 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’un licenciement intervenu pendant un congé sans solde, en souligne le caractère manifestement irrégulier dès lors que l’employeur avait considéré que le travailleur ne pouvait prester son préavis vu la suspension du contrat et qu’il n’avait pas droit à l’indemnité correspondante.

Les faits

Un consultant, au service d’IBM, est approché par le directeur général d’une société française aux fins d’accomplir une mission à l’étranger pour le compte de celle-ci. Il obtient dès lors un congé sans solde de son employeur.

L’année suivante, un poste d’encadrement et de développement en Belgique lui est proposé par la société pour laquelle il preste. Un contrat de travail à durée indéterminée est dès lors conclu avec une société de ce groupe. Il a, manifestement, des responsabilités importantes et le chiffre d’affaires ainsi que le personnel travaillant sous sa responsabilité croissent. L’année suivante, à l’expiration de son congé sans solde chez son employeur initial, il lui est demandé par contre de revenir reprendre ses fonctions.

Sur l’insistance de la société où il est alors occupé, il démissionne de son premier poste. L’année suivante, ses responsabilités s’accroissent encore, l’intéressé devenant responsable de la Hollande en plus du territoire belge.

La société connaît ensuite des difficultés et, dans un contexte difficile, est amenée à licencier. Les personnes sous la responsabilité de l’intéressé sont moins nombreuses et ces modifications ont des répercussions sur son propre emploi, son rôle ayant perdu au fil du temps une bonne part de son contenu.

Il tombe alors en incapacité de travail pour quatre semaines et constate à son retour que les fonctions relatives à la Hollande ont été confiées à un nouveau responsable.

Vu l’« obsolescence » de sa fonction, d’autres responsabilités lui sont alors proposées. Dans le même temps, lui est annoncé un bonus exceptionnel, payable dans les quatre ans de l’acquisition de la société par une autre. Malgré ces promesses, l’intéressé, surmené et stressé, demande un congé sans solde.

Une période de suspension du contrat est ainsi acceptée par les parties, pour une période de 9 mois. Les relations contractuelles devant reprendre le 1er janvier 2010.

Un mois après le début de ce congé sans solde, la société rompt le contrat de travail, moyennant un préavis. Ce délai de préavis est supposé prendre cours le 1er du mois qui suit, soit toujours pendant le congé sans solde. L’intéressé s’inquiète rapidement de la chose et se déclare disposé à prester son préavis, proposition qui est déclinée, la société précisant qu’aucune indemnité ne serait versée.

Un litige survient donc et il demande, par la voie de son conseil, le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il fait également valoir le caractère abusif de la rupture.

Outre une action au fond, il saisit le Président du Tribunal du travail de Bruxelles en référés, dans le cadre d’un référé-provision. Par ordonnance du 10 décembre 2009, la Présidente du tribunal lui alloue un montant à valoir de 15.000 €.

Statuant au fond, le tribunal du travail condamne la société à une indemnité compensatoire de préavis de 8 mois par jugement du 25 octobre 2011.

La société interjette appel.

La décision de la cour

La cour tranche en premier lieu la question de la contradiction entre la suspension du contrat (congé sans solde) et la résiliation de celui-ci. Tout en rappelant que les causes interdisant la prise de cours et/ou suspendant l’écoulement du délai de préavis sont celles limitativement énumérées par la loi, la cour considère que le délai de préavis a pris cours lorsqu’il a été notifié par l’employeur et qu’il s’est écoulé normalement, jusqu’à son terme. Elle précise cependant que le problème ne se pose pas là.

En réalité, en notifiant son congé, l’employeur a manifesté sa volonté unilatérale de rompre, ce qui a entraîné la rupture corrélative (la cour souligne) de la convention de suspension. Le congé a dès lors produit un effet juridique immédiat et indivisible en entraînant la rupture du contrat, qui était jusque-là suspendu. La convention de suspension a ainsi subi les effets directs de la manifestation unilatérale de l’employeur, la cour soulignant que l’on ne peut pas continuer à faire produire des effets juridiques à une convention de suspension alors que le contrat lui-même est rompu, et ce quand bien même les effets de cette rupture ne devaient se manifester concrètement qu’en termes de préavis. En empêchant l’intéressé d’exécuter le préavis, la rupture est irrégulière et l’employeur doit une indemnité compensatoire.

Celle-ci est fixée, pour un employé supérieur âgé de 40 ans, exerçant une fonction de direction au niveau du Benelux, percevant une rémunération annuelle supérieure à 81.000 € et ayant une ancienneté de 3 ans, à un délai de 10 mois.

Les circonstances de l’espèce amènent ensuite la cour à examiner longuement la question de l’abus de droit, une indemnité étant réclamée de ce chef.

Elle analyse le comportement de la société, renvoyant à la doctrine (S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WERY, « Chroniques », J.T., 1996, p. 104) sur la fonction modératrice de la bonne foi. En vertu de l’article 1134 du Code civil, la convention est la loi des parties et les clauses de celle-ci constituent des règles inhérentes à la force obligatoire du contrat. La convention de suspension est soumise au Code civil et ses termes sont clairs, la cour les reprenant expressément, vu qu’une date de reprise est décidée, étant le 1er janvier de l’année suivante.

L’objet de la convention est donc de permettre au travailleur de suspendre momentanément ses obligations contractuelles, dont l’exécution du travail, et ce pour lui permettre, à l’issue d’un congé sans solde, de reprendre le travail. L’employeur était ainsi autorisé à ne pas rémunérer le travailleur, mais ce pour ensuite lui permettre de reprendre l’exécution du contrat à l’issue de la période de la suspension. En rompant, la société a manqué à la règle de la force obligatoire du contrat.

La cour insiste sur la circonstance que, du fait de la rupture du contrat de travail, la rupture unilatérale de la convention est intervenue, et ce de manière irrévocable. Il s’agit d’un manquement contractuel important, qui constitue également un manquement au principe de l’exécution de bonne foi des conventions. Il y a lieu d’allouer à l’employé, ex aequo et bono, un montant de 20.000 €, représentant un dommage moral spécifique, distinct du dommage matériel et moral réparé forfaitairement par l’indemnité compensatoire de préavis.

Elle aborde encore des éléments plus factuels relatifs à la rémunération et au pécule de vacances et, enfin, en vient à la détermination de l’indemnité de procédure, qu’elle fixe à 5.500 € par instance, sur la base du montant total de l’ensemble des chefs de demande. Cette évaluation est conforme aux barèmes, la cour relevant que la demande n’a pas fait l’objet d’une surévaluation manifeste que n’aurait pas commise le justiciable normalement prudent et diligent.

Intérêt de la décision

Cette espèce est tout à fait particulière puisque, en cours de suspension du contrat de travail pour une cause conventionnelle ne suspendant pas le délai de préavis (donné) ou ne reportant pas le point de départ de celui-ci, l’employeur a considéré que le congé sans solde allait pouvoir « épuiser » le droit de l’employé à celui-ci.

L’arrêt contient des considérations très sévères sur le procédé et le contexte de la rupture, dans lequel plus particulièrement le comportement de l’employeur est très sévèrement critiqué. La cour admet, outre le droit à l’indemnité compensatoire, un abus de droit.

L’on relèvera encore que la réparation de celui-ci se situe dans le cadre d’un dommage moral spécifique et que les dommages et intérêts sont élevés.


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