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Accident du travail : la non-indication des mentions obligatoires exigées par la Charte de l’assuré social n’a pas d’incidence sur le délai de prescription de l’action devant le tribunal du travail

Commentaire de Cass., 16 mars 2015, n° S.12.0102.F

Mis en ligne le mercredi 1er juillet 2015


Cour de cassation, 16 mars 2015, n° S.12.0102.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 mars 2015, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative à l’absence d’effet du non-respect de la Charte de l’assuré social sur l’écoulement du délai de prescription. Elle rappelle également que la compétence d’attribution des juridictions du travail est d’ordre public et que celles-ci ne peuvent connaître d’une demande fondée à titre principal sur les règles de la responsabilité civile.

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 29 décembre 2009, qui a considéré que n’était pas prescrite une action en paiement des indemnités d’accident du travail introduite au-delà du délai de 3 ans fixé par l’article 69 de la loi du 10 avril 1971, et ce eu égard au non-respect des mentions que doit contenir une décision administrative reprises à l’article 14, alinéa 1er de la Charte de l’assuré social.

En l’espèce, l’entreprise d’assurances n’avait pas notifié de réserves dans le mois de la déclaration d’accident, ainsi qu’elle y est tenue en vertu de l’article 63, § 3 de la loi sur les accidents du travail, et n’avait pas davantage respecté les exigences de l’arrêté royal du 24 novembre 1997 portant exécution, en ce qui concerne l’assurance « accidents du travail » dans le secteur privé, de certaines dispositions de la Charte de l’assuré social. En effet, celui-ci (dont l’article 4 a par ailleurs été modifié avec effet rétroactif à la date de son entrée en vigueur par un nouvel arrêté du 27 octobre 1999) impose à l’entreprise d’assurances de mentionner le délai de prescription.

La cour du travail faisait particulièrement grief à l’entreprise d’assurances de ne pas avoir précisé la prise de cours du délai, non plus que sa nature, qui eut permis l’interruption de la prescription. Pour la cour du travail, qui avait également relevé d’autres lacunes, il s’agissait d’autant de manquements aux obligations de résultat mis à charge de l’assureur par la loi, obligations destinées à informer l’assuré social de manière suffisante pour lui permettre et lui faciliter la contestation de la décision. La cour avait retenu que l’intéressée avait été mise dans une situation à ce point incertaine qu’elle ne savait pas comment exercer ses droits. Elle en avait tiré la conclusion que le délai de prescription n’avait pas pris cours.

Le pourvoi

Le pourvoi est articulé en deux branches.

Dans sa première branche, il relève que la législation en matière d’accidents du travail ne prévoit pas de délai spécifique pour introduire un recours contre la décision de l’entreprise d’assurances qui refuse d’admettre l’accident comme accident du travail. Seule existe, à l’article 69, alinéa 1er de la loi, la règle selon laquelle l’action en paiement des indemnités se prescrit pas 3 ans. Il en découle que la contestation de la décision de l’entreprise d’assurances peut être introduite dans le délai de 3 ans à dater du jour où le droit à la réparation est né. Par contre, l’article 14, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social, ainsi que l’article 4 de l’arrêté royal d’exécution du 24 novembre 1997, visent les « délais de recours ». Le délai de prescription ne peut être assimilé à un délai de recours, d’autant que ce dernier prend cours au moment où la décision querellée est notifiée à l’assuré social, tandis que le point de départ du délai de prescription est différent. En conséquence, la circonstance que les mentions requises par la Charte ne figurent pas dans la décision n’empêche pas la victime de saisir le tribunal avant que la prescription soit acquise.

En sa seconde branche, le pourvoi fait valoir que les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour connaître d’une demande – telle que celle introduite en l’espèce – fondée, à titre principal, sur les 1382 et 1383 du Code civil, étant la prétendue faute de l’entreprise d’assurances. Les règles relatives à la compétence matérielle des cours et tribunaux étant d’ordre public, la cour aurait dû constater qu’elle n’était pas compétente.

La décision de la Cour

La Cour se prononce sur les deux branches du pourvoi. Elle conclut qu’elles sont toutes deux fondées.

Sur la première, elle rappelle la règle de prescription contenue à l’article 69, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971, étant que le paiement des indemnités visées à la loi se prescrit par 3 ans, délai dont le point de départ est le moment où naît pour la victime le droit à la réparation. La Cour précise que la naissance de ce droit ne dépend pas de la décision de l’entreprise d’assurances de reconnaître ou non l’accident du travail ou d’accorder ou non à la victime une indemnité à laquelle elle prétend avoir droit. Le moyen est dès lors fondé en cette branche.

En ce qui concerne la seconde branche, le pourvoi est également accueilli, vu le caractère d’ordre public de la compétence d’attribution des cours et tribunaux, celle-ci étant déterminée en raison de l’objet du litige. Aucune disposition légale, précise la Cour de cassation, n’autorise les juridictions du travail à connaître d’une demande principale fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, demande tendant à la réparation du dommage que la victime prétend avoir subi à la suite de la non-perception d’indemnités atteintes par la prescription.

Intérêt de la décision

Cette jurisprudence, qui rappelle la distinction à faire entre le délai de recours et le délai de prescription et, par conséquent, l’absence d’effet sur les règles de prescription du non-respect des dispositions de la Charte qui ont pour objet de ne pas faire courir le délai de recours, confirme, pour la matière des accidents du travail, une règle déjà dégagée précédemment par la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 28 mars 2011 (Cass., 28 mars 2011, n° S.10.0147.F), la Cour suprême avait considéré que la circonstance qu’une intercommunale ayant licencié un travailleur n’avait pas mentionné dans la lettre de licenciement l’existence d’un recours possible contre cette décision devant les juridictions du travail, la forme et le délai à respecter pour introduire ce recours, n’avait pas d’incidence sur la prise de cours du délai de prescription d’un an après la fin du contrat prévu à l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrat de travail.

En matière d’accidents du travail, la Cour de cassation avait déjà jugé également, dans un arrêt du 10 mai 2010 (Cass., 10 mai 2010, n° S.08.0140.F), que l’absence d’indication des délais et des possibilités de recours n’avait pas pour effet d’empêcher la prise de cours du délai de prescription de l’action en paiement des indemnités. Il s’agissait d’un accident du travail du secteur public.


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