Terralaboris asbl

Secteur des fabrications métalliques : conditions d’électorat et d’éligibilité de la délégation syndicale

Commentaire de C. trav. Mons, 5 septembre 2014, R.G. 2013/AM/102

Mis en ligne le jeudi 10 septembre 2015


Cour du travail de Mons, 5 septembre 2014, R.G. n° 2013/AM/102

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2014, la Cour du travail de Mons ordonne la tenue de nouvelles élections à la délégation syndicale du personnel employé dans plusieurs sociétés d’un même groupe relevant du secteur des fabrications métalliques, et ce eu égard à l’illégalité des conditions reprises dans la convention sectorielle.

Les faits

Dans une société dépendant de la commission paritaire pour employés des fabrications métalliques, des élections interviennent en mai 2012 pour le renouvellement de la délégation syndicale. L’employeur refuse que les employés « non barémisés » ou « barémisables » puissent figurer tant sur la liste des électeurs que sur celle des candidats. Par ailleurs, le nombre de membres effectifs et suppléants de la délégation est limité à cinq, et ce sur la base des employés restants après la non prise en compte des précédents.

Un recours est introduit devant les juridictions du travail, considérant qu’il y a traitement discriminatoire dans l’exercice du droit à la liberté syndicale ainsi qu’à la négociation collective. Les organisations syndicales et leurs représentants concluent à la violation de normes supérieures, étant les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 23, 27 et 14 de la Convention de Sauvegarde ainsi que les articles 11 et 6 de la Charte sociale européenne révisée.

Ils demandent en conséquence à la cour de conclure à la nullité des dispositions de la convention collective intervenue en contrariété avec ces normes.

Décision de la cour du travail

La cour examine les décisions dont la nullité est demandée, s’agissant des articles 2, 6 et 8 de la Convention collective de travail du 6 février 1996 conclue au sein de la commission paritaire en cause concernant le statut de la délégation syndicale du personnel « employés » (arrêté royal du 5 septembre 2001).

L’article 2 définit les « employés syndiqués » comme ceux affiliés à une des organisations représentées à la commission paritaire et visés par la convention collective de travail conclue entre les organisations signataires. La cour constate que seuls sont ainsi représentés auprès de l’employeur les employés syndiqués qui exercent une fonction reprise dans la classification définie par une convention collective de travail et qui bénéficient (ou sont susceptibles de bénéficier) du barème correspondant à cette fonction tel que prévu par la C.C.T. (et ce eu égard également aux articles 6 et 8 de la C.C.T., ce dernier visant les employés barémisés et barémisables occupés dans l’entreprise).

Après avoir constaté que la classification des fonctions du personnel « employé » a relativement peu évolué dans les soixante dernières années, la cour souligne que de nouveaux emplois liés à l’évolution des technologies sont apparues, dans les dernières années, des organigrammes des entreprises industrielles ayant d’ailleurs été modifiés à telle enseigne qu’il y a un véritable essor des cadres, étant une structure intermédiaire entre la direction et le personnel barémisé. De plus en plus d’emplois ne correspondent dès lors plus à la classification définie dans les conventions collectives de travail et de ce fait, une partie des employés - même s’ils sont syndiqués - ne sont pas représentés.

La cour examine dès lors la conformité de la situation de l’espèce avec le principe d’égalité des Belges devant la loi contenu à l’article 10 de la Constitution ainsi qu’avec son article 11, qui fixe le principe de non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés. Elle se livre ainsi à un long examen du texte, soulignant notamment qu’empêcher des employés syndiqués de bénéficier de certains avantages constitue également une entrave à la liberté d’association garantie notamment par les articles 27 de la Constitution et 11 de la Convention de Sauvegarde et encore par la loi du 24 mai 1921.

Rappelant les missions de la délégation syndicale, elle conclut à la violation des règles d’égalité et de non-discrimination.

Le droit d’être représenté ne dépend, comme elle le rappelle, ni du mode de fixation de la rémunération ni de la fonction précise exercée, sauf si l’employé fait partie du personnel de direction au sens de la loi du 4 décembre 2007 (la cour précisant bien que c’est ce cadre légal qu’il faut retenir et non la signification beaucoup plus large de la notion).

En conséquence, elle prononce la nullité des articles 2, 6 et 8 de la convention collective de travail, en vertu de l’article 9 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Les employés non classifiés, non barémisés ou non barémisables ne peuvent être empêchés de participer comme électeurs ou comme candidats à l’élection des délégués syndicaux. De même, ils doivent intervenir dans le nombre d’employés permettant de fixer le nombre de délégués (ce nombre figurant à l’article 8 de la convention collective, étant notamment que jusqu’à 124 employés, il y a 2 à 3 délégués, 4 pour la tranche suivante allant jusqu’à 250, etc.).

Quant aux conséquences de cette nullité, vu la discrimination constatée dans les élections syndicales qui ont eu lieu, la cour considère qu’il faut organiser de nouvelles élections respectant les principes dégagés ci-dessus.

Dans son dispositif, elle dit dès lors pour droit que, pour l’organisation des élections en vue de constituer la délégation syndicale du personnel « employé », les employés syndiqués doivent figurer sur la liste des électeurs (à l’exception du personnel de direction tel que défini par la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales) et que tous les employés hors ce même personnel de direction doit entrer en ligne de compte pour fixer le nombre de membres effectifs et suppléants de la délégation.

Intérêt de la décision

Outre que la cour ordonne la tenue de nouvelles élections pour la constitution de la délégation syndicale – situation assez exceptionnelle -, l’intérêt de l’arrêt et de confronter les dispositions de la convention collective en cause aux normes supérieures. Parmi celles qui avaient été invoquées, ce sont essentiellement les articles 10 et 11 de la Constitution que la cour examine, rappelant avec la Cour de cassation (Cass., 21 février 2013, Pas., 466) que le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

L’examen de la conformité des dispositions de la convention collective sectorielle avec ces principes constitutionnels est renforcé par le recours aux articles 27 de la Constitution et 11 de la Convention de Sauvegarde (ainsi que par la loi du 24 mai 1921) relatifs à la garantie de la liberté d’association. La cour renvoie également à la convention collective n° 5 (convention « cadre ») dans laquelle le principe est posé que les employeurs s’engagent à ne pas porter, directement ou indirectement, aucune entrave à la liberté d’association des travailleurs ni aux libre développement de leur organisation dans l’entreprise.


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