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Absences pour incapacité de travail liée à des problèmes de grossesse : licenciement discriminatoire ?

Commentaire de Trib. trav. Mons et Charleroi, div. La Louvière, 22 mai 2015, R.G. 13/758/A

Mis en ligne le jeudi 29 octobre 2015


Tribunal du travail de Mons et Charleroi, division de La Louvière, 22 mai 2015, R.G. 13/758/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 22 mai 2015, le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi fait droit à la demande d’une employée d’un hôpital, qui considérait discriminatoire son licenciement survenu au motif d’organisation, eu égard à des périodes d’absence pour incapacité de travail liée à des problèmes de grossesse.

Rétroactes

Une employée subit, dans le cadre de plusieurs grossesses successives, diverses périodes d’incapacité de travail. La dernière grossesse devant être interrompue sur décision médicale (situation assimilée à un accouchement), elle reprend le travail après un congé de 9 semaines. La reprise verra, quelques jours plus tard, l’employeur licencier l’intéressée avec préavis à prester.

Parallèlement, elle connaît une nouvelle période d’incapacité de travail suite à des problèmes post-partum. Le préavis est commué en paiement d’une indemnité. Sur le formulaire C4, l’employeur fait état d’impossibilité d’organiser le travail de l’équipe eu égard aux nombreuses périodes d’incapacité de travail.

Une procédure est lancée devant le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, portant sur plusieurs chefs de demande, étant une correction de l’indemnité compensatoire de préavis, mais surtout une indemnité de protection eu égard à un licenciement discriminatoire.

La décision du tribunal

Après avoir corrigé les chiffres en ce qui concerne l’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal s’attache longuement à l’examen de la discrimination.

Il rappelle le cadre légal, étant en droit interne la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes. Il rappelle qu’il s’agit d’une transposition de sept directives européennes (portant sur (i) l’égalité des rémunérations, (ii) l’égalité en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la formation professionnelle, ainsi que les conditions de travail, (iii) l’égalité dans les régimes professionnels de sécurité sociale, (iv) la charge de la preuve, (v) l’égalité dans l’accès à des biens et services et la fourniture de ceux-ci, (vi) l’exercice d’une activité indépendante et (vii) l’égalité en matière de sécurité sociale).

La loi considère en son article 4, § 1er qu’une distinction directe fondée sur la grossesse, l’accouchement et la maternité est assimilée à une distinction directe fondée sur le sexe. La distinction directe vise la situation où, sur la base du sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable. La discrimination directe vise une distinction directe fondée sur le sexe, qui ne peut être justifiée selon les critères retenus par la loi. Il n’y a, comme le rappelle le tribunal, qu’une seule hypothèse autorisée de discrimination directe, c’est sur la base d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Ce critère est également défini, étant qu’il exige une caractéristique déterminée liée au sexe, qui soit essentielle et déterminante en raison de la nature spécifique de l’activité professionnelle concernée ou du contexte de son exécution et que cette exigence repose sur un objectif légitime et qu’elle soit proportionnée par rapport à celui-ci.

Tout en relevant que le Roi n’a pas encore défini, ainsi qu’il est prévu à l’article 13, § 3 de la loi, les situations dans lesquelles une caractéristique déterminée constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, le tribunal reprend les règles en matière de preuve (le partage de la preuve), ainsi que les modes de réparation du préjudice causé.

Il rappelle également quelques principes de droit européen, étant que les conditions de travail et de licenciement doivent, en vertu de la Directive 76/207/CEE, être identiques pour les hommes et les femmes. En outre, la doctrine a rappelé que le licenciement pour cause de grossesse ou pour une cause fondée essentiellement sur cet état constitue une discrimination directe fondée sur le sexe, vu qu’il ne peut concerner que les femmes (A.-V. MICHAUX, « Arrêts ‘PAQUAY’ et ‘MAYR’ : la Cour étend la protection contre le licenciement des travailleuses (physiquement ou virtuellement) enceintes », J.D.E., 2008/5, p. 146-148).

La jurisprudence de la Cour de Justice a également été amenée à se prononcer sur un licenciement intervenu pour une travailleuse ayant subi un traitement de fécondation in vitro, la Cour de Justice soulignant que, s’il est vrai que les travailleurs des deux sexes peuvent être amenés à subir des traitements médicaux et, ainsi, voir leur contrat de travail suspendu, les interventions consistant en une ponction folliculaire et transfert de l’utérus ne concernent directement que les femmes.

Le tribunal rappelle enfin que la Cour du travail de Bruxelles a quant à elle jugé qu’une femme ayant subi une fausse couche peu de temps avant son licenciement justifie d’une présomption de discrimination liée au sexe (C. trav. Bruxelles, 16 juin 2009, Chron. Dr. Soc., 2010, p. 19, note J. JACQMAIN).

Le tribunal examine, en conséquence, les faits de la cause à la lumière de l’ensemble de ces principes.

L’employeur a visé sur le document C4 l’impossibilité d’organiser le travail de l’équipe compte tenu des incapacités de travail nombreuses et répétées.

Relevant qu’elles sont toutes liées aux grossesses successives ainsi qu’aux complications médicales qui s’en sont suivies, le tribunal constate qu’au moins à deux reprises, l’intéressée était protégée contre le licenciement en vertu de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail.

Elle rappelle, vu cette situation, que l’employeur ne peut se fonder sur une incapacité de travail survenue pendant la grossesse et liée à celle-ci pour fonder le licenciement d’une femme enceinte après son congé de maternité. Si une distinction directe intervient, fondée sur la grossesse, elle est assimilée à une distinction directe fondée sur le sexe et, en l’espèce, la discrimination directe est établie.

Le tribunal aborde, enfin, l’éventualité admise par la loi, étant qu’une telle discrimination directe pourrait être justifiée s’il y avait des exigences professionnelles déterminantes. Tel n’est pas le cas et la conclusion est claire : la discrimination directe est établie.

Reste, sur le plan de la réparation, à déterminer le montant à allouer. La loi permet, en effet, à la victime de fixer son préjudice en application du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. L’indemnité à verser à la victime dépend du choix de celle-ci. Il peut s’agir d’indemnité forfaitaire de 6 ou de 3 mois, ou de dommages et intérêts correspondant au préjudice réellement subi. Dans cette hypothèse, la victime doit prouver l’étendue de celui-ci.

L’indemnité forfaitaire sera de 3 mois de rémunération brute, en réparation du dommage matériel et moral, sauf que l’employeur peut démontrer que le traitement défavorable aurait également été adopté en l’absence de discrimination, hypothèse dans laquelle l’indemnisation est limitée à 3 mois au lieu de 6.

Ceci impliquerait que l’employeur établisse d’autres motifs, par exemple l’incompétence ou la réorganisation du service. L’employeur reste cependant en défaut de ce faire. Seules sont en effet invoquées les incapacités de travail répétées et prolongées.

L’indemnité de 6 mois est enfin admise comme répondant aux exigences de la jurisprudence communautaire, qui retiennent que la réparation doit être efficace, proportionnée et dissuasive, et non purement symbolique.

Intérêt de la décision

Ce jugement fait le lien entre la protection de la maternité telle qu’organisée à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail et le cadre plus large de la discrimination fondée sur le genre.

Dès lors que le dispositif légal en matière de protection de la maternité n’est pas applicable – comme en l’espèce –, la licéité du licenciement peut être analysée à partir des critères de la loi anti-discrimination. Le lien est ici fait entre la grossesse, l’accouchement et la maternité d’une part, et le genre d’autre part. Une distinction directe fondée sur la grossesse, l’accouchement et la maternité est une distinction directe fondée sur le sexe. La jurisprudence de la Cour de Justice est bien acquise, depuis les deux arrêts cités (PAQUAY et MAYR). La protection contre le licenciement qui ne peut être prise en compte dans le cadre de la protection de la maternité peut être obtenue via l’application des dispositions en matière d’interdiction de discrimination. L’on rappellera encore que la loi du 10 mai 2007 contient un mécanisme particulier en ce qui concerne la preuve, puisque la personne qui s’estime victime d’une discrimination peut invoquer des faits qui permettent de présumer l’existence de celle-ci et qu’il incombe alors à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination.


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