Terralaboris asbl

Condition de présence en Belgique dans le chef du bénéficiaire : Un enfant non inscrit dans les registres de la population (ou des étrangers) peut-il bénéficier des allocations familiales ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 avril 2006, R.G. 46.577

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 24 avril 2006, R.G. 46.577

TERRA LABORIS ASBL - Mireille JOURDAN

Les faits

L’attributaire, régulièrement inscrit dans les registres de l’état civil, avec son épouse, change de domicile et s’inscrit dans une autre commune avec une fille majeure. Dans le même temps, trois enfants mineurs sont radiés des registres belges, ainsi que la mère. Les allocations familiales continuent à être perçues par l’attributaire pour la fille majeure.

Plusieurs mois plus tard, l’attributaire demande le bénéfice des allocations familiales pour les trois enfants mineurs et sollicite leur inscription dans les registres de la population de sa nouvelle adresse. Cette inscription est refusée par l’administration communale, qui soumet le cas au Ministère de l’intérieur.

Après plusieurs mois, les enfants sont réinscrits, suite à une procédure en référé dans le cadre de laquelle, au titre de mesure conservatoire, l’inscription à l’adresse de leur père est ordonnée.

L’attributaire change alors de domicile, de telle sorte que la procédure enclenchée relative au problème d’inscription dans les registres de la population du domicile précédent devient sans objet.

La caisse d’allocations familiales payera, ultérieurement, les allocations pour les trois enfants mineurs jusqu’à la date de leur radiation et, pour la période postérieure, à partir de leur réinscription en Belgique.

Reste en suspens la question de la période intermédiaire. L’attributaire, le père, n’apporte en effet pas la preuve officielle de la présence de ses enfants en Belgique.

Le jugement a quo

Le jugement entrepris relève d’abord que, conformément à l’article 23 de la Charte de l’assuré social, le recours judiciaire doit être introduit dans les trois mois de la notification de la décision de l’institution de sécurité sociale. En l’espèce, celle-ci indiquait que l’attributaire disposait d’un délai de 10 ans pour introduire ce recours. Cette mention contrevient à l’article 14.3 de la Charte, de telle sorte que le délai n’a pas commencé à courir.

Quant au fond, le tribunal doit conclure que l’attributaire n’apporte pas la preuve certaine de la présence de ses trois enfants mineurs pendant la période litigieuse en Belgique et, par conséquent, le déboute de sa demande de bénéficier des allocations familiales pour ceux-ci.

Il confirme donc la décision de la caisse.

Les positions des parties

L’appelant critique le premier juge en ce qu’il s’est fondé sur des considérations de fait (exiguïté du logement, …) pour rejeter sa demande. Il relève que les enfants étaient inscrits comme étant à sa charge auprès de la mutualité (sans toutefois avoir le bénéfice des remboursement de soins) et tente, par ailleurs, d’établir la présence des enfants par des éléments sporadiques, notamment une note de restaurant. Il fait également grief à l’administration de ne pas avoir effectué une enquête quant à la résidence effective des enfants, dont il soutient qu’elle était réelle.

La décision de la cour

La cour rappelle les principes, étant qu’en vertu de l’article 52 des lois coordonnées, les allocations familiales ne sont pas dues pour les enfants qui sont éduqués ou suivent des cours à l’extérieur du territoire. Il résulte des opérations de radiation et de réinscription que les enfants n’étaient pas éduqués, pendant la période concernée, en Belgique.

La cour rappelle que le demandeur a la charge de la preuve au sens de l’article 1315 du code civil et 870 du code judiciaire. En l’occurrence, la preuve du fait recherché peut résulter de l’inscription dans les registres de la population ou d’une enquête de police permettant de régler l’ensemble de la problématique de l’inscription tardive.
Si ceci était le seul mode de preuve, le demandeur aurait raison de soumettre au juge la question des avatars de cette inscription. Mais pour la cour, tel n’est pas le cas, car la preuve peut être apportée par tous moyens de droit, dont des témoins, et ce par des présomptions concordantes.

En l’espèce, les présomptions, même si elles sont plusieurs, ne concordent pas. La cour rappelle que les présomptions de l’homme sont les conséquences que le juge peut tirer, d’un fait connu à propos d’un fait inconnu. L’existence des faits sur lesquels le juge s’appuie est examinée souverainement par lui et les conséquences qu’il en tire sont abandonnées à ses lumières.

La cour rappelle que les déclarations du demandeur ne valent que lorsque celles-ci sont confirmées par des données concordantes et convergentes (articles 1349 et 1353 du code civil) et en l’espèce, celui-ci n’apporte pas la preuve positive de la présence de ses enfants en Belgique pendant la période concernée, les éléments produits étant épars et ne confirment pas cette présence effective.

Enfin, la cour rappelle les principes en matière d’offre de preuve par témoins, étant que le juge du fond apprécie de manière souveraine si cette preuve peut être utile. S’il n’y fait pas droit, ceci ne signifie pas qu’il porte atteinte à la possibilité pour le demandeur d’apporter une telle preuve. En l’occurrence, l’audition des enfants eux-mêmes, en qualité de témoins est rejetée au motif d’une part, d’un manque d’objectivité, ceux-ci ayant été éduqués par une des parties, et d’autre part, de l’existence d’un intérêt moral et financier direct.

En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris.

Intérêt de la décision

Cet intérêt est double, étant de rappeler que

  1. si l’enfant est éduqué ou est présent sur le territoire belge, il est bénéficiaire d’allocations familiales ;
  2. cette présence peut ressortir de l’inscription dans les registres de la population (ou en cas de non inscription, une explication quant à ce peut être apportée : intentement de procédure, …) ou, à défaut, de tout élément permettant d’établir de manière certaine le fait allégué, et ce par toutes voies de droit. Ce sont les règles du droit commun de la preuve qu’il faut appliquer, l’inscription n’étant pas le seul critère.

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