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C.P.A.S. : preuve de la cohabitation : l’existence de liens affectifs ne suffit pas

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 juillet 2015, R.G. 2015/CL/1

Mis en ligne le lundi 11 janvier 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 20 juillet 2015, R.G. 2015/CL/1

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 20 juillet 2015, la Cour du travail de Liège (div. Liège), statuant dans le cadre des référés, admet, sur la base de l’apparence de droit, qu’une cohabitation n’est pas établie lorsqu’il n’est pas démontré devant elle qu’il y a vie sous le même toit. Cette condition doit être remplie avant d’examiner s’il y a mise en commun des principales charges ménagères.

Les faits

Une mère de trois enfants et enceinte d’un quatrième introduit une demande d’aide sociale. Celle-ci est rejetée par le C.P.A.S., au motif d’une cohabitation avec un compagnon qui bénéficie d’allocations de chômage.

Un rapport social a été rédigé et indique qu’elle vit avec le père du bébé qui doit naître incessamment.

Lors de la visite à domicile, le père était présent. Il a déclaré être un ami et être venu réparer la chaudière. Il est noté qu’il se prépare une cigarette en tongs avec « le même tabac que celui qui se trouve sur la table de nuit » et que des costumes lui appartenant se trouvent dans la penderie de la demanderesse d’aide sociale.

Vu le refus du C.P.A.S., le tribunal du travail est saisi, en vue d’obtenir un revenu d’intégration.

Outre le recours au fond, un deuxième recours est formé en référé. L’intéressée a exposé dans celui-ci que FAMIFED avait interrompu le versement des prestations familiales garanties, le temps d’effectuer l’enquête sur les ressources. La demanderesse ayant également déménagé entre-temps, les raisons de ce déménagement sont également exposées, étant une résiliation du bail pour non-paiement de loyer.

L’intéressée n’a, vu la situation ci-dessus, plus de ressources depuis le dernier paiement des allocations familiales. En ce qui concerne la manière dont elle nourrit ses enfants, elle signale qu’elle bénéficie ponctuellement de dons de denrées alimentaires de la part d’amis et que ses deux fils aînés sont pris en charge par des tiers, temporairement, pour les frais de nourriture. Elle donne en outre de très nombreux détails sur sa situation concrète.

Quant au C.P.A.S., il considère qu’il n’y a pas d’urgence particulière, vu la mise en état de l’affaire au fond. Il conteste également l’apparence de droit, au motif qu’il apporterait la preuve de la cohabitation, et ce compte tenu du rapport social.

L’avis du Ministère public

L’Avocat général retient qu’il y a urgence, et ce particulièrement vu la suppression des allocations familiales.

En ce qui concerne l’apparence de droit, celle-ci n’est pas, pour lui, établie à suffisance. Il faut en effet que soit avérée l’absence de vie sous le même toit.

La décision de la cour

La cour reprend, dans un premier temps, les conditions de l’urgence et rappelle que c’est une question de fait laissée à l’appréciation du Juge des référés.

Elle retient, dans le cas d’espèce, que le jugement au fond ne sera pas rendu dans l’immédiat et que, dès lors, l’urgence est établie.

Sur l’apparence de droit, elle en vient aux éléments lui présentés et susceptibles de faire droit à la demande, dans les limites des pouvoirs du Juge des référés. La cour rappelle que l’intervention du référé ne se limite pas aux droits incontestés, mais peut porter sur les apparences de droit. Elle réserve à la question juridique des développements nuancés, étant que le Juge des référés qui ordonne une mesure ne statue pas au fond et que sa décision ne peut pas avoir autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond. Dans le cas d’espèce, la question posée est de savoir s’il y a ménage de fait avec une personne qui ne sollicite pas le bénéfice de la loi.
Tout en relevant les éléments de fait relatifs à la présence du père du quatrième enfant (le fait que celui-ci soit « à l’aise » chez la demanderesse au point d’être en tongs et d’y avoir des vêtements de rechange ainsi que du tabac, un contexte de relation amoureuse, le fait qu’il justifie sa présence sur les lieux par la circonstance qu’il serait venu jeter un coup d’œil à la chaudière), la cour conclut qu’elle manque d’éléments démontrant qu’il y aurait vie sous le même toit. Au contraire, ce monsieur apporte de nombreux éléments démontrant qu’il a un logement propre, qu’il y paie ses charges et que, par ailleurs, il a sa vie à Liège et non dans la commune où l’intéressée est domiciliée.

Dans la mesure où la cohabitation putative était le seul motif du refus du revenu d’intégration, la cour rappelle encore que, statuant sur la base d’une apparence de droit aux fins d’aménager une situation d’attente qui permette aux parties et au juge du fond d’approfondir la question de la cohabitation, il y a lieu de condamner le C.P.A.S. à verser le revenu d’intégration avec effet rétroactif, et ce dans l’attente de la décision qui interviendra dans le cadre de la procédure au fond, décision rendue par le tribunal ou la cour. Elle souligne encore que cette solution doit permettre de préserver la dignité humaine de la mère.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège, rendu dans le cadre des référés, vient apporter un correctif à l’effet négatif du temps (nécessaire) de l’instruction de la procédure judiciaire au fond. En l’espèce, quoique faisant l’objet d’une instruction planifiée, dans le cadre d’une mise en état, le jugement, qui interviendra plusieurs mois plus tard, n’est pas de nature à permettre à l’intéressée de mener une vie conforme à la dignité humaine vu la suppression de toute ressource. Pour arriver à la conclusion que la cour est autorisée, dans le cadre de l‘examen de l’apparence de droit, à retenir l’absence de cohabitation, celle-ci se fonde sur les éléments du dossier lui soumis, étant d’une part une situation très détaillée exposée par la partie demanderesse quant à ses revenus ainsi que ses charges et, d’autre part, le caractère trop sommaire du rapport d’enquête sociale. La cour rappelle également que, sur la question de la cohabitation, des indices de liens affectifs ou la présence au domicile du demandeur du revenu d’intégration d’une relation même très proche ne suffisent pas, le C.P.A.S. devant établir en premier lieu la vie sous le même toit (et ensuite la mise en commun des principales charges ménagères).


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