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Un rapport de détective privé comprenant des photos prises à l’insu de la victime d’un accident du travail peut-il être produit par l’assureur Loi ?

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 6 février 2015, R.G. 2013/AL/392

Mis en ligne le jeudi 23 avril 2015


Cour du travail de Liège, 6 février 2015, R.G. n° 2013/AL/392

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Dans un arrêt du 6 février 2015, la Cour du travail de Liège rappelle les conditions devant être simultanément remplies pour que la preuve puisse être admise dans de telles conditions et conclut qu’à défaut pour celles-ci d’être réunies, il y a lieu d’écarter le rapport du détective.

Rétroactes

Dans la cadre de la fixation des séquelles d’un accident du travail survenu en novembre 2007, la cour du travail, saisie d’un appel contre un jugement du Tribunal du travail de Liège a déjà rendu deux arrêts, respectivement en date des 19 mars et 13 septembre 2014.

Le premier a ordonné une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de préciser leur position suite au rapport d’expertise qui avait conclu à une IPP de 35%.

Le second, examinant la légalité d’un rapport de détective qui lui était soumis, a invité l’assureur à établir que les conditions légales requises étaient réunies.

L’arrêt commenté consacre de longs développements à cette question. La cour rappelle que, suite à l’accident du travail, qui a touché l’index gauche, des complications sont intervenues touchant en fin de compte l’ensemble de la main. Un travail adapté a été autorisé en mai 2008 et l’intéressé a, cependant, licencié après six mois.

Il a ultérieurement pu retrouver un travail en mai 2009 avec une perte importante de rémunération.

Des évaluations successives ont été faites quant au taux d’IPP. En fin de compte, le taux, initialement de l’ordre de 10% passe à une fourchette entre 35 et 40%.

L’expert judiciaire désigné par le tribunal conclut, quant à lui, dans un rapport daté du 22 novembre 2011, que le taux doit être de 35%, l’incapacité ayant une répercussion sur les capacités de travail de la victime vu son niveau de formation, essentiellement. L’expert relève qu’il n’y a que les métiers manuels qui lui sont accessibles et qu’il a dans ce cas besoin de ses deux mains et qu’il sera toujours handicapé par les difficultés à se servir de son membre supérieur gauche.

Dans le cours de l’instruction judiciaire, l’assureur dépose en avril 2014 trois DVD. Ceux-ci contiennent des prises de vues de l’intéressé et ils émanent de la « cellule enquêtes » de l’entreprise d’assurances. Y sont jointes des photos où l’on voit l’intéressé se servir de sa main gauche (pour fermer la portière du véhicule, mettre sa ceinture de sécurité et conduire des deux mains). L’assureur entend, par ces images, infirmer les conclusions de l’assureur-loi.

Décision de la cour du travail

La cour entreprend un très long examen des conditions de la légalité du recours à la preuve par détective, reprenant en premier lieu les dispositions pertinentes de la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé et mettant les conditions fixées par celle-ci en regard des garanties contenues dans la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de de la vie privée :

  • Pour avoir la qualité de détective privé, il y a lieu de détenir une agréation légale, comme l’exige la loi du 19 juillet 1991. En l’espèce, tel est le cas.
  • La loi exige, en cas de recours à un détective, de décrire précisément l’objet de sa mission. Cette condition est également remplie.
  • Le détective est tenu à des obligations précises dans le cadre de sa mission, dont celle d’établir un rapport de mission et la cour conclut que cette condition a également été remplie.

Par ailleurs, la production d’un film gravé sur un DVD entre dans le champ d’application de la loi du 8 décembre 1992, relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel. La loi impose, dans une telle hypothèse, en son article 9, l’obligation de fournir à la personne concernée une série d’informations, étant essentiellement (i) le nom et l’adresse du responsable du traitement et le cas échéant de son représentant, (ii) les finalités du traitement, (iii) (sans incidence) et (iv) d’autres informations supplémentaires notamment l’existence d’un droit d’accès et de rectification des données concernant la personne.

Ce droit à l’information, à l’accès et à la rectification des données personnelles est essentiel et la cour rappelle que l’importance de la protection de ce droit fondamental justifie que le non respect de cette obligation fasse l’objet de sanctions pénales, la cour renvoyant à l’article 39, 4° de la loi, qui prévoit une peine d’amende importante (équivalent en euros de 100 à 100.000 anciens francs). La cour souligne que la chose revêt une importance encore plus grande lorsqu’il s’agit de produire de tels éléments en justice et notamment dans un litige relatif à l’indemnisation d’un accident du travail, lequel présente à l’évidence un lien étroit avec la santé de la victime.

En l’espèce, celle-ci n’a pas été informée de ce traitement informatisé de données personnelles la concernant. La condition fondamentale de légalité du recours à ce mode de preuve n’étant pas remplie, la cour passe ensuite à la question de savoir si malgré cette illégalité, les éléments en cause pourraient être retenus sur la base de la jurisprudence « Antigone ». Elle examine longuement cette jurisprudence et, ensuite, la position des parties quant à son application au litige en cause.

La cour relève dans de longs développements qu’existe de nombreuses critiques doctrinales et jurisprudentielles à l’encontre de l’extension de cette jurisprudence dans les contentieux civil et social et conclut qu’il n’y a pas lieu de régler la question de la légalité de la preuve par une application extensive de cette jurisprudence en dehors de la sphère dans laquelle la jurisprudence de la Cour de cassation l’a cantonnée jusqu’à présent, étant celle du contentieux pénal et celle de litiges du droit de la sécurité sociale dans lesquels des infractions pénales ont été commises, infractions réprimées par des sanctions d’exclusion de prestations sociales qui revêtent un caractère de nature pénale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La cour écarte dès lors le rapport du détective privé ainsi que les trois DVD déposés et entérine le rapport d’expertise en ce qu’il a fixé à 35% le taux d’IPP.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est évidemment essentiel sur la question de l’extension du champ d’application de la jurisprudence Antigone dans le contentieux social.

La cour rappelle très justement que, si la cour de cassation l’a admis, c’est là où des prestations sociales avaient été allouées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être et que les assurés sociaux s’étaient rendus responsables de comportements susceptibles d’être réprimés par des sanctions de nature pénale.

Ce champ d‘application est ainsi circonscrit et la Cour du travail de Liège rejoint ainsi la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles, qui notamment dans un arrêt du 7 février 2013 (R.G. n° 2012/AB/1115) a considéré, en matière de contrat (s’agissant d’un motif grave), qu’il y a lieu de se référer aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978 et aux règles générales du Code civil et non de suivre la jurisprudence applicable en matière répressive en ce qui compris celle rendue en sécurité sociale où existent des sanctions de nature pénale.


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