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Faire une chute en montant dans son véhicule lors du départ au travail est-il constitutif d’un accident du travail ?

Commentaire de Trib. trav. Mons et Charleroi, div. Charleroi, 17 septembre 2014, R.G. 97/137.476/A

Mis en ligne le mercredi 10 juin 2015


Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, Div. Charleroi, 17 septembre 2014, R.G. n° 97/137.476/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 17 septembre 2014, le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi (Div. Charleroi) rappelle les principes relatifs à la résidence et à l’accident dit « de seuil ».

Les faits

Un fonctionnaire du SPF Finances part au travail lorsque, dans son garage, il sent son genou droit se dérober et tombe. Son épouse le retrouve par terre et un tiers, présent, aide cette dernière à le ramener au domicile. Il est ensuite emmené à l’hôpital.

L’autorité, le SPF Finances, reconnaît l’accident, étant un accident sur le chemin du travail. Il confirme la chose au service de santé administratif. Ce service répond, cependant, qu’après « interrogatoire » de l’intéressé, il n’y a ni événement soudain ni éléments extérieurs permettant de qualifier le cas d’accident du travail.

Une nouvelle décision est alors prise par l’autorité employeur, considérant que les faits en cause ne réunissent « plus » les conditions légales. Un recours est alors introduit devant le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi (Div. Charleroi).

Celui-ci rend un premier jugement, ordonnant au SSA de déposer le dossier sur lequel il s’est fondé pour modifier la décision administrative.

Un second jugement est alors rendu, après dépôt de pièces. Ce deuxième jugement retient qu’il y a accident et ordonne la désignation d’un expert.

Une demande est alors formée par l’Etat belge en vue d’obtenir le remplacement de l’expert, demande à laquelle le tribunal ne fait pas droit, et ce par un troisième jugement du 15 novembre 2006.

Un quatrième jugement intervient le 7 janvier 2009, écartant le rapport de l’expert judiciaire (ainsi qu’un rapport complémentaire) et désignant un nouvel expert. Celui-ci fixe les séquelles à 5% d’incapacité permanente avec une date de consolidation au 13 février 1997 (soit quelques mois après l’accident).

Après dépôt du rapport d’expertise, l’Etat belge persiste à contester l’absence d’accident sur le chemin du travail.

Décision du tribunal – jugement du 17 septembre 2014

Le tribunal souligne en premier lieu qu’il a déjà tranché la question de l’existence d’un accident sur le chemin du travail, dans la mesure où la mission de l’expert judiciaire l’impliquait. Le tribunal rappelle que ceci est également le cas pour la décision ordonnant un nouvel expert.

Le tribunal relève que la seule question qu’il a laissée en suspens était celle du lien de causalité entre la chute et les lésions constatées.

Vu l’autorité de chose jugée, le tribunal rappelle qu’il est dessaisi de la question de l’existence d’un accident sur le chemin du travail.

Il reprend, surabondamment (selon les propres termes de la décision), les principes en la matière, l’Etat belge ayant conclu sur la question et le tribunal entendant répondre à son argumentation.

Est d’abord rappelé que les règles dans le secteur public sont alignées sur celle du secteur privé, pour ce qui est de la définition de l’accident. Il faut vérifier si l’on est en présence d’un trajet normal entre la résidence et le lieu de l’exécution du travail (ou inversement).

Le tribunal rappelle que l’article 8, § 1er, alinéa 4 de la loi du 10 avril 1971 définit le chemin comme suit : il commence dès que le travailleur franchit le seuil de sa résidence principale ou secondaire et finit lorsque ce seuil est refranchi.

Il y a dès lors lieu de retenir en l’espèce un accident dit « de seuil » et le tribunal rappelle que ceux-ci sont couverts par la loi. Est considéré comme la résidence tout ce qui est strictement privé, c’est-à-dire, le lieu de la vie privée. Tout en ne survenant pas sur la voie publique mais en dehors de la résidence elle-même, un accident peut être couvert et le tribunal rappelle qu’il en est ainsi d’un accident survenant dans un garage à la condition que celui-ci ne fasse pas partie de l’habitation du travailleur. Ayant franchi la distance entre son habitation et son garage, le travailleur ne se trouve plus à l’intérieur de sa résidence, là où est le lieu de sa vie privée. Il est déjà sur le chemin du travail.

Le tribunal va ensuite réexaminer l’ensemble des éléments au dossier, étant ceux repris dans le dossier administratif et les déclarations de l’épouse d’une part et du témoin de l’autre. Il y a concordance dans tous ces éléments et le tribunal confirme que la victime est sortie de sa maison avant de pénétrer dans son garage pour ouvrir sa voiture. Elle a dès lors quitté sa résidence et il se trouvait effectivement sur le chemin du travail.

Ayant fait une chute, il y a événement soudain et la lésion est présumée survenue à cause de celle-ci et y trouver son origine.

Ayant souhaité être mieux documenté sur la présomption de causalité, le tribunal relève en outre des point spécifiques à cet égard, s’agissant de la rupture du tendon rotulien. S’agissant d’un gros tendon, l’expert a précisé que l’effort et le mouvement décrit pour entrer dans une voiture dont la portière n’est pas totalement ouverte et dans un espace réduit peuvent expliquer le mécanisme de la rupture. Si ce tendon ne peut se rompre spontanément, cette rupture peut intervenir suite à un mouvement et, notamment, le mouvement décrit par l’intéressé.

Intérêt de la décision

Les faits à la base de cette décision sont apparemment anodins. L’on constatera cependant qu’il y a eu un litige persistant entre l’Etat belge et le fonctionnaire.

Le fait qu’après l’accord sans réserve de l’autorité employeur, celle-ci soit revenue sur sa décision et ce suite à l’avis du SSA selon lequel il n’y avait pas d’événement soudain et/ou d’éléments extérieurs ne manque cependant pas d’étonner, eu égard à la mission du SSA d’une part mais également à la motivation de sa décision. L’exigence d’un « élément extérieur » est inexistante en matière d’accident du travail sur le plan de la demande. Il n’appartient nullement à la victime d’établir l’existence d’un fait extérieur à son organisme. L’on rappellera d’ailleurs que, dans un arrêt du 7 janvier 1991, la Cour de cassation (Cass., 7 janvier 1991, RDS, 1991, p. 23) a considéré qu’une chute reste un événement soudain même si sa cause est endogène à la victime.

Lorsqu’il est question d’éléments extérieurs, cette notion est abordée sur le plan de la défense, dans le cadre du renversement de la présomption légale.

L’on notera enfin, qu’il aura fallu dix-huit ans de procédure pour que le tribunal du travail puisse rendre son jugement sur la question lui soumise.


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