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Demande de reconnaissance d’un contrat de travail : étendue de la preuve à apporter

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 novembre 2014, R.G. 2014/AB/277

Mis en ligne le mercredi 25 février 2015


Cour du travail de Bruxelles, 18 novembre 2014, R.G. 2014/AB/277

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 novembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles passe en revue les critères des articles 331 et suivants de la loi-programme du 27 décembre 2006 en ce qu’ils permettent de retenir l’existence d’une relation de travail salariée.

Les faits

Monsieur G. exerce la surveillance du fret d’une société aéronautique togolaise sur plusieurs aéroports belges. Aucune convention écrite n’a été signée entre parties, la collaboration ayant débuté en janvier 2005.

Certaines anomalies interviennent dans les paiements des prestations de l’intéressé à partir de février 2011. Il tombe en incapacité de travail pendant un mois et demi. Lors sa tentative de reprise, le 1er juin 2011, la situation ne se règle pas. Par courrier de son conseil du 23 juin, il constate la rupture unilatérale du contrat du fait du non-paiement d’arriérés de rémunération, le constat de rupture faisant état d’un contrat de travail.

Une procédure est alors introduite immédiatement devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement de rémunérations et pécules pour un montant de l’ordre de 63.000 €, ainsi que d’une indemnité compensatoire de préavis de 10 mois de rémunération, soit un montant de près de 160.000 €.

Par jugement du 4 octobre 2013, le tribunal du travail déboute l’intéressé de sa demande et celui-ci interjette appel, reprenant l’ensemble de ses réclamations initiales.

Devant la cour, la société ne comparaît pas et un arrêt par défaut est ainsi prononcé, suite à la prise en délibéré le 14 octobre 2014.

La décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu les dispositions applicables, étant les articles 331 à 333 de la loi-programme du 27 décembre 2006. Celle-ci contient les critères généraux (article 333), permettant de retenir l’existence ou l’absence d’un lien de subordination. Ils sont au nombre de quatre et c’est sur la base de ceux-ci que la cour rend sa décision.

Le premier critère examiné est la qualification de la convention, étant la volonté des parties quant à celle-ci. Aucune convention écrite n’a été conclue et la cour relève la mention d’employé, sur quelques documents d’accès aux installations. Cette mention, utile dans le cadre du respect de la réglementation en matière de sécurité, ne peut pas, pour la cour, être retenue comme qualification conventionnelle.

En ce qui concerne, cependant, la volonté exprimée lors de la conclusion de la convention, des éléments issus du dossier démontrent plutôt que l’on aurait affaire à une relation indépendante, l’intéressé ayant lui-même fait référence à « notre coopération », la société qualifiant les paiements intervenus d’« émoluments » et le travailleur apportant lui-même des mentions spécifiques dans ses réclamations de rémunération, mentions faisant état de factures de fret, de prestations mensuelles, etc.

La cour retient par ailleurs que l’intéressé présente les prestations effectuées de manière concordante à l’objet social d’une SPRL qu’il a constituée en 2010 et dont il détient la très grande majorité des parts, et relève qu’une partie des montants versés pour le mois d’octobre 2010 l’a été sur le compte de la société. Par ailleurs, de l’absence de cotisations de sécurité sociale et de retenues de précompte professionnel, ainsi que de fiches de paie, il peut également être déduit que l’intéressé ne visait pas une demande de paiement de rémunération. Elle en conclut, à l’instar du premier juge, qu’il y a eu une qualification indirecte de collaboration indépendante.

Le deuxième critère de la loi est relatif à la liberté d’organisation du temps de travail. Sont examinés ici deux éléments importants, relatifs à la suspension du contrat : la question des vacances et celle de l’incapacité de travail. Sur le premier point, la cour constate qu’il n’a pas dû solliciter l’autorisation de la société, mais qu’il la simplement informée de ses périodes de disponibilité et que, pour ce qui est de l’incapacité de travail, les parties ne se sont pas comportées comme si elles étaient dans une situation de suspension du contrat de travail. La cour conclut à la liberté de l’organisation du temps de travail.

Quant au troisième critère, relatif à la liberté d’organisation du travail lui-même, elle constate qu’il est exact que l’intéressé devait adapter ses prestations aux arrivées des vols, mais que ceci ne peut être compris comme étant une limitation de sa liberté dans le contexte d’un contrôle hiérarchique. De même, l’obligation d’informer de sa disponibilité démontre à suffisance qu’il y avait une liberté d’organisation. La présence à des réunions n’est pas davantage de nature à faire retenir un tel contrôle sur l’organisation du travail.

Enfin, le dernier critère, relatif à la possibilité plus générale d’un contrôle hiérarchique, n’est rencontré dans aucune des pièces déposées par l’intéressé, les éléments produits ne démontrant pas qu’il était tenu de satisfaire aux demandes de la société.

La cour constate n’être en présence d’aucun élément de nature à établir l’exercice d’une autorité au sens légal. Elle confirme dès lors le jugement.

Enfin, l’intéressé ayant demandé à titre subsidiaire le renvoi vers le Tribunal de première instance, soit devant la Cour d’appel, à ce stade de la procédure, la cour du travail rejette cette demande, constatant que, si, dans son acte introductif, l’intéressé a visé un contrat de travail, il faut se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne la compétence du juge : celle-ci est déterminée par l’objet de la demande telle que libellée dans cet acte introductif. Si le juge ne retient pas, en l’espèce, l’existence d’un contrat de travail, le demandeur est débouté et il ne peut être question d’une action qui aurait été introduite devant un juge incompétent.

Intérêt de la décision

Cet arrêt – rendu par défaut – explore les champs habituels des conditions d’exercice des prestations de travail, tels que dégagés par la loi-programme du 27 décembre 2006. L’exercice fait par la cour est actuellement la règle sur le plan des critères généraux, étant que ces quatre critères sont aisément passés en revue, les circonstances concrètes de l’exécution des prestations étant confrontées à ceux-ci.

Quoique ces questions n’aient pas été abordées dans l’arrêt, il peut être rappelé que, dans certains secteurs économiques, un mécanisme de présomption est actuellement introduit, basé sur des critères spécifiques. Si la moitié des critères retenus ne sont pas remplis, la relation de travail en tant qu’indépendant est présumée. Dans le cas inverse, la présomption de travail salarié vaut.

Divers arrêtés royaux ont ainsi été pris à partir de la mi-2013, concernant des secteurs spécifiques (travaux immobiliers – construction –, gardiennage, autobus, transport routier, etc.).


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