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Valeur des barèmes élaborés par le F.M.P. en matière d’exposition au risque professionnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 mars 2015, R.G. 2013/AB/511

Mis en ligne le lundi 25 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 9 mars 2015, R.G. 2013/AB/511

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 9 mars 2015, la Cour du travail de Bruxelles fait un tour complet des règles de reconnaissance d’une maladie professionnelle de la liste ainsi que de ses conditions d’indemnisation, en soulignant qu’aucun barème ne peut être retenu pour déterminer l’exposition au risque et que, sur le plan de la réparation, il n’y a pas lieu de comptabiliser des ‘points’ pour les facteurs socio-économiques.

Les faits

Un ouvrier, né en 1959, a une carrière professionnelle ayant débuté en 1973 (nettoyage de bureaux), au cours de laquelle il a été occupé pendant 6 années dans un milieu bruyant (polissage d’aluminium). Il a ensuite, après une période de chômage, repris une activité de nettoyage et, en fin de compte, travaillé dans du conditionnement d’air, nouveau milieu de travail très bruyant (l’intéressé travaillant avec une disqueuse).

Il tombe en incapacité de travail en février 2005, et ce pour longue durée.

Il introduit, concomitamment, une demande d’indemnisation au Fonds des Maladies Professionnelles, étant pour une maladie de la liste (n° 1.603) : troubles de l’acuité auditive et acouphènes.

Cette demande est rejetée, et ce au motif d’une perte auditive insuffisante pour donner lieu à indemnisation. L’affection existe néanmoins et il est recommandé, lors de la reprise du travail, d’éviter tout milieu bruyant.

Une procédure est dès lors entamée, en vue de l’écartement du milieu nocif du travail. Elle sera tenue en suspens, vu l’incapacité de travail à charge de l’I.N.A.M.I.

La procédure judiciaire

Un recours est formé, portant essentiellement sur la réparation de la maladie. Le tribunal entérine, par jugement du 26 mars 2013, le rapport de l’expert qu’il a désigné, qui a conclu à 15% d’incapacité physique, à majorer de 6% de facteurs socio-économiques (âge, formation et marché général du travail).

Le tribunal donne également acte à l’intéressé de son acceptation de la mesure d’écartement définitif du milieu professionnel. Il invite le Fonds à poursuivre la procédure administrative.

Position des parties devant la cour

Appel est interjeté par le Fonds, qui demande de postposer l’engagement d’écartement définitif à l’année 2013, étant qu’une première période de 90 jours doit être indemnisée (indemnisation sur la base d’un taux d’incapacité de 100%) et qu’ensuite une rente de 5% d’incapacité de travail doit être octroyée.

L’intéressé interjette également appel, considérant qu’il y a une incapacité temporaire à retenir, pour une durée de 6 mois, et que la consolidation doit se faire avec un taux de l’ordre de 30 à 35%. Il demande la condamnation du Fonds au paiement des allocations, en ce compris celles relatives à l’écartement.

La décision de la cour

La cour rappelle le cadre du litige, étant qu’il s’agit d’une part d’une maladie de la liste et, d’autre part, de travaux fixés par l’arrêté royal du 6 février 2007 fixant la liste des industries, professions, catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie. Il s’agit d’hypoacousie provoquée par le bruit et la cour rappelle à cet égard que le lien de cause à effet entre l’exposition au risque et la maladie est présumé, légalement, de manière irréfragable. Aucune preuve contraire ne peut dès lors être apportée et, en principe, l’intéressé peut bénéficier des indemnités légales.

Trois questions sont ici en débat : l’incapacité temporaire totale, l’existence d’une incapacité permanente partielle et la question de l’écartement définitif.

Sur le premier point, la cour rappelle le mécanisme de l’indemnisation, étant que le droit à une indemnité journalière de 90% de la rémunération quotidienne moyenne est acquis dès lors que l’intéressé ne peut plus exercer la profession qui était la sienne avant le début de l’incapacité (cette indemnisation ne tenant aucun compte de facteurs socio-économiques) et que cette incapacité est en lien avec la maladie professionnelle – même si d’autres causes peuvent également intervenir, notamment un état antérieur.

Soulignant en outre que l’admission ou le refus d’admission de l’incapacité de travail dans le secteur AMI ne peut pas être transposé automatiquement en la matière, la cour constate quand même qu’en l’espèce l’organisme assureur AMI a admis celle-ci. Il faut dès lors s’interroger sur le lien de causalité entre l’hypoacousie et l’incapacité. Le rapport d’expertise judiciaire figurant au dossier s’est borné à affirmer que l’intéressé n’a pas subi d’incapacité temporaire du fait de la maladie professionnelle. Cette affirmation n’étant pas étayée, un complément d’expertise est nécessaire pour approfondir cette question.

En ce qui concerne l’incapacité permanente partielle, la loi prévoit l’octroi d’une allocation annuelle à la victime en fonction du degré d’incapacité permanente. Il faut déterminer en premier lieu si une telle incapacité permanente existe. La cour rappelle les principes à cet égard, renvoyant à de nombreuses décisions ainsi qu’à divers travaux de doctrine autorisés. La méthode à suivre est d’évaluer la perte de potentiel économique de la victime eu égard à l’ensemble des métiers qu’elle demeure apte à exercer de manière régulière. Il ne faut pas – comme cela a été fait au premier stade du dossier – fixer un taux d’incapacité physiologique auquel l’on ajouterait des « points » censés représenter les facteurs économiques. Ce procédé est qualifié par la cour d’abstrait et d’artificiel et s’écarte de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ceci reviendrait à procéder par application de barèmes prédéterminés. Or, ceux-ci ne sont pas admis en la matière.

La cour réserve encore quelques développements à la pluri-causalité, rappelant qu’il est sans incidence que la maladie ne soit pas la seule cause du dommage. Il suffit que, sans elle, le dommage n’ait pas existé ou n’ait pas été aussi grave (le renvoi étant ici fait aux travaux préparatoires de la loi – Doc. Parl. Sénat, sess. ord., 1962-1963, n° 237, p. 4).

En l’espèce, dès lors qu’existe une asymétrie de la perte auditive et qu’une hypoacousie est constatée, due non seulement à un traumatisme sonore chronique mais également à une suspicion de lésion intracérébrale neuro-vasculaire (bénigne), il faut déterminer la répercussion de l’ensemble sur la capacité de travail.

Sur l’évaluation, l’on ne peut – comme l’expert l’a fait – retenir que l’hypoacousie n’atteint pas « le niveau revalidable par le F.M.P. », dans la mesure où – ce faisant – il est renvoyé aux barèmes du Fonds. Or, ceux-ci n’ont qu’une valeur indicative et ils ne sont pas de nature à déterminer l’évaluation de l’incapacité permanente, qui dépend du marché du travail propre à la victime. En l’occurrence, le travailleur a exercé des métiers bruyants durant plus de 20 ans et ce type de métier fait incontestablement partie des professions qui lui étaient accessibles jusqu’à la survenue de la maladie. Il y a donc une réduction incontestable de la capacité à travailler dans un milieu bruyant. Si d’autres milieux lui restent ouverts (ainsi dans une usine sans exposition sonore), ceci implique qu’il conserve une certaine capacité de travail, mais non qu’il n’y a pas d’incapacité permanente.

La cour conclut qu’un complément d’expertise est nécessaire, celui-ci étant confié à deux experts, un médecin et un ergologue. Tout en retenant que les constatations médicales de l’expert désigné en première instance ne sont pas contestées, la cour préfère désigner un nouveau médecin-expert, dans la mesure où la conclusion (du premier expert) quant à la possibilité pour l’intéressé de conserver un marché du travail tout en n’étant atteint d’aucune incapacité de travail est contradictoire.

Enfin, sur l’écartement définitif, la cour considère qu’il est prématuré de statuer sur les demandes en cause, le travailleur ayant accepté le principe d’un écartement, mais n’étant nullement acquis à ce stade du dossier s’il s’agit d’un écartement temporaire ou définitif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt revient sur une problématique régulière, étant la valeur des barèmes élaborés par le F.M.P. aux fins de fixer des seuils susceptibles de constituer l’exposition au risque.

La cour rappelle que ceux-ci ne sont qu’indicatifs, les retenir comme déterminants étant contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation – même s’ils ont une valeur scientifique. Une demande d’indemnisation ne peut être rejetée pour le seul motif que de tels seuils ne sont pas atteints.

La cour souligne dans cet arrêt que la réparation n’est pas déterminée par l’intensité du déficit auditif, mais bien par l’importance de l’incapacité de travail de la victime. Ce point mérite d’être mis en exergue, d’autant que, pour ce type de maladie, le recours auxdits seuils est fréquent.

Il faut également relever que, dans cette décision, la cour du travail considère ne pas pouvoir suivre la méthode d’évaluation de l’incapacité permanente, qui consiste à déterminer d’une part l’invalidité physique et, d’autre part, à ajouter des « points » pour les divers facteurs socio-économiques.

Affaire à suivre, donc…


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