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Accident de roulage : conditions pour qu’il y ait chemin du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 15 décembre 2014, R.G. 2013/AM/367

Mis en ligne le mercredi 25 février 2015


Cour du travail de Mons, 15 décembre 2014, R.G. n° 2013/AM/367

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 décembre 2014, la Cour du travail de Mons a rappelé qu’en cas d’accident de roulage survenu après un événement festif, il n’y a pas nécessairement accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat ou sur le chemin du retour vers le domicile ; en outre, il n’y a pas lieu d’appliquer le régime dérogatoire de responsabilité de l’article 18 de la loi sur les contrats de travail.

Les faits

Une société, qui exploite plusieurs magasins dans diverses villes du pays, organise une soirée dans un restaurant de Hal aux fins de fêter le départ du directeur de l’un de ses points de vente. Les représentants de la société assistent à cette soirée. A l’issue de celle-ci, les participants regagnent leur domicile avec leur véhicule de fonction. L’un de ceux-ci, vers 5 heures du matin, est victime d’un accident de roulage. Il y a imprégnation alcoolique et il a brûlé un feu rouge.

L’employeur réagit à l’égard de son employé, vu la gravité des faits, mais limite la sanction à 3 jours de mise à pied, eu égard à son ancienneté dans la société et à son bon comportement professionnel.

L’intéressé est, cependant, condamné quelques mois plus tard par le Tribunal de Police. Il se voit infliger une peine d’amende et une déchéance du droit de conduire. Il quitte ultérieurement son employeur, après avoir presté un préavis.

Près d’un an après son départ, soit plus de 2 ans après les faits, la société de leasing, qui avait mis à la disposition de l’entreprise plusieurs véhicules, dont celui en cause, se retourne contre l’employeur, lui facturant l’intégralité des frais exposés, conformément aux cas d’exclusion de la couverture (qui visaient notamment la conduite avec un taux d’alcoolémie punissable).

La société se retourne contre son ancien employé, faisant valoir qu’il n’avait jamais été entendu de lui réclamer les dégâts. L’ex-employeur introduit dès lors une procédure contre l’intéressé, et ce devant le Tribunal de Première Instance de Charleroi.

Le jugement du Tribunal de Première Instance

Par jugement du 25 juin 2012, le Tribunal de Première Instance, saisi par l’employeur, sur pied de l’article 1382 du Code civil, se reconnaît incompétent « ratione materiae ». Il considère en effet qu’il y a accident sur le chemin du travail et que la demande mue par l’employeur est formée dans ce cadre.

Par jugement du 21 mai 2013, le tribunal du travail accueille la demande et condamne l’intéressé à verser à l’employeur une somme supérieure à 5.000 € au titre de réparation, considérant que le droit commun est seul applicable, et non l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978.

L’appel

L’employé interjette appel, soulevant en premier lieu la prescription annale de l’action de la société, le dommage découlant du contrat de travail (le véhicule étant un avantage en nature tombé dans le champ contractuel). Il soulève également qu’il y a eu renonciation tacite mais certaine de la société à demander le remboursement en cause, et ce eu égard à son comportement pendant plus de 2 ans.

Enfin, il soulève qu’il y a faute concurrente dans la chef de la société et dans son chef à lui, ce qui devrait aboutir à mettre à la charge de cette dernière 80% du préjudice.

La société, quant à elle, considère que le fondement de son action est l’article 1382 du Code civil, la faute ne présentant pas un caractère professionnel, ce qui exclut l’immunité de l’article 18. Par ailleurs, elle conteste avoir renoncé à réclamer le montant en cause.

La position de la cour

Le point de départ du raisonnement de la cour est de considérer que, si le Tribunal de Première Instance a qualifié l’accident litigieux d’accident sur le chemin du travail, ceci ne lie nullement les juridictions du travail. La cour rappelle, dès lors, les principes applicables à la matière des détours et interruptions et en conclut que le chemin du travail ne peut être retenu, dans la mesure où aucun élément n’est fourni quant à la raison pour laquelle l’intéressé se serait trouvé dans un lieu aussi éloigné de son domicile à cette heure avancée.

Elle rejette, dès lors, la conclusion du Tribunal de Première Instance à cet égard. En ce qui concerne l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, la règle qu’il contient déroge au droit commun de la responsabilité, celle-ci n’étant retenue que si le travailleur a causé des dommages à l’employeur (ou à des tiers) dans l’exécution du contrat de travail. Cette disposition exclut les faits de la vie privée, et la cour renvoie également à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 25 juin 1986, Pas., I, p. 1321), pour rappeler que l’accident survenu sur le chemin du travail dès lors que le travailleur n’est à ce moment-là pas sous l’autorité de l’employeur est également exclu.

En conséquence, il faut considérer qu’au moment de l’accident, le travailleur n’utilisait pas le véhicule dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail et qu’il circulait pour son compte propre.

La cour en tire plusieurs conclusions, étant que la prescription annale ne peut trouver à s’appliquer et qu’il faut retenir le droit commun de la responsabilité.

Elle va, ensuite, également examiner la question de la renonciation de l’employeur à réclamer le remboursement du préjudice et, à partir des éléments de fait retenus, elle conclut qu’il n’y a pas renonciation. Enfin, il n’y a pas non plus de fautes concurrentes, l’état d’imprégnation alcoolique étant un cas d’exclusion de l’assurance.

Intérêt de la décision

L’objet du litige, étant une demande de remboursement formée dans le cadre d’un contrat de leasing de véhicules professionnels – contrat conclu entre la société tiers et l’employeur – n’aurait certainement pas été de la compétence des juridictions du travail. L’action de l’employeur en remboursement, introduite contre le travailleur responsable de l’accident ayant donné lieu à l’application d’une clause d’exclusion de la garantie, ne l’aurait normalement pas été davantage.

Saisi de l’affaire, le Tribunal de Première Instance de Charleroi a considéré qu’il y avait accident sur le chemin du travail et que le renvoi devant les juridictions du travail se justifiait, s’agissant d’une contestation relative au contrat de louage de travail.

Cette double constatation n’a pas été partagée par la cour du travail. Celle-ci a très justement relevé en premier lieu que rien ne permet de dire qu’il y a accident sur le chemin du travail (le Tribunal de Première Instance ne pouvant – vu le caractère d’ordre public de la loi – imposer cette conclusion aux juridictions du travail) et que, par ailleurs, vu la jurisprudence de la Cour de cassation, si un accident est un accident sur le chemin du travail, il n’y a pas exécution du contrat de travail.

Ne s’agissant pas d’un accident du travail au sens strict, l’article 18 n’est pas applicable. Il faut en effet rappeler qu’il ne joue que pour les actes dommageables commis dans l’exécution du contrat de travail et qu’il ne peut être invoqué en cas de faute commise en dehors de celui-ci, le critère étant, en ce qui concerne l’exécution du travail, la durée des fonctions.


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