Terralaboris asbl

Sanction du licenciement d’un employé en cas de détournement de la finalité économique et sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 janvier 2015, R.G. 2013/AB/130

Mis en ligne le mardi 5 mai 2015


Cour du travail de Bruxelles, 7 janvier 2015, R.G. 2013/AB/130

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 7 janvier 2015, la Cour du travail de Bruxelles considère que la décision de licencier alors qu’aucune mesure n’est prise pour venir en aide à un travailleur en souffrance, alors que celui-ci n’a jamais démérité, peut entraîner un abus de droit, d’autant lorsque les conditions de la rupture sont abruptes.

Les faits

Une journaliste est engagée par une société privée de télévision dans le cadre d’un contrat à durée déterminée en 2001. Elle reçoit 74 contrats du même type jusqu’en 2007 et est ensuite engagée dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée.

La société la licencie avec une indemnité compensatoire de préavis de 9 mois de rémunération.

Celle-ci introduit une procédure aux fins d’obtenir un complément d’indemnité compensatoire de préavis ainsi que deux indemnités spécifiques, l’une suite à un abus de droit de licencier et l’autre pour faits de harcèlement.

La décision du tribunal

Par jugement du 7 janvier 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles déboute l’intéressée de l’ensemble des chefs de demande, fixant l’indemnité compensatoire de préavis à 10 mois de rémunération, le montant retenu étant inférieur à celui qui avait été versé.

L’intéressée interjette appel.

La décision de la cour

La cour statue en premier lieu sur le droit à un complément d’indemnité compensatoire de préavis.

Elle considère, en ce qui concerne la période d’occupation, que celle-ci doit donner lieu à un préavis de 10 mois, eu égard aux critères applicables, étant les facteurs socio-économiques de la travailleuse susceptibles d’avoir une influence sur ses possibilités de retrouver un emploi équivalent, soit son âge et sa fonction de journaliste.

Elle relève que la période couverte par des « contrats pigiste » a été prise en compte par l’employeur.

Elle confirme dès lors le jugement sur ce point, de même qu’en ce qui concerne la demande suite à des faits de harcèlement. La cour constate que l’intéressée n’a pas déposé de plainte motivée. Elle examine dès lors les documents déposés par l’intéressée, dont elle considère que ceux-ci révèlent tout au plus l’existence d’une mésentente, de même qu’un comportement peu respectueux ou peu adulte de certains collègues. Il n’y a cependant aucun fait qui puisse entrer dans la définition légale du harcèlement moral, la cour retenant à la fois la définition contenue initialement dans la loi de 2002 et actuellement, depuis la modification législative du 10 janvier 2007.

Elle considère ne pas devoir faire droit à une demande d’audition de témoins, rappelant les règles en la matière, étant qu’en vertu de l’article 915 du Code judiciaire, la preuve par témoins peut être admise si celle-ci est susceptible de rapporter la preuve d’un fait précis et pertinent.

Enfin, en venant à la demande de dommages et intérêts pour abus de droit de licencier, la cour en rappelle les principes, étant que l’exercice du droit de rupture peut être excessif (i) en raison du détournement de sa finalité économique et sociale (le contrôle judiciaire ne pouvant porter ici que sur l’existence d’un motif et non sur l’opportunité du licenciement) et (ii) en raison des circonstances de l’exercice de ce droit.

La cour énumère, ensuite, les circonstances susceptibles d’être retenues dans le cadre de l’examen de cet exercice abusif, étant que le licenciement est intervenu alors que l’intéressée était en congé, qu’elle a été convoquée pour s’entendre notifier la rupture, qu’elle a dû quitter l’entreprise sur le champ et restituer tous les effets appartenant à l’employeur, le fait que personne, à part la DRH et le directeur de rédaction, n’était au courant, le fait que la journaliste avait eu une évaluation positive quelques mois auparavant, le fait que, vu le contexte, la réputation de l’intéressée auprès du reste du personnel et du secteur a été salie et, enfin, la circonstance qu’il s’agit d’un milieu professionnel très fermé et, selon la cour, « très sensible à la rumeur ».

Tout en retenant que les motifs de licenciement sont licites, il est indéniable que l’intéressée a éprouvé une importante souffrance au travail. Pour la cour, la chronologie des événements (suivi par un psychologue, psychothérapeute,…) fait clairement apparaître un lien entre le licenciement et celle-ci.

La cour fait grief à l’employeur ne pas être venu en aide à l’intéressée ou de ne pas avoir pris des mesures pour que les conditions de travail s’améliorent. Le choix de la rupture unilatérale est un choix abrupt, et ce alors que l’intéressée n’a, selon l’arrêt, jamais démérité, acceptant pendant longtemps des conditions précaires, endurant une situation conflictuelle, et ce alors qu’elle n’aurait apparemment pas reçu de remarques ou d’avertissements.

Il en découle, pour la cour, qu’employeur a exercé son droit de rupture de la manière la plus dommageable pour l’intéressée et que le droit a été détourné de sa finalité économique et sociale. Le préjudice est d’ordre moral et il justifie l’octroi d’une indemnité, que la cour fixe à l’équivalent de 3 mois de rémunération.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles rappelle très justement les conditions de l’existence d’un abus de droit en cas de rupture du contrat de travail.

Il y a deux catégories d’éléments constitutifs d’abus, tous deux rencontrés d’ailleurs en l’espèce. En premier lieu, la cour renvoie au principe selon lequel le droit de licenciement peut être exercé par l’employeur, mais celui-ci ne peut en détourner la finalité économique et sociale. C’est ce contrôle qui est exercé par le juge : existence d’un motif et non opportunité de la décision patronale. Dans cette hypothèse, la charge de la preuve du caractère illicite de l’intention de l’employeur incombe au travailleur, la cour rappelant que cette hypothèse d’abus peut se rencontrer nonobstant l’accomplissement des formalités légales.

Ensuite, les circonstances qui entourent l’exercice du droit sont également de nature à conférer à celui-ci un caractère abusif, et la cour les reprend dans le détail.

Il n’échappera pas, par ailleurs que, dans cet arrêt, la cour examine longuement les conditions de travail, dans lesquelles elle souligne la carence de l’employeur à faire en sorte qu’elles s’améliorent pour la travailleuse. Il y a ainsi manquement au principe d’exécution de bonne foi des conventions, l’employeur étant tenu de permettre que le travail s’accomplisse normalement.

Enfin, la fixation de l’indemnité est également intéressante, celle-ci étant faite, dans l’arrêt, par référence à la rémunération et le dommage étant évalué à l’équivalent de 3 mois. De manière générale, l’on peut en effet constater le recours à une fixation en équité, sans référence aucune à la rémunération perçue par le travailleur.


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