Terralaboris asbl

Un accident mortel au travail est-il nécessairement un accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 10 février 2015, R.G. 2013/AM/395 et 2014/AM/68

Mis en ligne le mardi 5 mai 2015


Cour du travail de Mons, 10 février 2015, R.G. n° 2013/AM/395 et 2014/AM/68

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 février 2015, la Cour du travail de Mons reprend les éléments permettant de déterminer la nature de la relation de travail entre parties, eu égard à l’absence de convention écrite établie entre elles, et ce afin d’admettre - ou non - l’application de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Les faits

Un travailleur est victime d’un accident mortel alors qu’il est occupé sur un chantier en France pour le compte d’un tiers. Celui-ci agit comme sous-traitant d’une société belge qui s’est vue confier la construction d’un hangar agricole. Le sous-traitant a fait appel à divers intervenants, dont deux sociétés ainsi que l’intéressé, occupé comme conducteur de grue. Celle-ci s’est, le jour des faits, couchée sur le flanc droit et a écrasé le conducteur.

Une procédure pénale a été initiée en France, à l’issue de laquelle le commettant ainsi que le chef de chantier (préposé d’une des deux sociétés sous-traitantes) ont été reconnus coupables d’homicide involontaire. Dans le cadre de cette procédure, la veuve et les ayants droit se sont constitués partie civile. Il a été sursis à statuer sur les intérêts civils par la juridiction française.

Parallèlement, une action a été introduite contre le commettant et le Fonds des accidents du travail devant le Tribunal du travail de Tournai. L’assureur-loi a été appelé à la cause.

Décision du tribunal

Par jugement du 13 septembre 2013, le tribunal du travail a mis le F.A.T. hors cause et a considéré qu’il y avait accident du travail, l’existence d’un contrat de travail étant établie.

Appel a été interjeté par le commettant et l’assureur-loi, ceux-ci demandant à la cour de constater que la preuve de l’existence d’un contrat de travail n’est pas rapportée.

Décision de la cour

La cour rappelle l’articulation des dispositions légales entre la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, celle du 27 juin 1969 en matière de sécurité sociale et, enfin, celle du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Il en ressort qu’il faut, pour application de la loi sur les accidents du travail, notamment qu’il y ait assujettissement à la loi du 27 juin 1969 et celle-ci s’appliquera aux travailleurs et employeurs liés par un contrat de travail, au sens où l’entend la loi du 3 juillet 1978 : ce type de contrat vise celui où un travailleur s’engage contre rémunération à fournir du travail sous l’autorité d’un employeur.

La cour rappelle ensuite que le lien de subordination est une notion propre au contrat de travail et que c’est celle-ci qui distingue la convention conclue du contrat d’entreprise ou de la collaboration indépendante. Elle renvoie aux critères habituels pour la définition de ce lien, rappelant la distinction essentielle entre les types de conventions, eu égard à leur objet : l’objet du contrat d’entreprise est le travail déterminé que l’entrepreneur s’engage à effectuer librement, tandis que l’objet du contrat de travail est la force de travail du travailleur et celle-ci est dirigée par l’employeur.

La cour reprend la modification légale introduite par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 et recherche, dès lors, à partir des éléments de l’espèce si l’on peut considérer qu’il y avait contrat de travail entre les parties.

La méthode à suivre est d’examiner en premier lieu s’il y avait une convention écrite, ce qui n’est pas le cas. La volonté des parties est dès lors recherchée et la cour considère que, eu égard à l’ensemble des éléments de fait (annonce parue dans la presse, bons de commande, description de la fonction par les autres ouvriers), que la relation était celle d’un contrat d’entreprise.

La cour examine ensuite si les éléments invoqués par les parties permettent d’exclure celui-ci et de retenir l’existence d’un contrat de travail.

Sur les éléments dégagés dans l’arrêt de la Cour d’appel de Douai (dans la procédure pénale mue en France), la cour retient – étant en cela suivie par toutes les parties – qu’une telle décision ne peut avoir d’autorité de chose jugée sur un procès civil en Belgique.

Parmi les éléments de fait, la cour retient que l’existence d’instructions ou de directives ne peut être suffisante, celui qui fournit un travail ayant nécessairement sa liberté limitée. C’est l’activité elle-même qui entraîne une notion de subordination économique (celle-ci ne s’identifiant pas avec la subordination juridique).

La cour poussant son examen plus loin va, dans le contexte concret des instructions données et des exigences liées à la coordination des prestations des différents intervenants, conclure que rien ne vient établir que ces instructions seraient inconciliables avec l’exécution d’un contrat d’entreprise.

Elle fait grief à la partie demanderesse originaire de ne pas établir les indices requis, étant que (i) le commettant contrôlait les heures prestées sur le chantier et (ii) qu’il avait imposé des déplacements groupés du personnel (ceux-ci étant apparemment organisés volontairement aux fins de limiter les coûts).

Enfin, la cour écarte la circonstance que l’intéressé avait été occupé comme travailleur salarié précédemment (pour une autre société d’ailleurs).

Elle relève cependant que la Cour d’appel de Douai s’était pour sa part ralliée à l’avis de l’inspection du travail, aboutissant à la conclusion inverse, l’intéressé n’étant pas inscrit en qualité d’indépendant dans le secteur des constructions métalliques, ce qui pour la juridiction française impliquait que toute la réglementation relative à la relation de travail employeur / salarié devait s’appliquer.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle une nouvelle fois la limite ténue entre les critères permettant de retenir l’existence d’un contrat de travail. La cour fait, dans son arrêt, grief à la partie demanderesse originaire de ne pas établir à suffisance de droit les éléments de cette autorité. Ceux-ci sont, actuellement, clairement précisés depuis la modification introduite par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 sur la nature de la relation de travail, la jurisprudence et la doctrine ayant admis que la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail n’est pas limitée aux hypothèses où les parties ont établi une convention écrite.

La cour rappelle également la méthode à suivre pour aboutir à une qualification juridique ou l’autre, étant qu’il n’y a plus lieu actuellement de faire la balance du poids respectif de certains indices invoqués par les parties (dans le sens d’un contrat de travail ou dans le sens d’un contrat d’entreprise) mais qu’il faut dans un premier temps qualifier la convention et ensuite examiner les éléments invoqués par l’une des parties comme inconciliables avec celle-ci et, enfin, s’il en existe, tirer les conséquences de ce constat sur la requalification de la convention elle-même.

Précisons que, dans un autre arrêt, daté du 16 février 2015, la Cour du travail de Mons a rappelé les mêmes principes, étant que, lorsque les parties ont qualifié leurs relations de travail (contrat d’entreprise, mandat ou autre forme quelconque de collaboration indépendante, ou encore de contrat de travail), cette qualification s’impose à elles, de même qu’aux tiers (comme, dans l’espèce tranchée par cet arrêt, l’O.N.S.S.). Le juge ne pourra s’écarter de la qualification que les parties ont donnée que si celui qui postule la disqualification rapporte la preuve de l’existence d’éléments incompatibles avec la qualification conférée contractuellement (C. trav. Mons, 16 février 2015, R.G. 2012/AM/300), la cour renvoyant également à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2013 (Cass., 10 juin 2013, n° S.012.0118.F – précédemment commenté), dans lequel celle-ci a considéré qu’il appartenait à l’O.N.S.S., qui entend procéder à la disqualification du contrat de travail, de supporter les effets de la charge de la preuve de l’inexistence d’un lien de subordination juridique.


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