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Preuve de la cohabitation dans le secteur AMI : valeur probante des constatations figurant dans un procès-verbal des autorités de Police

Commentaire de C. trav. Mons, 26 juin 2014, R.G. 2013/AM/285

Mis en ligne le lundi 16 février 2015


Cour du travail de Mons, 26 juin 2014, R.G. n° 2013/AM/285

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 26 juin 2014, la Cour du travail de Mons rappelle les principes relatifs à la force probante des constatations effectuées par les inspecteurs sociaux, ainsi que celle de procès-verbaux reçus en provenance d’un autre service d’inspection ou de la Police.

Les faits

Une assurée sociale dépendant de la mutuelle depuis octobre 2008 a déclaré vivre avec son fils mineur. Lui a dès lors été attribué le taux correspondant aux personnes ayant famille à charge.

Une enquête est effectuée dans le cadre d’un dossier ne la concernant pas directement, s’agissant d’un dossier pénal dans lequel le père de l’enfant est impliqué. Celui-ci affirme cohabiter avec la mère et déclare que cette dernière serait au chômage.

L’intéressée est entendue par les services de l’ONEm mais déclare ne plus être bénéficiaire d’allocations de chômage, de telle sorte qu’aucune suite n’est réservée au dossier.

Le service du contrôle administratif de l’I.N.A.M.I., mis au courant, rédige ultérieurement un procès-verbal, sur la base des constatations de Police et conclut que l’organisme assureur n’a pas été informé de la cohabitation.

Le conseil de l’intéressée intervient pour contester cette conclusion et considérer qu’il y a eu violation des droits élémentaires de la défense, l’intéressée n’ayant pas pu être entendue et la conclusion dégagée l’ayant été sur la base des seules déclarations du père de l’enfant, dont elle est séparée depuis longtemps.

Aucune suite n’est réservée à ce courrier et l’organisme assureur notifie à l’intéressée un indu de l’ordre de 4.500 €.

Cette décision est contestée devant le Tribunal du travail de Mons. D’autres procédures sont initiées par les institutions de sécurité sociale et l’ensemble est joint. Par jugement du 5 juin 2013, le tribunal déboute l’intéressée de son recours, la condamnant au remboursement d’indemnités de mutuelle indûment perçues (différence entre le taux de chef de famille et le taux cohabitant).

Appel est interjeté par celle-ci.

Position des parties devant la cour

La partie appelante considère que le procès-verbal de constat sur lequel sont fondées les décisions des institutions litigieuses est sans aucune force probante, dans la mesure où il ne contient aucune constatation matérielle émanant des services d’inspection. Elle fait également valoir une violation des droits de défense dans la mesure où elle n’a jamais été entendue et, en tout état de cause, conteste la cohabitation.

L’organisme assureur considère, quant à la force probante, que le pro justitia se fonde sur un procès-verbal de constat du service d’inspection de l’ONEm et d’un procès-verbal de la Police, qui eux sont revêtus de cette force probante. Il estime également qu’il n’était pas nécessaire d’entendre l’intéressée.

L’I.N.A.M.I. est pour sa part d’avis que le procès-verbal de constat fait foi jusqu’à preuve du contraire – une telle preuve n’étant pas rapportée. Il plaide également que l’intéressée a fait usage de faux documents en vue de bénéficier des indemnités au taux chef de famille et qu’il y a infraction pénale.

La décision de la cour

La cour tranche en deux temps. Elle réserve, en premier lieu, des développements importants quant à la validité du procès-verbal de constat.

Elle relève que la force probante particulière ne s’attache qu’aux constatations matérielles faites et non aux déclarations ou appréciations du verbalisant. Si celui-ci reçoit la déclaration d’un plaignant ou d’un témoin, le procès-verbal fait preuve de ce que cette déclaration a été reçue mais non de son exactitude. Reprenant la doctrine de Charles-Eric CLESSE (Ch.-E. CLESSE, Les inspections sociales : devoirs et pouvoirs, Anthémis, 2009, p. 138), la cour rappelle que la force probante particulière du procès-verbal de constat ne s’attache qu’aux faits que l’inspecteur social a matériellement et personnellement constatés, et ce dans les limites de ses attributions, faits mentionnés à titre de procès-verbal. Toute autre constatation ne vaut qu’à titre de simple renseignement. La cour souligne les termes « matériellement et personnellement constatés ». Il en découle que, vu les éléments exposés ci-dessus, le procès-verbal ne bénéficie d’aucune force probante particulière.

En ce qui concerne l’audition de l’intéressée, elle est un droit de défense, inscrit dans le principe général du respect dû à ceux-ci. L’absence d’audition ne peut cependant, pour la cour, entraîner l’annulation de la sanction administrative. La réglementation autorise l’assuré social à faire des observations dans le délai légal de 14 jours et ceci a été fait via son avocat.

La cour reprend, ensuite, les dispositions relatives d’une part au taux de travailleur ayant personne à charge et, d’autre part, à celui de la personne considérée comme cohabitante.

Dans la première catégorie figure notamment le titulaire cohabitant avec une personne avec laquelle il forme un ménage de fait, étant cependant exigé que ce cohabitant n’exerce aucune activité professionnelle et ne bénéficie pas de revenus (pension, rente, allocations ou indemnités) et qu’il soit financièrement à charge du titulaire. Sur le plan de la preuve, il est exigé (article 225, § 4 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994) que figure au dossier du titulaire une attestation officielle (Registre national). L’inadéquation entre la situation décrite dans ce document et la réalité peut cependant être démontrée.

En l’espèce, l’intéressée cohabite avec son fils mineur, ainsi que repris au Registre national. Pour la cour, il appartient, dans cette hypothèse, aux institutions de sécurité sociale de déposer d’autres documents probants permettant de déterminer la situation réelle.

A cet égard, les déclarations du père dans un autre dossier (pénal) ne peuvent suffire à établir cette cohabitation. La cour relève également la séparation avérée du couple, démontrée notamment par le fait que l’ex-compagnon n’est pas en mesure de déterminer quelle est la situation exacte (chômage ou mutuelle) de son ex-compagne.

La cohabitation ne peut dès lors être retenue et le jugement est réformé.

Intérêt de la décision

Au-delà de la solution retenue, dans une situation classique de cohabitation (avérée ou non), l’arrêt est utile en ce qui concerne les principes relatifs à la validité du procès-verbal de constat.

La cour y rappelle deux principes d’ordre général, étant d’une part que la force probante d’un procès-verbal ne s’attache qu’aux constatations matérielles qui ont été faites et, en sus, que les constatations en cause doivent être celles faites matériellement et personnellement par l’inspecteur social dans les limites de ses attributions. Dans toute autre hypothèse, les constatations faites ne valent qu’à titre de simple renseignement.


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