Terralaboris asbl

Démission dans le cadre d’un programme de départ volontaire : droit à la pension anticipée ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er avril 2015, R.G. 2014/AB/371

Mis en ligne le vendredi 17 juillet 2015


Cour du travail de Bruxelles, 1er avril 2015, R.G. n° 2014/AB/371

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine les modifications législatives et réglementaires intervenues en matière de pension anticipée pour travailleurs salariés depuis la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses.

Les faits

Une employée accepte le départ volontaire, dans le cadre d’un programme mis sur pied au sein de son entreprise. Elle est à ce moment âgée de 57 ans. Vu son ancienneté, le départ peut intervenir moyennant paiement de 30 mois de rémunération.

L’intéressée interroge alors l’ONP en ce qui concerne ses droits à la retraite anticipée et il lui est répondu que, bénéficiant de 35 ans de carrière, elle peut prendre sa pension de retraite à l’âge de 60 ans. Elle quitte dès lors l’entreprise, dans le cadre de la procédure ainsi mise sur pied et démissionne moyennant paiement de la prime unique ci-dessus. Celle-ci est supposée couvrir une période allant du 1er mars 2011 au 31 août 2013.

Dans le cours de cette période, intervient la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses. Celle-ci a notamment pour effet de modifier le régime des pensions anticipées.

Lorsque l’employée introduit sa demande à l’issue de la période couverte par la prime, la pension anticipée est refusée vu la modification des dispositions légales. La condition de carrière a en effet été portée à 40 ans.

Des mesures transitoires étant prévues, l’Office signale à l’intéressée qu’elle peut bénéficier d’une pension de l’ordre de 1.700€ par mois à partir de septembre 2013. Cette décision est cependant immédiatement revue, au motif que les conditions légales ne seraient pas remplies.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Nivelles.

Celui-ci l’accueille, par jugement du 3 mars 2014.

L’Office interjette appel.

Décision de la cour

La cour est amenée à examiner les effets de la modification introduite par la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses.

La pension de retraite anticipée peut prendre cours, selon l’article 107, à partir de 60 ans ou de 61 ans selon la date de prise de cours. En outre, des conditions de carrière sont mises, conditions croissantes (de 38 à 40 ans) selon que la pension prend cours en 2013, 2014 ou à partir du 1er janvier 2015. Pour les pensions prenant cours en 2013, il est ainsi prévu que le point de départ peut être fixé au premier jour du septième mois suivant celui au cours duquel l’intéressé a atteint l’âge de 60 ans, à la condition qu’il ait une carrière d’au moins 38 ans. Le point de départ peut être anticipé au 1er jour du mois après les 60 ans en cas de carrière d’au moins 40 années.

Après cette loi du 28 décembre 2011, sont encore intervenus deux autres textes, étant deux lois des 20 juillet 2012 et du 24 juin 2013. Celles-ci contiennent de nouvelles dispositions, et ce à caractère transitoire, prenant effet à partir du 1er janvier 2013. Il est notamment prévu que celles-ci couvriront le cas des travailleurs salariés ayant introduit une demande de pension anticipée avant le 28 novembre 2011 (modifiant ainsi l’article 108 de la loi du 28 décembre 2011).

La mesure d’exécution est un arrêté royal du 26 avril 2012, qui couvre, selon le Rapport au Roi, les personnes qui se trouvaient déjà dans un processus aux termes duquel elles pouvaient obtenir une pension anticipée, et ce avant l’annonce des mesures envisagées. Ainsi, si leur préavis a débuté avant le 1er janvier 2012 et devait se terminer après le 31 décembre 2012, les mesures existant avant la modification législative du 28 décembre 2011 restent d’application.

Est notamment visé le cas des travailleurs salariés qui, avant la date du 28 novembre 2011, ont conclu une convention individuelle écrite de départ anticipé (en dehors du cadre d’une prépension conventionnelle), venant à échéance au plus tôt à l’âge de 60 ans. La convention doit elle-même répondre à des conditions spécifiques.

Enfin, l’arrêté royal du 26 avril 2012 a lui-même été modifié par un nouvel arrêté du 20 décembre 2012, admettant que peuvent prétendre à la pension de retraite anticipée les personnes qui remplissaient à la date de prise de cours les conditions de l’ancienne réglementation.

La cour du travail en vient ensuite à l’examen du jugement rendu par le Tribunal du travail de Nivelles, qui a relevé que ces textes n’envisagent pas l’hypothèse qui lui est soumise, étant celle de la démission avec paiement d’une indemnité correspondant à une indemnité de préavis. Pour le tribunal, cette situation doit être assimilée à un licenciement, eu égard à l’ensemble des circonstances dans lesquelles elle est intervenue (mode de calcul de la prime versée, versement de cotisations sociales). La cour fait cette analyse sienne, relevant en outre que devant le premier juge l’auditeur du travail avait fait valoir que ne pas admettre la démission dans cette circonstance serait discriminatoire au sens des articles 10 et 11 de la Constitution et que le constat de cette inconstitutionnalité devait amener le juge à ne pas appliquer la règle discriminatoire.

Pour la cour cependant, l’exigence du préavis est inscrite non seulement dans l’arrêté royal mais également dans la loi du 28 décembre 2011. Or, le tribunal n’est pas compétent pour statuer sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par une loi, cette compétence relevant de la Cour constitutionnelle. En conséquence, en tant qu’il est fondé sur les dispositions de l’arrêté royal du 26 avril 2012, le jugement doit, pour la cour, être réformé.

Elle constate cependant que l’intéressée semble rentrer dans les conditions fixées à l’article 3/1 de l’arrêté royal en cause, qui vise les salariés ayant introduit auprès de l’ONP une demande de pension anticipée pour l’année 2013 avant le 28 novembre 2011 (demande à laquelle il peut être fait droit s’ils remplissent les conditions antérieures aux modifications intervenues). La cour invite dès lors l’ONP à réexaminer le dossier sur la base de cette disposition.

Elle se pose également la question de savoir si l’arrêté royal n’est pas plus restrictif que la loi. Il n’est en effet pas exigé d’instrument collectif déterminé, non plus que la prestation effective du préavis jusqu’à l’âge de 60 ans, une indemnité correspondante ayant en l’espèce été versée et ayant fait l’objet de retenues de sécurité sociale.

Une réouverture des débats s’impose dès lors.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles explore un véritable labyrinthe de modifications législatives et réglementaires intervenues sur la question. Outre, les nouvelles conditions mises par la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses, il faut en effet relever que deux autres lois sont intervenues rapidement, avec effet au 1er janvier 2013 et que deux arrêtés royaux ont également été pris, susceptibles de conduire à des difficultés sérieuses d’application et d’interprétation, comme en l’espèce. La convention individuelle écrite de départ anticipé, qui doit actuellement répondre aux conditions de l’article 3, § 1er, 1°, de l’arrêté royal du 26 avril 2012, devrait ainsi avoir été conclue (i) soit dans le cadre d’un règlement de travail répondant aux obligations de l’article 15, dernier alinéa de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail, (ii) soit d’une convention collective de travail déposée conformément à la loi du 5 décembre 1968 (iii) soit d’un règlement de pension au sens de l’article 3, § 1er, 9°, de la loi du 28 avril 2003 (iv) soit encore de dispositions légales ou réglementaires ou de dispositions y assimilées. En l’occurrence, il s’est agi d’un programme de départ volontaire prévoyant la démission du travailleur et le paiement d’une prime de départ équivalente à l’indemnité de rupture et répondant également aux conditions légales de celle-ci en matière de sécurité sociale….

L’ensemble des difficultés soulevées par l’application des textes a donc amené la cour à ordonner une réouverture des débats sur l’application de ces dispositions.

Affaire à suivre donc …


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