Terralaboris asbl

Manquements par l’employeur à ses obligations en matière de bien-être et conséquences sur un constat de force majeure

Commentaire de Trib. trav. Nivelles, div. Wavre, 26 juin 2015, R.G. 12/554/A

Mis en ligne le lundi 5 octobre 2015


Tribunal du travail de Nivelles, division Wavre, 26 juin 2015, R.G. n° 12/554/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 26 juin 2015, le Tribunal du travail de Nivelles, Division Wavre, a jugé qu’un constat de force majeure pour inaptitude physique définitive ne pouvait être posé par une société dès lors que celle-ci avait manqué à ses obligations en matière de bien-être et que ces manquements étaient à l’origine des problèmes de santé du travailleur. Il alloue en conséquence en sus de l’indemnité compensatoire de préavis des dommages et intérêts.

Les faits

Une société spécialisée dans l’emballage décide en 2011 de la rupture du contrat de travail d’un employé, rupture intervenant au motif de force majeure. Celui-ci a alors une ancienneté de trente ans et était chargé de la conception de prototypes de moules, en vue de production. L’activité supposait qu’une partie du travail se fasse à des températures élevées avec soufflerie aux fins de refroidir les prototypes créés. La fonction exercée suppose un examen médical de santé annuel. Ceux-ci, effectués régulièrement depuis 2007, concluent à l’aptitude pour les fonctions.

Son espace de travail fut en 2010 déménagé, aux fins d’être situé en hauteur, au-dessus d’un espace de stockage. Des discussions intervinrent alors en ce qui concerne l’adéquation de ce nouveau lieu eu égard notamment aux contraintes de performance. Se posait également la question de ventilation, de dépoussiérage et d’extraction de l’air chaud.

L’intéressé eut, quelques mois plus tard, des problèmes de déshydratation des yeux et fut victime en fin de compte d’une thrombophlébite. Après une tentative infructueuse de travail, il fut remis en incapacité. Cette période eut, avec les brèves tentatives de reprise, une durée de cinq mois jusqu’à ce que la force majeure fut constatée. Entre-temps, l’intéressé avait été réaffecté mais toujours dans des postes où le travail s’effectuait souvent dans la chaleur. Le médecin du travail avait pour sa part proposé une mutation définitive à un poste adapté.

Dans le constat de rupture, l’employeur précisait que l’incapacité définitive était constatée pour la fonction « d’ouvrier polyvalent ».

L’organisation syndicale contesta immédiatement, faisant valoir qu’un poste adapté devait très certainement exister et que, en ce qui concerne l’incapacité, elle était très vraisemblablement en relation causale avec les conditions de travail des derniers mois.

Décision du tribunal

Une procédure fut alors engagée devant le tribunal du travail de Nivelles (div. Wavre).

Jugement du 10 décembre 2013

Le tribunal rend en date du 10 décembre 2013 un premier jugement, rappelant de manière circonstanciée les conditions de la force majeure au sens de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs.

Le tribunal constate qu’il n’est pas suffisamment informé quant à la situation de fait, et ce aux fins d’apprécier le bien-fondé des demandes de l’intéressé, qui, non seulement conteste la rupture du contrat sans indemnité mais également postule des dommages et intérêts vu les manquements de l’employeur à l’obligation d’assurer le bien-être des travailleurs. Il sollicite de ce second chef de demande un montant de 10.000€.

Des mesures d’instruction sont dès lors ordonnées, étant d’une part la production de nombreuses pièces, ainsi que la tenue d’enquêtes, le tribunal souhaitant entendre sur des faits précis à la fois les conseillers en prévention internes successifs ainsi que le conseiller en prévention - médecin du travail, de même encore que les conseillers externes.

Jugement du 26 juin 2015

Un second jugement est dès lors rendu, à l’issue de la réalisation de ces mesures.

Suite à l’ensemble des informations fournies, notamment par les conseillers en prévention, le tribunal procède à la comparaison de la configuration du lieu de travail initial avec celui issu du déménagement. Il conclut à la non adéquation du nouvel atelier aux normes, situation connue par l’employeur. Il relève en effet que la société avait envisagé des transformations, le nouvel atelier n’ayant aucun moyen d’aspiration et d’aération, ce qui fut constaté par le conseiller en prévention, ainsi que par le conseiller en prévention – médecin du travail.

Un devis fut demandé par la société mais fut considéré comme onéreux.

Le tribunal constate que suite à ce choix budgétaire, la société a néanmoins persisté dans son projet de mettre le nouvel atelier en fonction, sachant qu’il n’était pas aux normes et qu’elle y a fait travailler l’intéressé.

Il est dès lors conclu à la non application des règles de bien-être lors du transfert de l’atelier, le tribunal relevant notamment l’absence d’analyse de risque pour les années 2009 à 2012, et ce alors que celle-ci est obligatoire aux termes de l’arrêté royal du 27mars 1998.

Ce constat posé, le tribunal revient sur la rupture et sur les conditions de la force majeure. Il rappelle que celle-ci ne peut provenir que d’un événement indépendant de la volonté de celui qui l’invoque, étant que celui-ci ne pouvait ni la prévoir ni la contrer.

Se pose, bien évidemment, la question de savoir si l’incapacité de travail définitive (à savoir l’impossibilité définitive de reprendre le travail) peut constituer un cas de force majeure. Le tribunal s’appuie sur l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 1981 (Cass., 5 janvier 1981, R.G. n° 3062) pour conclure à l’exigence d’apprécier celle-ci par rapport au travail convenu.

Il s’en tient dans son examen aux trois critères civilistes de la notion de force majeure (événement imprévisible, obstacle insurmontable et absence de toute faute dans le chef du débiteur de l’obligation). Ce n’est dès lors pas eu égard aux exigences de l’arrêté royal du 28 mai 2003 sur la surveillance de la santé que la force majeure en l’espèce est examinée mais bien dans un cadre purement civiliste (le tribunal évacue, ainsi, le débat quant à un manquement éventuel à une obligation de reclassement, en rencontrant cependant un argument de la société tiré de l’illégalité de l’arrêté royal du 28 mai 2003, renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 23 mars 2010, R.G. n° 2009/AN/8735).

Le tribunal relève en premier lieu qu’il n’y avait pas obstacle insurmontable à la poursuite du travail convenu, le travailleur étant encore à même d’exécuter celui-ci dans des conditions normales.

Quant à l’imprévisibilité, cette condition n’est nullement remplie, vu les constatations techniques faites quant à l’absence de tout système d’extraction de chaleur.

Enfin, la société a failli à ses obligations en matière de bien-être en général et, en sus, elle n’a pas équipé le nouvel atelier comme il se devait, situation qui est à l’origine des problèmes de santé de l’intéressé.

L’absence de force majeure est dès lors retenue, ce qui entraîne deux conséquences, étant d’une part que la rupture est intervenue sans préavis ni indemnité et qu’une indemnité compensatoire est due (fixée à 29 mois de rémunération) et d’autre part, que la demande de dommages et intérêts est fondée, la société ayant commis une faute importante que n’aurait pas commise un employeur normalement diligent et prudent. Cette faute est indépendante de l’acte de rupture. Elle peut donner lieu à des dommages et intérêts. Ceux-ci sont fixés en équité à 9.000€.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement (non définitif), le Tribunal du travail de Nivelles, Div. Wavre, accueille, dans ce cas de rupture constatée pour force majeure une demande de dommages et intérêts pour préjudice spécifique eu égard au non respect par l’employeur de ses obligations en matière de bien-être. Le tribunal, qui a constaté un manquement, devait également voir s’il y avait dommage. Celui-ci est moral : il est lié aux souffrances subies suite aux trois épisodes de phlébite vécues en un espace de quelques mois. Par ailleurs, la non prise en considération de la santé du travailleur par rapport à des impératifs financiers est admis comme autre élément du dommage.


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