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Harcèlement au travail : indemnisation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 juin 2015, R.G. 2013/AB/1.064

Mis en ligne le lundi 11 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 30 juin 2015, R.G. 2013/AB/1.064

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 30 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions de l’indemnisation de faits de harcèlement au travail, rappelant que, si la demande est introduite dans le cadre de la législation sur les accidents du travail, il y a lieu de prouver un événement soudain. A défaut, des dommages et intérêts peuvent être réclamés.

Les faits

Un inspecteur de police est victime, sur le lieu du travail, de harcèlement de la part de son supérieur, commissaire.

Il a un malaise, en février 2006 et doit quitter son travail. Il est mis en incapacité de travail.

Les faits font l’objet d’une déclaration d’accident du travail, étant présentés comme un harcèlement non justifié et continu. Par ailleurs, une plainte motivée en harcèlement est déposée auprès des conseillers en prévention spécialisés dans les aspects psychosociaux du travail (SIPPT) de la Zone de Police.

Un premier arrêté du Collège de police admet la prise en charge du dossier « harcèlement ».

L’accident du travail est admis dans un premier temps, mais ultérieurement, il est rejeté, au motif que la notion d’événement soudain, condition essentielle prévalant à la reconnaissance juridique de l’accident, ne peut être retenue suite aux faits en cause. Il s’agit au contraire d’une accumulation de petits faits qualifiés de fréquents et répétés. Pour la Zone de Police, ce comportement est du harcèlement, eu égard à son caractère répétitif mais il se heurte, par conséquent, à la notion d’accident du travail.

L’incapacité de travail dure pratiquement un an, période suite à laquelle l’intéressé reprend ses activités professionnelles. Entretemps, le supérieur a été muté et ensuite mis à la pension.

Une procédure est introduite devant le Tribunal de première instance d’abord et, suite à un jugement d’incompétence, le tribunal du travail est saisi.

Objet de la demande

L’objet de la demande est, à titre principal, des dommages et intérêts évalués provisoirement à 50.000€. Le demandeur sollicite la désignation d’un expert aux fins de déterminer les conséquences du harcèlement sur sa santé. Plus subsidiairement, il demande la réparation d’un dommage moral ainsi que l’indemnisation de la perte des primes de nuit et de week-end pendant un an, étant la période d’incapacité de travail.

Position du tribunal du travail

Par jugement du 8 octobre 2013, le tribunal du travail condamne la Zone de Police à indemniser l’intéressé à concurrence d’un montant de l’ordre de 17.000€, au titre de réparation du dommage subi suite au harcèlement.

Le tribunal considère en effet que l’intéressé démontre à suffisance l’existence de faits faisant présumer un harcèlement moral. Dès lors, en vertu de la répartition de la charge de la preuve, la Zone de Police est tenue d’établir la preuve contraire – ce qu’elle ne fait pas.

Il y a une faute dans le chef de l’employeur, eu égard à sa responsabilité de commettant d’une part (article 1384 du Code civil) et d’autre part, au regard de la loi du 10 février 2013 (applicable aux faits).

Le dommage est matériel et moral : le dommage matériel représente la perte des primes de nuit et de week-end ainsi que les frais médicaux en lien avec les faits de harcèlement. Le tribunal admet également un dommage moral de l’ordre de 8.000€.

Position de la cour du travail

La cour est saisie de l’appel de la Zone de Police.

Elle se livre, dans un premier temps, au rappel du cadre légal (s’agissant de la version de l’article 32ter, 2°, de la loi du 4 août 1996 avant sa modification par la loi du 10 janvier 2007).

Elle renvoie à la jurisprudence de la cour (autrement composée) selon laquelle la victime n’est pas tenue d’apporter la preuve complète des faits allégués mais elle doit prouver des faits permettant de présumer l’existence du harcèlement. C’est le mécanisme du partage de la preuve, la charge de celle-ci étant aménagée. La cour rappelle que sans cet aménagement il est très difficile pour une victime de harcèlement de faire reconnaitre celui-ci.

Elle renvoie encore au Comité Européen des Droits sociaux, chargé du contrôle du respect de la Charte sociale européenne, pour qui la protection efficace du travailleur doit être liée à un infléchissement de la charge de la preuve. La cour rappelle encore que ce système s’inspire de celui qui vaut en matière de discrimination et elle renvoie à cet égard à divers arrêts de la Cour de Justice.

Elle relève également les mesures qui devaient être prises, par l’employeur, dans le cadre de la prévention des aspects psychosociaux du travail, vu qu’un éventuel manquement à ces obligations peut être constitutif de faute. Sur ce second point, cependant, la charge de la preuve appartient au travailleur, aucun aménagement n’ayant été prévu.

Elle passe, ensuite, aux éléments de l’espèce, relevant les nombreux faits établis au dossier, et ce même par des plaintes de collègues de travail. Or, la Zone de Police ne présente aucune circonstance permettant d’expliquer l’attitude abusive du supérieur, attitude portant atteinte à l’intégrité et à la dignité de l’intéressé, qui, par ailleurs, était évalué favorablement.

Eu égard à l’ensemble des éléments de ce contexte, la cour confirme que l’on ne peut être en présence d’un accident du travail, tout en relevant qu’elle n’est pas saisie de la question.

Elle souligne ensuite les carences de la Zone de Police dans l’instruction du dossier, celle-ci se bornant à considérer que la mutation du supérieur a permis de mettre fin à la situation.

Eu égard à l’ensemble des éléments produits, il y a matière à retenir la responsabilité de la Zone de police. La Cour retient comme fondements non seulement la loi du 10 février 2003 et l’article 1384 du Code civil, mais également l’article 1382 du même code, et ce eu égard au comportement fautif résultant de l’indifférence, de l’inertie et de l’absence de mesures adéquates prises en temps opportun alors que l’employeur était parfaitement au courant du comportement harcelant, abusif et nuisible et qu’il était tenu légalement de mettre un terme à ces agissements (termes figurant dans l’arrêt).

En ce qui concerne le dommage, il est lié à l’incapacité de travail d’un an consécutive aux faits de harcèlement. La cour retient qu’il y a eu un traitement psychopharmacologique ainsi qu’un suivi auprès d’un psychothérapeute et d’une psychologue. Un rapport d’un psychiatre a également fait valoir un trouble d’adaptation. Le dommage moral est fixé sur la base du rapport du psychiatre, qui a justifié eu égard à ceux-ci un taux d’invalidité physiologique de 75% ainsi qu’un taux d’incapacité économique de 70% pour la période considérée.

Le dommage matériel, correspondant à la perte de rémunération (primes de nuit et de week-end) est certes avéré, même si le traitement normal a été payé.

Le dernier point à trancher par la cour est la fixation de l’indemnité de procédure, question à laquelle elle réserve encore des développements importants en droit. Reprenant les conditions dans lesquelles le juge peut retenir un montant différent de l’indemnité de base, elle conclut que le dossier présente un caractère manifestement déraisonnable, « et ce en raison de la mauvaise foi de la Zone de Police dans la gestion du contentieux.

L’indemnité de procédure pour chaque instance est dès lors fixée à 2.500€.

Intérêt de la décision

Le raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles est particulièrement intéressant.

Après avoir mis en exergue d’une part la notion de harcèlement ainsi que les obligations de l’employeur dans le cadre de cette législation, la cour reprend en droit le mécanisme de la répartition de la preuve en cette matière et rappelle que celle-ci s’inspire de règles en matière de discrimination.

Mais c’est sur le fondement de la faute que l’arrêt mérite surtout d’être retenu, puisque le fondement juridique est triple : art. 1382 C.C., art. 1384 C.C. et loi du 10 février 2013. Le recours à l’article 1382 C.C. ne doit dès lors pas être négligé.

Enfin, le préjudice retenu est celui en lien avec le harcèlement, le dommage ayant un volet matériel, constitué par la rémunération ou la partie de celle-ci dont le travailleur en incapacité de travail a été privé ainsi qu’un volet moral, étant les conséquences psychologiques pendant la période de l’incapacité de travail.


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