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Revenu d’intégration et prise en compte des revenus d’un ascendant : application nuancée

Commentaire de C. trav. Liège, div. Liège, 3 décembre 2014, R.G. 2014/AL/90

Mis en ligne le vendredi 13 mars 2015


Cour du travail de Liège, div. Liège, 3 décembre 2014, R.G. n° 2014/AL/90

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 décembre 2014, la Cour du travail de Liège fait une application nuancée de la règle relative à la prise en charge des revenus de l’ascendant cohabitant, dans l’hypothèse où celui-ci perçoit une contribution alimentaire au profit de son enfant.

Les faits

Une mère, au chômage, vit avec sa fille. Celle-ci doit arrêter ses études suite à un accident et perçoit un revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Suite à une décision judiciaire, la mère perçoit une part contributive à charge du père, contribution d’un montant de l’ordre de 175€ par mois. Cette contribution a été fixée en faveur de la fille commune.

Le CPAS prend plusieurs décisions, en janvier 2013, essentiellement liées à la prise en compte de la pension alimentaire et des ressources de la mère et tenant compte du fait que le montant des ressources de celle-ci dépasse le revenu d’intégration sociale au taux cohabitant.

Décision du tribunal

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, qui le rejette par jugement du 29 janvier 2014.

Le Tribunal du travail de Liège considère, en effet, que pour le calcul des ressources de l’intéressée, il faut prendre en considération les ressources de la mère pour ce qui dépasse le revenu d’intégration au taux cohabitant ainsi que le montant de la pension alimentaire versée par le père. Ce montant, versé à la mère, était en réalité reversé par celle-ci à sa fille. Il en découle qu’un montant de l’ordre de 22€ doit être déduit des revenus de la mère et être fictivement octroyé à l’intéressée.

Celle-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

La partie appelante explique qu’avant le 1er avril 2013, sa mère était titulaire de la pension alimentaire, la circonstance que cette pension était versée du compte de sa mère vers son propre compte ensuite étant un arrangement entre elles et étant ainsi sans incidence sur la nature des ressources visées). Or, l’arrêté royal du 11 juillet 2002 portant règlement général en matière de droit à l’intégration sociale exclut en ses articles 34 et 22 des ressources à prendre en considération la contribution alimentaire obtenue par la mère.

Sa fille réclame dès lors le revenu d’intégration sociale au taux cohabitant sans déduction.

Quant au CPAS, il considère que la pension alimentaire est perçue par l’intéressée directement et non par sa mère. En outre, celle-ci n’est pas une personne qui élève un enfant et ne peut dès lors bénéficier de l’article 22 de l’arrêté royal, qui détermine les ressources qui ne sont pas prises en compte (et notamment la pension alimentaire perçue au profit des enfants célibataires à charge de l’intéressé pour autant que celui-ci les élève).

Décision de la cour

La cour reprend les dispositions relatives à la problématique des ressources à prendre en compte en la matière : la loi exige que le demandeur de revenu d’intégration ne dispose pas de ressources suffisantes et que toutes les ressources quelles qu’en soient la nature ou l’origine soient prises en considération. Pour ce qui est des ressources des personnes avec lesquelles le demandeur cohabite, celles-ci peuvent également l’être, dans les limites fixées par arrêté royal.

La cour rappelle ainsi que l’arrêté du 11 juillet 2002 a déterminé les ressources à prendre en compte et que, particulièrement, il opère une distinction entre d’une part le partenaire de vie, conjoint ou compagnon (dont les ressources doivent être retenues) et d’autre part les ascendants ou descendants majeurs du premier degré cohabitants (dont les ressources peuvent être prises en compte) et, également, les cohabitants qualifiés de « autres » (dont les ressources ne peuvent pas être retenues).

S’agissant des père et mère, il peut y avoir prise en compte totale ou partielle pour ce qui dépasse la partie des ressources qui excèdent le revenu d’intégration et, pour la cour, la jurisprudence considère généralement que, la solidarité familiale devant primer la solidarité collective, la prise en compte est le principe et la non prise en compte l’exception. Celle-ci doit dès lors se justifier.

Dès lors que la réglementation prévoit, pour ce calcul, l’attribution fictive au demandeur de revenu d’intégration de la part des ressources du père ou de la mère cohabitant qui excède celui-ci, la cour considère qu’il faut procéder comme si l’on attribuait à chacun des ascendants un revenu d’intégration et donc qu’il faut appliquer toutes les règles d’octroi pour ce qui le concerne et notamment celles déterminées aux articles 22 et 34 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002.

Dans la mesure où la mère élève effectivement l’enfant qui vit avec elle et qui avait la qualité d’étudiante jusqu’à la survenance de l’accident et qu’elle bénéficiait d’une contribution alimentaire pour sa fille, il faut considérer que le versement opéré par le père, en vertu d’une décision judiciaire, est à qualifier de part contributive accordée à la mère et que celle-ci ne doit pas être prise en compte pour déterminer les revenus de l’ascendant à retenir dans l’évaluation du revenu d’intégration de sa fille. Cette part contributive ne constitue par ailleurs pas une ressource pour cette dernière.

La cour procède à un nouveau calcul dont il ressort que mensuellement, il y a un différentiel d’une dizaine d’euros qui dépassent le montant du revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Compte tenu de l’abattement (article 22, § 2 de l’arrêté royal), il n’y a pas, pour les deux personnes, un revenu équivalent à deux fois l’obtention du revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. La cour fait dès lors droit à l’appel et condamne le au paiement.

Intérêt de la décision

La question de la prise en compte de revenus des ascendants est récurrente, et l’on peut à cet égard renvoyer également à un arrêt de la Cour du travail de de Bruxelles du 23 octobre 2014 (C. trav. Bruxelles, 23 octobre 2014, R.G. n° 2013/AB/173), qui a relevé les divisions en jurisprudence sur la question, aucune directive n’ayant été donnée permettant au CPAS de déterminer les critères à prendre en compte et les travaux préparatoires de la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d’existence étant particulièrement vague à cet égard. Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles avait rappelé que l’examen doit se faire dans chaque cas d’espèce et porter sur le caractère raisonnable ou non de la prise en compte. Dans l’espèce qu’elle avait eu à trancher, elle avait constaté que celle-ci aurait abouti à neutraliser, sur le plan des ressources familiales, le bénéfice tiré de la mise en travail du père dans le cadre de l’article 60.

Dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège ci-dessus, c’est la méthode à suivre pour calculer les revenus de l’ascendant qui est précisée : pour la cour, dans la mesure où il est prévu d’attribuer fictivement un revenu d’intégration aux ascendants (ou de même aux descendants) majeurs cohabitant, il faut faire comme si l’on attribuait à chacun de ceux-ci un revenu d’intégration sociale et donc mettre en œuvre toutes les règles d’octroi du RIS dont notamment celles déterminées aux articles 22 à 44 de l’arrêté royal qui reprennent la partie des ressources dont il n’est pas tenu compte, et parmi lesquelles se trouve la pension alimentaire (ou l’avance sur le terme de la pension alimentaire) perçue au profit d’enfants célibataires à charge de l’intéressé pour autant que celui-ci les élève.


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