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Travailleurs frontaliers : notion de travailleur en chômage complet ou en chômage partiel au sens du Règlement européen 1408/71

Commentaire de C.J.U.E., 5 février 2015, Aff. n° C-655/13

Mis en ligne le jeudi 20 août 2015


Cour de Justice, 5 février 2015, Aff. C-655/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 février 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne, reprenant la jurisprudence MIETHE et DE LAAT, rappelle la définition de travailleur en chômage complet ou en chômage partiel, situation qui dépend des liens que le travailleur conserve encore avec l’Etat compétent.

Les faits

Une employée est occupée pendant six ans en Allemagne pour une société allemande à temps plein. Elle est à cette époque domiciliée aux Pays-Bas.

Survient un changement d’employeur et l’intéressée retrouve du travail à temps partiel en Allemagne (soit dix heures par semaine).

Elle demande le bénéfice des allocations de chômage aux Pays-Bas. L’Office néerlandais rejette cette demande considérant qu’elle devait être qualifiée de travailleur salarié au sens du Règlement n° 1408/71 et que, se trouvant en chômage partiel, la demande d’allocations de chômage devait être introduite au lieu du travail, étant en Allemagne. Un recours est formé par l’intéressée devant la juridiction néerlandaise, qui confirme la décision administrative.

La demande est dès lors introduite en Allemagne. L’Agence allemande pour l’emploi la rejette, considérant conformément au Code social allemand, que l’intéressée avait la qualité de travailleur frontalier en chômage complet, vu que la continuation de la relation à temps partiel avait eu lieu avec un autre employeur. Un recours est introduit en Allemagne et celui-ci est rejeté.

L’intéressée revient dès lors vers la juridiction néerlandaise et interjette appel de la décision intervenue précédemment. Le tribunal saisi (Centrale Raad van Beroep) examine la jurisprudence européenne (C.J.U.E., 15 mars 2001, Aff. DE LAAT, C-444/98), rendue dans l’hypothèse où un travailleur frontalier n’avait plus aucun lien avec l’Etat membre dans lequel il avait travaillé et se trouvait dès lors en chômage complet au sens du règlement européen. La Cour de Justice y a retenu que l’Etat membre du lieu de résidence est compétent pour les prestations de chômage. La juridiction néerlandaise examine également la notion de chômage partiel appliquée au travailleur frontalier, pour laquelle la Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants a pris une décision (17 octobre 2005, décision n° 205). Elle y a considéré que le chômage partiel est lié au maintien ou à l’absence de tout lien contractuel entre travailleur et employeur.

Il semble, pour le juge néerlandais, que, pour qu’elle ait pu avoir la qualité de travailleur frontalier en chômage partiel, l’intéressée aurait dû se trouver dans une relation de travail continue ou nouvelle, même à temps partiel, mais consécutive à celle la liant au premier employeur. Ce n’est que lorsque le travailleur n’a plus aucun lien avec l’Etat membre compétent où il a travaillé et qu’il se trouve en chômage complet qu’il doit, selon la juridiction, s’adresser à l’institution de son lieu de résidence. C’est dès lors l’Etat membre qui offre le plus de possibilités pour la personne concernée de trouver un emploi complémentaire qui doit prendre en charge les prestations de chômage. Il s’agit en l’occurrence de l’Allemagne.

Cependant, vu la position de la juridiction allemande, qui a considéré que l’intéressée pouvait être considérée comme étant en chômage complet, une question est posée à la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question posée est de savoir si l’article 71, paragraphe 1, sous a), i) du Règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que le travailleur frontalier qui, immédiatement après la fin d’une relation de travail à temps plein avec un employeur dans un Etat membre qui n’est pas l’Etat de résidence, est employé à temps partiel par un autre employeur dans ce même Etat, a la qualité de travailleur frontalier en chômage partiel.

Décision de la Cour de Justice

La Cour de Justice répond à la question en disant pour droit qu’il s’agit d’un travailleur frontalier en chômage partiel au sens de la disposition visée.

Il faut en effet permettre au travailleur migrant de bénéficier des prestations de chômage dans les conditions les plus favorables à la recherche d’un nouvel emploi. C’est l’enseignement de l’arrêt MIETHE (C.J.U.E., 12 juin 1986, Aff. MIETHE, C-1/85). En vertu du Règlement européen le travailleur frontalier qui est en chômage complet est soumis à la législation de l’Etat membre du territoire où il réside. Ceci suppose implicitement qu’il y bénéficie des conditions les plus favorables à la recherche d’un emploi. S’il est par contre en chômage partiel ou accidentel dans l’entreprise qui l’occupe dans un autre Etat, il est également présumé implicitement que c’est dans cet Etat qu’il bénéficie des conditions les plus favorables à la recherche de cet emploi.

Les critères pour déterminer s’il y a chômage partiel ou chômage complet doivent être uniformes et fixés par le droit de l’Union, l’appréciation ne pouvant intervenir selon les critères du droit national.

Imposer au travailleur à temps partiel dans un Etat membre autre que celui de sa résidence de s’adresser à l’institution de l’Etat où il réside pour y trouver une aide dans la recherche d’un emploi n’atteindrait pas l’objectif du règlement, qui est la protection du travailleur. Le fait que l’emploi à temps plein soit devenu un emploi à temps partiel est sans pertinence.

La cour renvoie encore à d’autres éléments dégagés dans l’arrêt DE LAAT, étant que l’institution de l’Etat membre du lieu de résidence est moins en mesure que celle de l’Etat membre compétent d’aider le travailleur à trouver un emploi complémentaire. Ce n’est que lorsqu’il n’aurait plus aucun lien avec l’Etat compétent et qu’il se trouverait en chômage complet, qu’il doit s’adresser à l’institution de l’Etat du lieu de résidence.

La Cour de Justice rejette dès lors la position du gouvernement allemand et considère de même sans intérêt la circonstance que l’entreprise qui a occupé l’intéressée dans le cas du temps plein n’est pas la même que celle qui l’a engagée à temps partiel ultérieurement. Raisonner de la sorte réduirait considérablement le champ d’application de la disposition du Règlement.

La Cour en conclut que l’article 71, paragraphe 1, sous a), i), du Règlement 1408/71 ne peut être interprété en ce sens qu’il exclut de son champ d’application le travailleur frontalier qui a maintenu une relation de travail dans l’Etat membre compétent, fut-ce à temps partiel (considérant 30).

Intérêt de la décision

Outre l’illustration que cette affaire offre de la complexité des situations engendrées par une occupation dans un autre Etat que celui de l’Etat de résidence, l’intérêt de cette affaire est de rappeler en tout cas deux importants arrêts précédemment rendus par la Cour de Justice.

Dans l’arrêt MIETHE (C.J.U.E., 12 juin 1986, Aff. C-1/85), la Cour de Justice avait défini la notion de « travailleur autre que frontalier » relevant du champ d’application de l’article 71. Elle avait également dit pour droit que le travailleur frontalier en chômage complet relevant du champ d’application de cette disposition peut exclusivement prétendre aux prestations de l’Etat membre de résidence alors même qu’il remplirait les conditions exigées par la législation de l’Etat membre du dernier emploi.

Dans l’arrêt DE LAAT (C.J.U.E., 15 mars 2001, Aff. C-4744/98), elle avait souligné que les critères permettant de dire si un travailleur frontalier est en chômage partiel ou en chômage complet au sens du Règlement doivent être uniformes et communautaires et que cette appréciation ne peut se fonder sur les critères du droit national. Plus spécifiquement par rapport au cas DE LAAT, la Cour avait jugé que, si le frontalier reste employé par la même entreprise mais à temps partiel tout en restant candidat à temps plein, il est en chômage partiel et les prestations doivent être servies par l’institution compétente de cet Etat. Par contre, s’il n’a plus aucun lien avec cet Etat et qu’il se trouve en chômage complet, les prestations sont à charge de l’institution du lieu de résidence. La Cour de Justice avait encore souligné le rôle du juge national, qui doit déterminer sur la base de ces critères, la catégorie à laquelle le travailleur ressortit.


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