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Un arrêt décisif de la Cour de cassation sur le licenciement d’un contractuel par un employeur public

Commentaire de Cass., 12 octobre 2015, n° S.13.0026.N

Mis en ligne le lundi 25 janvier 2016


Cour de cassation, 12 octobre 2015, S.13.0026.N

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 12 octobre 2015, la Cour de cassation prend position sur une controverse jurisprudentielle vive, étant de savoir si le licenciement d’un contractuel par un employeur public est un acte administratif au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi, à l’initiative de la Ville d’Ostende, contre un arrêt de la Cour du travail de Gand (division de Bruges) du 24 avril 2012.

Dans cet arrêt, la cour du travail avait considéré la loi du 29 juillet 1991 applicable en cas de licenciement d’un contractuel engagé par un employeur public, impliquant l’obligation pour l’employeur de motiver formellement le licenciement. Elle avait également considéré l’audition préalable obligatoire en vertu du principe de bonne administration. L’intéressé avait en effet fait valoir un manquement à ce principe général, du fait qu’il n’avait pas été entendu. Il considérait, enfin, que le motif à l’appui du licenciement (inaptitude professionnelle) n’était pas correct.

La question posée à la cour du travail était dès lors de déterminer si le licenciement d’un membre contractuel au service d’une autorité publique devait être motivé et si, en n’auditionnant pas le travailleur, l’employeur avait commis une faute.

En ce qui concerne le préjudice du fait de l’absence d’audition et de motivation, la cour du travail avait retenu la perte d’une chance d’éviter le licenciement, ainsi que la diminution de chance de retrouver du travail. Le préjudice moral, distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis, avait été fixé par la cour du travail à 2.500 €.

Le pourvoi

La Ville fait grief à la cour du travail d’avoir décidé de l’application de la loi du 29 juillet 1991 au cas de l’espèce, s’agissant d’un licenciement avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis d’un travailleur engagé à durée indéterminée. Pour la Ville, le licenciement, même sans préavis, d’un travailleur contractuel ne constitue pas un acte administratif, soit, au sens de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1991, un acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés (ou d’une autre autorité administrative). Il n’y a pas lieu, dès lors, à obligation de motivation formelle, au sens de l’article 2 de la loi.

Le pourvoi se fonde également sur certaines dispositions de la loi du 3 juillet 1978, étant les articles 2, 37, 39 et 82, réglant, en cas de rupture, les obligations à charge de la partie qui rompt.

La Ville introduit également un moyen en ce qui concerne l’indemnité de procédure (point sur lequel la Cour de cassation ne statuera pas).

La décision de la Cour

La Cour répond, sur le premier moyen tiré des articles 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1991, en rappelant le texte de ces deux dispositions. Lorsque l’article 1 vise la décision susceptible de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative, il faut entendre par « administré » toute personne physique ou morale dans ses rapports avec les autorités administratives, et par « autorité administrative » celle visée par l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.

Pour la Cour de cassation, il ne suit pas de ces dispositions que, si une autorité administrative décide de mettre un terme au contrat de travail, elle est tenue de motiver formellement le licenciement. En conséquence, l’arrêt qui impose une motivation formelle dans la lettre de licenciement et qui considère qu’à défaut il n’est pas satisfait à la loi sur la motivation des actes administratifs – ce qui constitue donc une faute dans le chef de l’employeur – ne justifie pas légalement sa décision. Pour la Cour de Cassation, le moyen est fondé.

Elle examine également le moyen tiré de plusieurs dispositions de la loi du 3 juillet 1978, rappelant l’article 32, 3°, l’article 37, § 1er et l’article 39, § 1er, 1er alinéa. Le premier vise, parmi les hypothèses de fin du contrat, la volonté d’une des parties (en cas de contrat à durée indéterminée ou en présence d’un motif grave). L’article 37, §1er, 1er alinéa, impose, en cas de résiliation du contrat à durée indéterminée, un préavis. L’article 39, § 1er, alinéa 1er, prévoit, en cas de non-respect des règles relatives au préavis, l’obligation de payer une indemnité égale à la rémunération, correspondant soit à la durée de celui-ci, soit à la partie du délai restant à courir.

Elle rappelle ensuite que la réglementation relative à la rupture des contrats de travail à durée indéterminée n’impose pas à l’employeur d’entendre le travailleur avant de procéder à son licenciement. Les travailleurs contractuels (donc hors situation statutaire) au service des communes sont soumis à l’article 1er, 2e alinéa de la loi sur les contrats de travail, et il ne peut y être fait exception sur la base du principe général de droit de bonne administration. La cour du travail ayant conclu que les principes de bonne administration, en ce compris le devoir d’audition, sont d’application au licenciement de contractuels et ayant considéré que la Ville, qui avait négligé de l’auditionner avant de le licencier, avait, par voie de conséquence, commis une faute, il y a lieu à cassation.

La Cour ne procède pas, en conséquence, à l’examen des autres griefs.

Intérêt de la décision

Voici certes un arrêt qui va donner lieu à commentaires.

Il avait, jusqu’à présent, été vivement regretté que la Cour de cassation ne soit pas intervenue sur la question, vu les discussions récurrentes en doctrine et en jurisprudence. En ce qui concerne les cours du travail francophones, il était en grande majorité admis que le licenciement d’un contractuel au service d’un employeur public devait être motivé et que, par ailleurs, il y avait lieu de procéder à l’audition préalable. L’arrêt de la Cour du travail de Gand du 24 avril 2012, cassé, entre dans ce courant de jurisprudence.

L’arrêt de la Cour de cassation décide autrement, sur la base des brefs attendus de son arrêt du 12 octobre 2015.

La situation nouvelle implique dès lors qu’il ne peut plus être soutenu, tel quel, que la loi du 29 juillet 1991 s’applique, particulièrement son article 2, étant que le licenciement constituerait un acte administratif au sens de la loi sur la motivation des actes administratifs.

Ceci entraîne un inconfort évident, puisque l’obligation de motivation du licenciement concernant les travailleurs occupés par des employeurs soumis à la loi du 5 décembre 1968 (secteur privé) a été réglée par la convention collective n° 109 du 12 février 2014.

Celle-ci ne s’applique cependant pas aux employeurs qui ne rentrent pas dans le champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 et, de ce chef, il y a actuellement une carence eu égard à la motivation des licenciements des contractuels du secteur public.

Nul doute cependant que cet arrêt de la Cour de cassation ne soit la nécessaire prémisse à une intervention du législateur en ce qui concerne ceux-ci.

A défaut, il appartiendra aux juges d’apporter une solution…


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