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Les règles de l’Accord-cadre sur le travail à durée déterminée et de la Charte des Droits fondamentaux rappelées par la Cour de Justice de l’Union Européenne

Commentaire de C.J.U.E., 5 février 2015, Aff. n° C-117/14, C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-238/14 et C.J.U.E., 9 juillet 2015, Aff. n° C-177/14

Mis en ligne le mardi 29 septembre 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 5 février 2015, Aff. n° C-117/14 (GRIMA JANET NISTTAHUZ POCLAVA c/ JOSE MARIA ARIZA TOLEDANO)

Cour de Justice de l’Union européenne, 26 février 2015, Aff. n° C-238/14 (COMMISSION EUROPEENNE c/ GRAND DUCHE DE LUXEMBOURG)

Cour de Justice de l’Union européenne, 9 juillet 2015, Aff. n° C-177/14 (REGOJO DANS c/ CONSEJO DE ESTADO)

La Cour de Justice a été amenée à rendre récemment trois arrêts à propos de l’Accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 (conclu entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP), rappelant à l’occasion de l’une de celles-ci le champ d’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

1.
Le Juzgado de lo Social de Madrid a interrogé la Cour sur la conformité de la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 réglementant le contrat à durée indéterminée de soutien aux entrepreneurs (mesure de promotion de l’emploi étant venue modifier la législation du travail vu la crise économique, qui prévoit notamment une clause d’essai d’un an ‘en tout état de cause’) avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (dont l’article 30 consacre le droit à la protection contre un licenciement injustifié) et la Directive 1999/70 (qui met en œuvre l’Accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 (conclu entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP)).

Dans un arrêt du 5 février 2015 (C.J.U.E., 5 février 2015, n° C-117/14 (GRIMA JANET NISTTAHUZ POCLAVA c/ JOSE MARIA ARIZA TOLEDANO)), la Cour a rappelé que son champ d’application, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1 de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et non en dehors de celles-ci. Ce n’est pas le cas en l’espèce, la législation en cause ne mettant pas en œuvre le droit de l’Union. En effet, la requérante n’entre pas dans le champ d’application de la directive ci-dessus, ne pouvant être considérée comme une travailleuse à durée déterminée au sens de la clause 3 de l’Accord-cadre et le contrat étant régi par les dispositions du statut des travailleurs et par des conventions collectives applicables aux contrats à durée indéterminée (hors la durée de la clause d’essai).

La Cour de Justice n’est dès lors pas compétente.

Malgré cette conclusion, l’arrêt présente un intérêt évident, étant que le recours à la Charte des droits fondamentaux ne peut intervenir que si la disposition critiquée concerne la mise en œuvre du droit de l’Union. S’il s’agit, comme en l’espèce, d’une question de pur droit interne, la question n’entre pas dans son champ d’application.

2.
Une deuxième affaire est un recours en manquement (258 TFUE) vu le maintien de dérogations aux mesures visant à prévenir une utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs conclus avec les intermittents du spectacle (manquement à la clause 5 de l’Accord-cadre).

La loi luxembourgeoise autorise en effet la conclusion de contrats à durée déterminée d’une durée maximum de 24 mois renouvellements compris avec une dérogation prévoyant la possibilité de renouvellements même plus de deux fois et pour une durée supérieure à 24 mois pour les intermittents du spectacle.

L’objet du recours en manquement est qu’il n’existe dans la loi luxembourgeoise aucune mesure préventive du recours abusif à des contrats à durée déterminée successifs pour ces travailleurs, un des buts premiers de l’Accord-cadre - qui rappelle que le bénéfice de la stabilité d’emploi est un élément majeur de la protection des travailleurs – étant de n’autoriser le recours à ce type de contrats que dans certaines circonstances. Pour la Commission, il s’agit d’un manquement à la clause 5, point 1.

Dans son arrêt du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, n° C-238/14 (COMMISSION EUROPEENNE c/GRAND DUCHE DE LUXEMBOURG), la Cour a rappelé que pour prévenir des abus, il faut des ‘raisons objectives’ à la conclusion des contrats à durée déterminée successifs et qu’il faut entendre par là des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et étant de nature à justifier dans ce contexte particulier la conclusion de ces contrats.

Une disposition nationale qui se borne à autoriser de manière générale et abstraite par une norme législative ou réglementaire le recours à ces contrats n’est pas conforme à l’Accord-cadre, d’autant qu’il est constaté que ce type de personnel peut être engagé pour satisfaire des besoins permanents et durables.

La Cour ajoute que si les États membres sont en droit de tenir compte des besoins particuliers d’un secteur spécifique, ceci ne signifie pas qu’ils sont dispensés de respecter l’obligation de prévenir et de sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs.

Elle conclut qu’il y a manquement, la législation luxembourgeoise ne comportant pas de mesure préventive du recours abusif à des contrats à durée déterminée successifs.

3.
Dans la troisième affaire, un membre du personnel auxiliaire du Conseil d’Etat - également affecté auprès du Tribunal constitutionnel et du Conseil Economique et social - sollicitait l’octroi de primes triennales d’ancienneté (avec effet rétroactif). Ces primes n’étant pas prévues pour le personnel auxiliaire, mais uniquement pour le personnel statutaire ou intérimaire, elles avaient été refusées. La juridiction de renvoi a posé à la Cour de Justice la question de savoir si ce personnel ne pourrait pas relever de la définition de personnel à durée déterminée au sens de la clause 3, point 1 de l’Accord-cadre eu égard aux motifs dans lesquels il est recouru à ce type d’engagement (postes exceptionnels et circonscrits aux missions de confiance et de conseil spécial) et si le principe de non-discrimination énoncé à la clause 4, point 4 de l’Accord-cadre ne leur est pas applicable, imposant de leur accorder les mêmes rémunérations que celles dont bénéficient les autres catégories de personnel.

Dans son arrêt du 9 juillet 2015 (C.J.U.E., 9 juillet 2015, n° C-177/14 (REGOJO DANS c/CONSEJO DE ESTADO)), la Cour a rappelé que la Directive 1999/70 et l’Accord-cadre trouvent à s’appliquer à l’ensemble des travailleurs fournissant des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation d’emploi à durée déterminée et que les spécificités invoquées ne sont pas pertinentes : un contrat ou une relation de travail qui prend automatiquement fin à un moment donné doit être considéré comme affecté d’un terme conformément à la clause 3, point 1 de l’Accord-cadre. Cette clause a pour objet d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature soit utilisée par l’employeur pour priver les travailleurs en cause de droits reconnus aux travailleurs à durée indéterminée.

Les primes en cause relèvent de la notion de ‘conditions d’emploi’ au sens de la clause 4, point 1 et les travailleurs à durée déterminée ne peuvent être traités moins favorablement que les travailleurs à durée indéterminée se trouvant dans une situation comparable, situation qu’il appartient au juge national de vérifier. Elle précise, dans les indications données en vue de cet examen, que la notion de ‘raisons objectives’ figurant à la clause 4, point 1 de l’Accord-cadre ne permet pas de justifier une différence de traitement par le fait que celle-ci est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle qu’une loi ou une convention collective. L’inégalité de traitement ne peut être justifiée que par des éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents.


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