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La perception d’allocations aux personnes handicapées exclut-elle la capacité de gain en AMI ?

Commentaire Trib. trav. Bruxelles, 22 mai 2015, R.G. 13/13.520/A

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2015


Tribunal du travail de Bruxelles, 22 mai 2015, R.G. n° 13/13.520/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 22 mai 2015, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles fait un rappel complet et minutieux du mécanisme de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée eu égard à l’exigence de l’existence d’une capacité de gain initiale, comme condition d’indemnisation en cas de perte de capacité de plus de 66%.

Les faits

Monsieur B., né en 1957, est en litige avec son organisme assureur AMI, qui notifie en septembre 2013 une fin d’incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail, qui reconstitue la carrière de l’intéressé, sur le plan des études (études universitaires non terminées) et de l’activité professionnelle ensuite (travail comme indépendant et comme salarié).

Monsieur B. a été reconnu comme personne handicapée par le SPF Sécurité sociale, bénéficiant d’allocations à partir de mars 1997. Il a retrouvé un travail à temps partiel en 2006 et ensuite à temps plein en 2010, repassant à temps partiel en mars 2012. Cette dernière occupation a été très brève, l’employeur ayant rompu le contrat avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Après quelques mois de prise en charge par l’organisme assureur, l’intéressé a pu bénéficier d’allocations de chômage vu son passé professionnel (815 journées reconnues).

Un litige médical est alors survenu avec l’ONEm, le médecin agréé considérant en octobre 2012 qu’il y avait perte de plus des deux tiers de la capacité de travail. Il fut ainsi exclu des allocations de chômage en novembre 2012 pour inaptitude. C’est suite à cette décision qu’il se réinscrivit à la mutuelle et fut indemnisé jusqu’à la notification de la décision de fin d’incapacité litigieuse.

Vu la contestation de la décision de la mutuelle, le chômage a accepté de l’indemniser pendant la durée de la procédure, dans le cadre des allocations provisoires prévues à l’article 62, § 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

Position des parties

Le tribunal résume la position de chacune des parties, la situation de Monsieur B. étant spécifique, à savoir que la mutuelle ne conteste pas l’incapacité de travail mais estime qu’il y a un retour à l’état antérieur, vu l’existence d’un état préexistant (le SPF Sécurité sociale ayant reconnu la même pathologie depuis près de vingt ans).

Monsieur B. fait pour sa part valoir que la mutuelle n’a pas précédemment fait valoir un « état antérieur ». Il considère avoir eu une réelle capacité de travail, comme en témoignent ses activités professionnelles. Il rappelle qu’il a travaillé nonobstant l’existence de la pathologie et plaide devant le tribunal qu’il serait inacceptable de considérer qu’une fois qu’une personne travaille avec une pathologie avérée, elle ne pourrait pas être reconnue incapable de travailler lorsque celle-ci entraîne une incapacité de travail, et ce au motif qu’elle aurait accepté de travailler tout en étant atteinte de la maladie en cause.

Il conclut que, sa capacité de gain étant établie, il n’y a pas lieu de désigner un expert, l’incapacité de travail n’étant par ailleurs pas contestée.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal fait un important rappel des règles en matière d’indemnisation dans le secteur AMI, soulignant que celui-ci n’indemnise pas la cessation du travail en raison de lésions ou de troubles fonctionnels qui préexistaient à l’acquisition de la qualité de titulaire.

Il faut avoir eu une capacité de gain pour pouvoir la perdre. Pour le tribunal, il faut ici distinguer l’assuré social qui n’a jamais travaillé de celui qui a une carrière professionnelle, seul ce dernier pouvant être reconnu incapable de travailler dans le secteur AMI suite à l’aggravation de son handicap.

Il renvoie à la doctrine spécialisée selon laquelle il suffit que l’aggravation même minime entraîne une incapacité de gain des deux tiers (F. FALEZ, « L’état antérieur en assurance maladie-invalidité », in P. LUCAS et M. STEHMAN (dir.), L’évaluation et la réparation du dommage corporel. Questions choisies, Anthémis, 2013, p. 92).

En outre, l’aggravation de l’état de santé doit être la cause directe de la cessation de travail. Elle ne doit cependant pas être la cause de la réduction de la capacité de gain à un tiers ou moins.

Il en découle que, pour apprécier le taux des 66% correspondant à la capacité de travail perdue, il ne faut pas uniquement tenir compte de l’aggravation. Le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er octobre 1990 (Cass., 1er octobre 1990, n° 7145), selon lequel pour évaluer l’incapacité de travail il faut déterminer la réduction de la capacité de gain en fonction de l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels existant au moment de l’interruption de travail et non uniquement en fonction de nouvelles lésions, de nouveaux troubles fonctionnels, ou d’une aggravation de lésions et de troubles fonctionnels existants, qui ont entraîné l’interruption.

La difficulté en l’espèce, comme le relève le tribunal, est d’appliquer correctement ces notions à une personne entrée sur le marché du travail au début des années ’80 dans le secteur des indépendants. Relevant que c’est le médecin conseil de l’UNMS qui a pris la décision de notifier la fin de l’incapacité de travail, c’est à lui qu’incombe la mission de documenter son avis et le tribunal relève qu’il est « pour le moins concis ». Déplorant que l’ensemble du dossier médical n’ait pas été transmis, il retient néanmoins que le handicap semble avoir été reconnu quelques années après la fin de la première occupation comme travailleur salarié et que le passé professionnel démontre à suffisance de droit l’existence d’une capacité initiale de gain.

Par ailleurs, sur l’expertise, le juge rappelle qu’il ne peut déléguer sa juridiction sur une question juridique, ceci étant contraire à l’article 11 du Code judiciaire.

Reprenant la problématique à partir de la situation de l’intéressé dans le secteur des prestations aux personnes handicapées, le tribunal rappelle encore que la cessation d’activité n’est pas une condition pour bénéficier d’une allocation de remplacement de revenus, le critère étant la perte de capacité de plus de deux tiers par rapport à une personne valide et le bénéficiaire de cette allocation pouvant très bien travailler.

Il rappelle également la doctrine de P. PALSTERMAN (P. PALSTERMAN, « Assurance obligatoire soins de santé et indemnités : la problématique de l’état antérieur dans l’octroi d’indemnités d’assurance maladie (régime des travailleurs salariés) » in F. ETIENNE et M. DUMONT (dir.), Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., Anthémis, 2012, p. 899), selon laquelle de nombreuses personnes handicapées sont prises en charge soit par l’assurance maladie-invalidité, soit l’assurance chômage (les allocations tenant d’ailleurs compte des montants perçus dans ces secteurs contributifs).

L’absence de capacité initiale n’est dès lors pas établie. Le tribunal va, en conséquence, conclure que l’intéressé prouve que la cessation de toute activité est la conséquence directe de l’aggravation de ses troubles fonctionnels, entraînant une réduction de plus de deux tiers de sa capacité de gain.

Intérêt de la décision

Le cas tranché par le Tribunal du travail de Bruxelles dans ce jugement met en présence les trois secteurs dans lesquels l’intéressé est susceptible de faire valoir des droits. La question essentielle, dont les principes sont rappelés de manière approfondie, concerne l’existence de la capacité de gain lors de l’insertion sur le marché du travail.

Outre le débat général relatif à la recherche de cette capacité de gain, le tribunal met le doigt sur des éléments importants, dans ce type de procédure, à savoir l’importance de la documentation médicale qui permettra de décider de la conclusion juridique. En l’occurrence le tribunal rappelle très judicieusement que, si la mutuelle n’a pas la charge de la preuve, elle ne peut se borner à renvoyer l’intéressé à un « état antérieur » lié à la reconnaissance d’un handicap indemnisé pour mettre fin à l’incapacité de travail précédemment reconnue. Dans la mesure où son médecin conseil a pris la décision de mettre fin à la reconnaissance de l’incapacité, c’est à lui qu’incombe la mission de documenter son avis en déposant l’intégralité du dossier (dont en l’occurrence les pièces appartenant au dossier au SPF Sécurité sociale).


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