Terralaboris asbl

Invalidité : évaluation de la réduction de la capacité de gain et prise en considération de la possibilité pour le travailleur de gagner sa vie dans une activité salariée à temps partiel

Commentaire de Cass., 18 mai 2015, n° S.13.0012.F

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour de cassation, 18 mai 2015, R.G. n° S.13.0012.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 mai 2015, la Cour de cassation examine la notion de « personne de même condition » reprise à l’article 100 de la loi AMI, eu égard à la possibilité pour un travailleur de reprendre un travail à temps partiel alors qu’il était précédemment occupé à temps plein.

Les faits et antécédents de la cause

Le litige oppose une travailleuse salariée à l’INAMI. Cette travailleuse exerçait des activités salariées à temps plein.

L’INAMI a mis fin à son état d’invalidité. Cette décision a été contestée par la travailleuse.

Pour déterminer le groupe de professions restant accessibles à cette travailleuse, l’expert médical désigné par le tribunal a relevé qu’elle avait un diplôme universitaire en philologie anglaise, qu’elle avait exercé des activités professionnelles de secrétaire, traductrice et gérante de restaurant et qu’au début de l’incapacité, elle était responsable d’une agence d’agents de change. Il a aussi relevé qu’elle connaissait plusieurs langues. Il a exclu parmi les activités accessibles qu’elle puisse reprendre une activité à temps plein et considéré qu’elle ne pourrait exercer qu’une activité professionnelle à mi-temps.

Le tribunal du travail a entériné la décision de l’INAMI mettant fin à son état d’incapacité.

Sur l’appel de la travailleuse, la cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 25 octobre 2012, a réformé cette décision.

La cour du travail a décidé qu’un reclassement à mi-temps ne permet pas de considérer que l’incapacité de travail a pris fin. Elle a motivé sa décision en relevant qu’au sens de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, le travailleur de référence devait être un travailleur de même condition. Or, il a été confirmé que la travailleuse était précédemment occupée à temps plein, en sorte que le taux d’incapacité devait être apprécié par rapport à un travailleur à temps plein. La cour du travail a souligné qu’il ne pouvait être question d’une capacité de travail que si l’ensemble des tâches afférentes à l’activité pouvaient être assumées par le travailleur et qu’une personne qui ne peut travailler que quelques heures par jour, même éventuellement d’affilée, reste en état d’incapacité de travail pour n’importe quelle activité : « En d’autres termes, l’incapacité ne cesse que pour autant que, parmi les professions dans lesquelles se range l’activité professionnelle exercée avant l’incapacité ou parmi les diverses professions que la formation professionnelle permet d’envisager, certaines puissent être exercées à temps plein ».

La cour du travail a également précisé que cette interprétation était conforme à l’économie générale des lois coordonnées relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités. En effet, l’article 100, § 2, de cette loi maintient le bénéfice de l’assurance en faveur de celui qui, tout en conservant une réduction de sa capacité d’au moins 50%, reprend une activité à temps partiel avec l’autorisation du médecin-conseil de son organisme assureur. Pour la cour du travail, il était donc conforme à la logique du système que cette personne relève de l’assurance indemnités et non, le cas échéant, de l’assurance chômage.

L’INAMI s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

La procédure devant la Cour de cassation

L’INAMI a proposé un moyen divisé en deux branches. La première branche, qui sera négligée, faisait grief à l’arrêt d’avoir violé l’article 774, alinéa 2, du Code judiciaire et le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

La seconde branche était prise de la violation des articles 100, § 1er, alinéa 1er et § 2, des lois coordonnées.

L’INAMI soutenait en substance que la condition prévue à l’article 100, § 1er – qui est que les lésions ou troubles fonctionnels entraînent une réduction de la capacité de gain à un taux égal ou inférieur au tiers de ce qu’une personne de même condition et de même formation peut gagner par son travail dans le groupe de professions dans lesquelles se range l’activité professionnelle exercée par l’intéressé au moment où il est devenu incapable de travailler ou dans les diverses professions qu’il a ou qu’il aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle - ne visait pas une réduction du volume de travail mais une réduction de la capacité de gain à un tiers ou à moins d’un tiers, ce qui correspond à une incapacité de 66%. Il n’est donc pas exigé que parmi les professions que l’intéressé a exercées ou qu’il pourrait exercer, certaines puissent être exercées à temps plein, même si le travailleur était précédemment occupé à temps plein. Or, soutenait l’INAMI, dès lors que le volume du travail n’est pas en soi un critère légal qui peut justifier la décision mais peut uniquement en constituer un élément d’appréciation, la cour du travail aurait dû examiner in concreto si la capacité de gain de la travailleuse s’était réduite à un taux égal ou inférieur au tiers, ce qu’elle n’a pas fait.

Quant à l’article 100, § 2, des lois coordonnées, l’INAMI soutenait que cette disposition, qui permet de maintenir dans le régime de l’assurance indemnités les travailleurs dont le reclassement n’est possible qu’à mi-temps, s’analyse comme une exception à la règle de l’article 100, § 1er, qui détermine comment doit être appréciée l’incapacité. L’article 100, § 2, n’a donc pas pour objet de déterminer comment doit être appréciée cette incapacité.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation accueille cette seconde branche en considérant en substance que l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi, « n’autorise pas à négliger, pour apprécier la capacité de gain restante du travailleur, celle qu’il a de gagner sa vie dans une activité professionnelle salariée à temps partiel ».

Elle relève d’autre part que l’article 100, § 2, déroge à la condition de capacité de gain fixée par le § 1er.

La Cour de cassation en déduit que cette disposition ne permet pas de justifier la décision que, faute de capacité de travail à temps plein, la travailleuse était incapable de travailler au sens de l’article 100, § 1er, alinéa 1er, violant dès lors cette disposition.

Intérêt de la décision

Terra Laboris a commenté pour SocialEye News plusieurs décisions sur l’appréciation de l’état d’incapacité de travail par l’assurance maladie-invalidité. Ces commentaires et les décisions sont publiés sur son site (www.terralaboris.be).

Dans leur ensemble, la doctrine (voy., M. Dumont et D. Desaive : L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ?, in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP Anthemis, pp. 270 et suiv. et les réf. citées, notamment aux contributions sur cette question de Ph. Gosseries et P. Palsterman) et la jurisprudence (largement citée dans la contribution de M. Dumont et de D. Desaive et notamment, publiée sur www.terralaboris.be : C. trav. Liège, Sect. Namur, 21 juin 2011, R.G. n° 2007/AM/8422 et C. trav. Bruxelles, 12 février 2010, R.G. n° 2004/AB/46.130) mettent l’accent sur ce : (i) que l’évaluation de l’incapacité doit être individualisée en prenant en compte divers éléments tel l’exercice antérieur d’une activité professionnelle et des facteurs propres à l’assuré social (possibilités réelles de reclassement, nationalité, langue, formation, rééducation professionnelle) et que (ii) ne peut être déclarée capable de travailler une personne dont l’aptitude au travail restante rend la reprise du travail illusoire ou chimérique. L’on ne peut donc, comme le souligne l’arrêt de la cour du travail de Liège du 21 juin 2011 précité, se fonder sur une liste de maladies possibles fournie de façon mécanique et qui est pour partie complètement dépassée et pour partie inadaptée à la situation concrète du travailleur compte tenu de ses affections invalidantes.

Ces principes ne sont pas remis en cause par la Cour de cassation. Ce qu’elle remet en cause c’est la portée, dans cette appréciation individualisée et réaliste, du concept de « personnes de même condition » de l’article 100, dont se déduirait, que pour un travailleur à temps plein, le taux d’incapacité doit être apprécié au regard de la possibilité de reprendre une activité à temps plein, au moins dans certaines des professions qu’il a exercées ou pourrait exercer en fonction de sa formation professionnelle.

Il ressort donc de l’arrêt de la Cour de cassation que le juge du fond ne peut poser en règle que, pour apprécier la capacité de gain restante du travailleur qui travaillait à temps plein, il convient de négliger sa capacité de gagner sa vie dans une activité professionnelle salariée à temps partiel.
Ainsi que le soulignait l’INAMI dans sa requête, cela ne veut pas dire que le volume du travail restant possible ne constitue pas un élément d’appréciation de la décision sur la capacité du travailleur. Mais il s’agit d’un élément parmi les autres et non d’un critère légal justifiant à lui seul la décision sur la permanence de l’état d’incapacité de travail.


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