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Maladie professionnelle et accident du travail : quel secteur doit prendre l’incapacité temporaire en charge ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, le 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/439

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, le 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/439

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine une demande d’indemnisation de risque professionnel susceptible d’être mise à charge du secteur accident du travail ou de celui des maladies professionnelles.

Les faits

Un maître-nageur affecté à une piscine provinciale est sensible aux vapeurs de chlore depuis les années ’90.

Dans un premier temps, un dossier est introduit auprès du Fonds des Maladies Professionnelles mais n’aboutit pas.

Les problèmes de santé de l’intéressé deviennent plus aigus pendant l’année 1995. En 1999, il est amené à introduire une déclaration d’accident du travail suite à des lésions (muqueuses nasales, voies respiratoires et yeux) dues à un accident de chloration. La Province, employeur, considère qu’il n’y a pas d’accident du travail mais ouvre un dossier dans le secteur des maladies professionnelles. Dans celui-ci, le dossier est traité sur le plan technique par le FMP. L’exposition au risque révèle une maladie provoquée par certains agents chimiques, liés au chlore. Les périodes d’incapacité temporaire sont prises en charge par le FMP qui a, également, le rôle de « réassureur ».

En 2003, la situation se complique à nouveau, l’intéressé présentant des réactions d’intolérance et de fortes inflammations des muqueuses.

Il tombe en incapacité de travail pendant plusieurs mois.

Le dossier est traité dans le cadre d’un accident du travail et la Province l’invite également à introduire une nouvelle demande de réparation de maladie professionnelle.

Dans le cadre de l’accident du travail, le « réassureur » est à l’époque la SMAP. Celle-ci estime qu’il y accident du travail et marque accord pour intervenir, arrêtant cependant son intervention après une durée d’un mois. Elle considère que les absences postérieures à celle-ci ne doivent pas être indemnisées par elle. Parallèlement, le FMP considère également qu’il ne doit pas intervenir du tout, ne s’agissant pas d’une lésion apparue dans le cadre d’une maladie professionnelle.

Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles contre la Province. Le FMP intervient volontairement à la cause.

Sur la base des éléments d’ordre médical, le tribunal du travail ordonne un expert, dont la mission est notamment de déterminer si l’incapacité est la conséquence de l’accident du travail (qui a été admis) ou de l’exposition prolongée aux agents chimiques en cause (qui ne l’a pas été).

Le rapport de l’expert judiciaire va dans le sens d’une hypersensibilité des voies aéro-digestives supérieures et des muqueuses au chlore. Il considère que les incapacités temporaires postérieures à la fin de la période d’indemnisation admise par la SMAP (dans le cadre de l’accident du travail de 2003), sont à imputer à une maladie professionnelle. Il considère que doivent dès lors être prises en charge dans ce cadre toutes les incapacités temporaires allant jusqu’à la reprise du travail avec réaffectation à un autre poste de travail.

Le FMP interjette appel.

Position des parties devant la cour

Sur le fond, pour le FMP, dès lors que l’épisode a été admis comme accident du travail, il ne peut y avoir de prise en charge dans le secteur des maladies professionnelles pour la période après la fin de l’intervention de l’assureur-loi.

Il considère également que la maladie professionnelle avait été reconnue à l’époque. Le principe de l’atteinte d’une maladie professionnelle étant admis, les périodes d’incapacité temporaire de travail à ce moment avaient été prises en charge mais l’intervention du Fonds s’était clôturée suite aux conclusions de l’examen d’expertise de son service médical. Le dossier avait donc fait l’objet d’une décision de guérison sans séquelles et ceci n’avait pas été contesté.

Pour le FMP, l’on ne se trouve dès lors pas, dans l’épisode actuellement en litige, dans le cadre de séquelles indemnisables d’une maladie professionnelle.

Quant aux autres parties, elles s’alignent sur le jugement.

Décision de la cour du travail

Après avoir rappelé les dispositions légales, la cour relève que l’expert judiciaire a bien fait la différence entre l’accident du travail et la maladie professionnelle. Ceci a également été souligné dans les divers rapports médicaux au dossier, étant d’une part celui du médecin-conseil de l’employeur et d’autre part celui du médecin de recours de la victime. Un sapiteur pneumologue a également été consulté, aux fins de savoir par des tests non invasifs (absence de tests de provocation) si des séquelles de la maladie existaient encore. Cette expertise a été menée à la fin des années 2000 et, en entretemps, l’intéressé a été réaffecté à un travail administratif. Menant par ailleurs une vie saine avec une activité sportive régulière, il ne souffre plus, à ce moment, de séquelles identifiables.

Se fondant également sur la littérature scientifique, l’expert désigné a opté pour la prise en charge des incapacités temporaires litigieuses dans le secteur des maladies professionnelles. En effet, tout en relevant qu’il y a eu une exposition accidentelle soudaine et limitée dans le temps à un excès d’émanations de chlore (ce qui est conforme à la définition d’un événement soudain permettant une indemnisation en accident du travail), il a conclu que l’absentéisme prolongé a été imposé à l’intéressé par la crainte d’être victime d’un nouvel accident du travail suite à une nouvelle surchloration.

L’expert a dès lors considéré que la situation de celui-ci correspond à la maladie professionnelle, étant, selon l’article 32 des lois coordonnées, que la réparation est due, dans la mesure où la personne a été exposée au risque professionnel de ladite maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle pouvait prétendre au bénéfice de la réparation légale. Selon l’article 32, alinéa 2, le risque professionnel doit être retenu lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.

La cour confirme dès lors le jugement sauf en ce qu’il contenait une condamnation directe du Fonds des maladies Professionnelles à indemniser l’intéressé, la cour relevant que, dans le secteur public, la condamnation doit être prononcée à l’égard de l’autorité.

Intérêt de la décision

L’espèce tranchée dans cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles permet de rappeler l’articulation des règles dans les deux secteurs du risque professionnel. Il s’agit en l’espèce du régime public mais les règles sont identiques dans le privé, pour ce qui est de la détermination du secteur (accident du travail ou maladie professionnelle) qui doit prendre en charge la réparation.

La spécificité de la situation en l’espèce était que l’exposition au risque professionnel avait été admise et qu’une première indemnisation était intervenue dans le passé pour des périodes d’incapacité temporaire. Cependant, un dossier ayant été introduit dans le cadre des accidents du travail, il a été constaté que les conditions de reconnaissance du fait accidentel étaient remplies et, de ce fait, l’incapacité temporaire pour une période déterminée (brève) est intervenue. L’arrêt de l’indemnisation a cependant été décidé très rapidement, plaçant l’intéressé dans une situation délicate, étant de savoir à charge de quel secteur les périodes d’incapacité temporaire ultérieures devaient être mises.

Si, s’agissant du secteur public, le débiteur reste le même dans l’hypothèse d’un accident du travail que dans celle d’une maladie professionnelle, c’est le travailleur, en tant que demandeur au procès qui a dû déterminer l’objet de sa demande, étant la prise en charge des périodes d’incapacité temporaire.

L’on peut encore souligner que la position du « réassureur » n’est pas légalement contraignante, la partie impliquée étant l’employeur public lui-même. En cas de décision par son « réassureur », l’employeur public confirme généralement et concomitamment sa propre décision. C’est celle-ci qui est l’élément juridique à contester.


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