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Non-respect du délai raisonnable dans l’instruction administrative d’un dossier de chômage : sanction ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Namur, 3 février 2015, R.G. 2014/AN/110

Mis en ligne le vendredi 8 mai 2015


Cour du travail de Liège, div. Namur, 3 février 2015, R.G. 2014/AN/110

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 février 2015, la Cour du travail de Liège, division Namur, rappelle que la violation du principe du délai raisonnable ne peut avoir d’incidence sur le bien-fondé d’une décision d’exclusion et de récupération des allocations. Elle peut cependant, dans certaines conditions, donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

Les faits

Une personne bénéficiant d’allocations de chômage fait l’objet d’une décision administrative adoptée le 8 juillet 2008, l’excluant pendant une période de 3 ans (novembre 2004 à novembre 2007), au motif qu’elle a exercé une activité non compatible avec le droit à ces allocations.

L’intéressé a parallèlement été poursuivi devant le Tribunal correctionnel pour diverses infractions à la réglementation chômage, l’intention frauduleuse étant retenue (absence de mention préalable de l’activité sur la carte de contrôle, usage de documents inexacts pour se faire allouer de mauvaise foi des allocations auxquelles il n’avait pas droit,…). Les préventions ont été retenues et, suite à l’appel de l’intéressé, la Cour d’appel de Liège a confirmé celles-ci par arrêt du 13 avril 2013. Elle a cependant constaté un dépassement du délai raisonnable des poursuites pénales, découlant d’un délai de fixation de 3 ans en appel sans raison objective. L’arrêt s’est dès lors limité à déclarer les préventions établies.

Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation, qui, par arrêt du 29 janvier 2014, l’a rejeté.

La décision de la cour du travail

La cour du travail va dès lors statuer sur les sanctions contenues dans la décision administrative.

Elle rappelle, dans un premier temps, les articles 44 et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui déterminent les conditions dans lesquelles l’activité accessoire peut être exercée. Par ailleurs, les préventions ayant été retenues dans l’arrêt de la Cour d’appel de Liège, elle conclut que l’intéressé ne peut plus remettre en cause les faits qui ont fondé la décision de l’ONEm. L’intention frauduleuse doit également être confirmée, dans la mesure où elle forme l’un des éléments constitutifs des préventions retenues.

La décision administrative doit dès lors être confirmée.

La cour s’attache, cependant, à la question de savoir si le principe du délai raisonnable a été respecté.

L’Avocat général avait en effet considéré, dans son avis, que le délai d’enquête était excessif (rien n’étant intervenu entre le 19 octobre 2005 et le 3 mars 2008). Si, pour l’Avocat général, le respect du délai raisonnable est sans effet du point de vue de l’exclusion pour le passé et de la récupération, vu qu’il ne peut être invoqué à l’encontre de dispositions légales, un dépassement peut entraîner l’octroi de dommages et intérêts, ceux-ci pouvant être évalués au montant de la récupération ordonnée pour la période y relative (soit, pour le Ministère public, du 1er janvier 2006 au 3 mars 2008, la première de ces dates étant celle à laquelle la décision aurait pu être prise et l’autre celle à laquelle l’enquête a été reprise).

La cour reprend, dès lors, les principes en la matière, étant que les litiges en matière de sécurité sociale concernent (hors quelques hypothèses) un contentieux subjectif et que l’appréciation des juridictions du travail n’est pas limitée à la validité de la décision administrative, celles-ci ayant un pouvoir de substitution en cas d’illégalité de la décision. Le juge peut dès lors faire ce que l’administration eut dû faire et examiner toutes les conditions d’octroi, en ce compris celles non abordées dans la décision elle-même. Il y a cependant lieu d’avoir égard aux droits de la défense et au principe dispositif.

La cour constate, vu l’avis de l’Avocat général, qu’aucune demande n’a été faite en vue d’obtenir des dommages et intérêts qui pourraient se compenser avec les allocations indues. Elle souligne que, si une telle demande était faite, il faudrait établir un dommage en lien causal avec la faute consistant dans la violation du respect du délai raisonnable. Par ailleurs, renvoyant à l’arrêt du 14 octobre 2010 de la Cour de cassation (Cass., 14 octobre 2010, n° C.08.0451.F), elle relève que l’obligation de restituer un indu n’est pas en soi constitutive d’un dommage, dès lors que celui qui doit restituer n’avait pas droit à l’avantage en cause. Cette jurisprudence trouve d’autant plus à s’appliquer en l’espèce que, si le délai raisonnable avait été respecté, l’obligation de rembourser aurait existé de la même manière vu que les conditions d’octroi n’étaient pas remplies. Enfin, la longueur de la procédure est, pour la cour, prévue au Code de procédure pénale lui-même, puisqu’en vertu de l’article 4, alinéa 1er de la loi du 18 avril 1978 TPCPP, le criminel tient le civil en l’état. La longueur de la procédure pénale a, quant à elle, été prise en compte par la Cour d’appel, qui a prononcé une simple déclaration de culpabilité.

La cour considère dès lors que les moyens tirés de la violation du principe du respect du délai raisonnable sont sans effet sur l’exclusion et la récupération.

Intérêt de la décision

Sans qu’une demande de dommages et intérêts n’ait été introduite, la cour répond cependant aux considérations contenues à cet égard dans l’avis de M. l’Avocat général. A supposer que la violation du principe du respect du délai raisonnable soit constatée, sa sanction ne peut consister dans la dispense de restitution de l’indu, la partie qui sollicite des dommages et intérêts devant établir une faute découlant de la violation en cause, ainsi qu’un dommage en lien causal avec celle-ci.

La cour constate également très justement que, dès lors que les conditions d’octroi n’étaient pas réunies, vu le non-respect de la réglementation chômage, le dommage (à savoir l’obligation de restitution) se serait produit de la même manière.

La cour ne vide cependant pas sa saisine, sur un dernier point, étant celui de la règle non bis in idem, qui concerne la sanction d’exclusion.

Affaire à suivre donc…


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