Terralaboris asbl

Reclassement professionnel : obligation pour le travailleur de contribuer à sa reconversion

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. 2013/AB/771

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2015


Cour du travail de Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/771

TERRA LABORIS ASBL

Par arrêt du 20 avril 2015, la cour du travail de Bruxelles examine les obligations respectives des parties dans le cadre d’une procédure de reclassement et conclut qu’un employeur qui, ayant respecté les obligations lui incombant, constate qu’un travailleur reste en défaut de collaborer à son propre reclassement, ce alors même qu’en préambule la CCT d’entreprise requiert motivation et efforts des membres du personnel en vue de leur reconversion, ne commet aucun manquement à ses engagements lorsque, faisant valoir qu’aucun poste de travail définitif ne peut être fourni à l’intéressé en raison des restrictions médicales auxquelles son reclassement est conditionné et de son manque de qualifications techniques, il met fin au contrat dans les conditions conventionnellement prévues.

Les faits

En mai 2000, Mr. Y.A. est engagé à durée indéterminée par la STIB en qualité d’ouvrier pour exercer une fonction de conducteur de tram.

Le 9 février 2005, il est victime d’une agression, reconnue comme accident du travail entraînant une incapacité temporaire totale de travail jusqu’au 18 avril 2005.

Le lendemain, le conseiller en prévention-médecin du travail déclare Mr. Y.A. inapte à reprendre son travail de conducteur, mais apte à un travail sans contact avec les usagers que la STIB ne peut lui procurer. Elle propose en revanche un emploi à la cafétéria, que l’intéressé refuse.

L’incapacité de travail de l’intéressé est alors prolongée par son médecin traitant et acceptée par le médecin-conseil de l’assureur qui fixe ensuite la fin de la période d’incapacité temporaire totale au 15 janvier 2006.

Dès le lendemain, Mr. Y.A. est affecté à une fonction de lecture des cassettes de caméra vidéo, poste que le médecin du travail note comme lui convenant bien.

En février et mai 2006, le médecin du travail reconduit son évaluation d’inaptitude pour le poste de conducteur avec recommandation d’une activité sans conduite de véhicule, ni contact avec la clientèle, et ce jusqu’au 9 juillet 2006.

À l’échéance de cette période, Mr. Y.A. ne s’est plus présenté au service de Mobilité interne de la STIB, en dépit des rappels téléphoniques de celui-ci. Il ne se représente auprès du médecin du travail que le 27 novembre 2006.

Le 11 décembre suivant, ledit service adresse à Mr. Y.A. un courrier recommandé faisant état de son absence de réaction aux multiples convocations adressées, lui indique que son affectation aux cassettes vidéo prendrait fin le 13 décembre et lui demande de prendre rendez-vous le 14 décembre avec le service médical.

Le 15 décembre, le conseiller en prévention-médecin du travail considère que Mr. Y.A. est définitivement inapte à son poste de conducteur et recommande à nouveau une activité sans conduite de véhicule (pas de poste de sécurité) et sans source de conflits avec la clientèle. Mr. Y.A. n’introduit pas de recours contre cette décision médicale.

Le 21 décembre, la STIB lui notifie sa décision de mettre fin à son contrat de travail avec effet immédiat, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis pour le motif suivant : « Ne convient plus pour la fonction pour le poste de conduite ».

Le jugement dont appel

Mr. Y.A. postule condamnation de son employeur au paiement des indemnités forfaitaires dues pour licenciement abusif et pour discrimination ainsi que des indemnités de procédure.

Par un jugement en date du 28 mars 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles le déboute de sa demande et le condamne aux dépens.

Position des parties en appel

Mr. Y.A. demande à la cour de mettre ce jugement à néant et de condamner la STIB à lui payer les sommes qu’il estime devoir lui revenir pour licenciement abusif et discrimination, majorées des intérêts et dépens, ainsi que un euro provisionnel à titre d’indemnisation des préjudices résultant, dans son chef, de l’irrespect par la STIB de ses obligations de reclassement telles que prévue par CCT d’entreprise en date du 28 juin 2006.

La STIB réfute et demande la condamnation de l’intéressé aux dépens des deux instances.

Position de la cour

Quant à la demande de dommages et intérêts pour non-respect des obligations de reclassement

Mr. Y.A. reproche essentiellement à la STIB d’avoir méconnu les obligations qui lui incombent en vertu de la CCT précitée suite à la constatation de son incapacité définitive à exercer sa fonction de conducteur.

La cour considère qu’il n’y a pas lieu de limiter l’examen à la période prenant cours le 15 décembre 2006, date à laquelle le médecin du travail a considéré qu’il était définitivement inapte à son poste de conducteur, mais qu’il faut examiner le comportement des deux parties depuis le 19 avril 2005, date à laquelle le médecin du travail a émis l’avis que Mr. Y.A. pouvait reprendre le travail à un autre poste, avec restrictions médicales.

Elle relève à ce titre que la CCT d’entreprise prévoit que tout travailleur affecté d’une inaptitude temporaire pour raison médicale peut bénéficier, quelle que soit son ancienneté et pour autant que l’organisation de l’entreprise le permette, d’une mise au travail moyennant adaptation de la fonction ou affectation à une autre fonction (art. 6) et constate que, dans le cours de la période d’incapacité temporaire,

  • si la STIB a rempli ses obligations en proposant d’abord à son travailleur une fonction à la cafétéria, fonction que celui-ci a refusée, puis une affectation à la lecture des cassettes vidéo,
  • il en va tout autrement dans le chef du travailleur. Elle note plus particulièrement que :
    • aussi longtemps que son incapacité temporaire totale a été reconnue, et donc indemnisée, par l’assureur AT, celui-ci n’a élevé aucune contestation au sujet de son éventuelle remise au travail à un poste convenable,
    • alors que le préambule de cette même CCT requiert la motivation et les efforts des travailleurs en vue de leur reconversion, une fois provisoirement affecté à une autre fonction, l’intéressé est resté en défaut de se présenter auprès du conseiller en prévention-médecin du travail à la fin de chaque période pour laquelle celui-ci avait confirmé son incapacité temporaire, ce qui traduit, de sa part, un manque de collaboration certain à sa propre reconversion.

Pour ce qui est de la période suivant la constatation de l’inaptitude définitive de Mr. Y.A à exercer sa fonction de conducteur, décision médicale que l’intéressé n’a pas contestée, et sa recommandation à l’affecter à une activité sans conduite de véhicule, ni source de conflits avec le public, la cour ne constate, de même, aucun manquement de la STIB à son obligation de reclassement et confirme que, celui-ci étant impossible du fait des restrictions médicales ou de manque de qualifications techniques du travailleur, l’employeur était en droit de mettre fin à son contrat comme prévu à l’article 4.2 de la CCT d’entreprise.

La demande de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de reclassement n’est donc pas fondée.

Quant aux autres chefs de demande

La cour ne retient pas plus les demandes d’indemnités pour licenciement abusif et pour discrimination.

Elle estime la première infondée, le licenciement du travailleur, lié à son aptitude, n’étant pas manifestement déraisonnable eu égard à l’impossibilité de reconversion dans une autre fonction.

Par ailleurs, la cour, qui admet que Mr. Y.A. a subi un traitement défavorable fondé sur son état de santé, rappelle qu’une différence de traitement ne constitue une discrimination que si elle manque de justification objective et raisonnable et, que dans le domaine des relations de travail, une différence de traitement repose sur pareille justification lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée.

Elle note que la caractéristique qui a déterminé le licenciement de Mr. Y.A. est son inaptitude définitive à exercer sa fonction de conducteur et que, au sens médical du terme, l’aptitude à exercer une fonction est bien une exigence professionnelle essentielle et déterminante, laquelle ne lui paraît pas disproportionnée dès lors qu’une reconversion a été recherchée, mais en vain.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt très nuancé, la cour adopte au vu des termes de la convention d’entreprise applicable une solution conforme aux principes généraux en relevant les obligations mises à charge du travailleur dans le cadre de son reclassement dans l’entreprise. Il ne peut être fait grief à l’employeur de procéder au licenciement lorsqu’il a été dûment constaté que le travailleur avait manqué à ses obligations propres.
Par ailleurs, sur le terrain de la discrimination, elle rappelle utilement que toute différence de traitement n’est pas pour autant une discrimination prohibée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be