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Une travailleuse qui reprend le travail après un crédit-temps peut-elle voir son horaire de travail modifié ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 janvier 2015, R.G. 2013/AB/423

Mis en ligne le mercredi 10 juin 2015


Cour du travail de Bruxelles, 27 janvier 2015, R.G. 2013/AB/423

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière d’acte équipollent à rupture et insiste d’une part sur l’interdiction d’une modification importante de l’horaire de travail et, d’autre part, sur l’exigence d’une mise en demeure préalable à la dénonciation de la rupture en cas de manquement dans le chef du co-contractant.

Les faits

Une employée comptable dans une institution d’enseignement est en crédit-temps complet depuis 3 ans, lorsqu’elle informe son employeur de son souhait de reprendre son activité. Ayant exercé celle-ci précédemment dans un horaire à temps partiel réparti sur deux semaines consécutives, elle fait une proposition de répartition (comme pour le passé), qui est refusée. L’employeur invoque des recrutements intervenus entre-temps, ainsi que des questions de disponibilité de locaux.

Un litige intervient en ce qui concerne l’horaire proposé et, chacune des parties restant sur sa position, l’intéressée ne reprend pas le travail dans le cadre de l’horaire imposé, mais confirme son intention de poursuivre son horaire précédent. Se présentant au travail conformément à celui-ci, elle constate qu’aucun bureau n’est mis à sa disposition. Par ailleurs, un huissier de justice est présent et lui lit un document émanant de son employeur, constatant un acte équipollent à rupture, du fait du non-respect de l’horaire fixé par le secrétaire général. Une indemnité de rupture lui est également réclamée.

L’intéressée introduit une procédure devant le tribunal du travail, dans laquelle elle réclame non seulement une indemnité compensatoire de préavis, mais également une indemnité de protection, eu égard à son crédit-temps, et des dommages et intérêts pour abus de droit.

Par jugement du 20 novembre 2012, le tribunal du travail fait droit à sa demande, limitant cependant les dommages et intérêts à 1 €.

L’employeur interjette appel.

La décision de la cour

La cour est saisie des conditions d’un acte équipollent à rupture, dans le contexte ci-dessus.

Elle rappelle que la partie qui modifie unilatéralement et de manière importante l’horaire de travail rompt le contrat de travail de manière illicite. Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 1993 (Cass., 17 mai 1993, n° 8342), dans l’hypothèse d’un nouvel horaire qui fait passer la semaine de travail de 5 à 6 jours.

Elle rappelle en outre qu’il est de règle que la partie qui invoque le manquement de l’autre partie aux obligations contractuelles en vue de dénoncer la rupture du contrat est tenue de mettre la partie défaillante en demeure.

Dès lors qu’il y a en l’espèce un litige sur l’horaire de travail, la cour examine l’horaire contractuellement exécuté précédemment et constate que le nouvel horaire implique une présence de 4 jours par semaine, ce qui est une modification importante d’un élément essentiel du contrat. Celle-ci ne pouvait dès lors être imposée.

Il n’y a pas d’acte équipollent à rupture dans le chef de l’employée, qui n’a fait que persister dans sa demande de reprise du travail dans les conditions contractuellement convenues. C’est l’employeur qui a rompu irrégulièrement. Il est dès lors tenu de payer une indemnité compensatoire de préavis.

La cour examen ensuite s’il y a lieu d’allouer – comme l’a fait le premier juge – une indemnité de protection eu égard au crédit-temps.

C’est l’application de la C.C.T. n° 77bis du 19 décembre 2001 conclue au sein du Conseil National du Travail. Cette C.C.T. prévoit une interdiction de mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir de l’avertissement par écrit fait par le travailleur de sa demande de crédit-temps. Cette interdiction vaut pendant 3 mois encore après la date de fin de la période (ou après la communication par l’employeur de son désaccord sur le crédit-temps).

Il y a en l’espèce eu un acte posé, tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, et celui-ci n’est pour la cour pas étranger au crédit-temps, dans la mesure où il est basé sur les conditions de réintégration de l’employée.

En conséquence, l’indemnité est due.

La cour en vient, enfin, à la demande de dommages et intérêts pour abus de droit de licencier et s’écarte ici du jugement, constatant que le manquement reproché à l’employeur est sanctionné par l’octroi de l’indemnité de protection.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est un « classique » du genre. L’on ne peut cependant que s’étonner de constater un tel non-respect de la réglementation, non seulement pour ce qui est de la protection en cas de crédit-temps, mais également concernant les règles habituelles relatives à la rupture du contrat.

La cour rappelle très judicieusement que, si une partie entend imputer la rupture à son co-contractant, et ce pour manquement dans son chef, la jurisprudence impose qu’une mise en demeure soit faite. En l’occurrence, il n’échappera pas que la rupture est intervenue sans aucune mise en demeure et qu’elle a un caractère particulièrement abrupt, et même violent (l’intervention d’un huissier n’étant, même dans ce cas de figure, nullement utile).

L’arrêt est également l’occasion de rappeler que l’horaire de travail est un élément essentiel du contrat de travail et que la jurisprudence de la Cour de cassation est ancienne, pour sanctionner une modification unilatérale importante de celui-ci.


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