Terralaboris asbl

Accident du travail : obligation d’information du Fonds des Accidents du Travail dans le cadre d’une demande d’allocation d’aggravation

Commentaire de C. trav. Mons, 28 mai 2014, R.G. 2013/AM/251

Mis en ligne le lundi 16 février 2015


Cour du travail de Mons, 28 mai 2014, R.G. n° 2013/AM/251

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 mai 2014, la Cour du travail de Mons revient sur les obligations mises à charge des institutions de sécurité sociale, en l’occurrence le F.A.T., par l’arrêté royal du 24 novembre 1997 adaptant au secteur « accident du travail » les règles de la Charte de l’assuré social en matière d’information utile.

Les faits

Un travailleur avait été victime d’un accident sur le chemin du travail en 1968. Suite au règlement des séquelles de l’accident (35% d’I.P.P.), il introduit en 1990 une demande d’allocation d’aggravation, qui a abouti à une décision du Fonds des Accidents du Travail, admettant la prise en charge d’une période d’incapacité temporaire totale pendant environ 16 mois et rejetant la demande d’aggravation de l’incapacité permanente. Le Fonds maintient sa position par deux décisions ultérieures, datant d’août 2001 et juillet 2002. Une nouvelle demande d’allocation d’aggravation de l’incapacité permanente est introduite en janvier 2006 et le Fonds y fait droit par décision du 8 novembre 2006, admettant que le taux devait être de 55% depuis le 1er janvier 2006.

En mars 2008, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Charleroi en ce qui concerne les décisions prises en 2001 et 2002 par le F.A.T. concernant le refus de la prise en charge de l’incapacité de travail temporaire au-delà de la période des 16 mois admise.

L’assureur responsabilité civile de l’avocat en charge du dossier pendant des années fait une intervention volontaire en septembre 2008 dans le cadre de cette procédure.

La victime étant décédée, l’instance est reprise par son épouse.

Le jugement du Tribunal du travail de Charleroi

Par jugement du 17 avril 2013, le tribunal du travail constate que, sur la base des dispositions de la loi du 10 avril 1971, l’action dirigée contre le F.A.T. est prescrite. Une demande ayant été formée sur pied des articles 1382 et 1383 (non-respect par le F.A.T. des obligations d’information prévues à l’article 3 de la Charte de l’assuré social), le tribunal déclare que cette demande est recevable et ordonne une expertise.

Le F.A.T. interjette appel.

La position des parties devant la cour

Le F.A.T., appelant, conteste avoir commis une faute découlant de l’absence d’information précise et complète, à savoir essentiellement les règles de prescription pour l’introduction de l’action. Pour le Fonds, les mentions légales requises ont été communiquées en annexe aux décisions querellées et, à supposer qu’il y ait une faute dans son chef, il conteste le lien de causalité et fait encore valoir que la sanction de l’absence des mentions légales ne peut avoir d’incidence sur le délai de prescription (prise de cours).

L’ayant-droit de la victime demande que soit confirmée l’existence d’une faute en relation causale, demandant condamnation du Fonds à 1 € provisionnel ainsi que la confirmation de la mesure d’instruction.

Quant à l’assureur de l’avocat, il demande également confirmation du jugement en ce qui concerne le défaut d’information du F.A.T., celui-ci constituant une faute en relation causale avec le dommage.

La décision de la cour

La cour aborde plusieurs questions de principe, sur la prescription d’abord et sur la demande de réparation ensuite.

Sur la prescription, si le point de départ n’est pas prévu dans la loi, il est admis depuis un arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1980 (Cass., 4 février 1980, n° 6.108) que celui-ci est le jour où naît pour la victime le droit à réparation et non le jour où son droit serait menacé. En l’espèce, ce jour est celui de la réception de la notification du F.A.T. du 30 janvier 2001 concernant l’application de l’article 25bis de la loi.

Par ailleurs, en ce qui concerne les effets de l’absence d’indication des mentions requises par la Charte sur la décision administrative, la cour rappelle – comme l’avait fait le tribunal – qu’en vertu de l’article 14, alinéa 2 de la loi, l’absence des mentions requises ne fait pas courir le délai de recours. Ceci ne signifie cependant pas que cette disposition vise de la même manière le délai de prescription. La cour du travail renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2010, qui a tranché la question (Cass., 10 mai 2010, n° S.08.0140.F).

Quant à la demande de réparation d’une faute, la cour aborde d’abord les obligations à charge du F.A.T. Elle conclut à la réformation du jugement sur ce point. Renvoyant en effet à l’arrêté royal du 24 novembre 1997, qui a appliqué au secteur des accidents du travail, les obligations visées à la Charte, la cour reprend la définition d’information utile (article 1erbis de l’arrêté royal), étant qu’il s’agit de celle susceptible de fournir à l’assuré social, dans le cadre de sa demande, des éclaircissements sur sa situation individuelle en ce qui concerne l’accident. Elle rappelle plusieurs décisions de jurisprudence ayant retenu la responsabilité d’assureurs (même avant l’entrée en vigueur de la Charte) dans des situations similaires.

Examinant les éléments transmis par le Fonds à la victime, la cour constate cependant que toutes les mentions réglementaires figuraient dans les décisions notifiées et que, d’ailleurs, l’attention de la victime a été attirée sur le maintien d’une décision de reprise du travail à une date déterminée. Elle vérifie également que les règles de procédure et de prescription lui ont été expressément transmises.

L’action mue contre le Fonds est dès lors non fondée.

Cependant, la cour examine un dernier point de l’argumentation développée par l’ayant-droit à titre infiniment subsidiaire, étant qu’il y aurait responsabilité de l’avocat. La responsabilité du conseil consulté à l’époque par la victime étant mise en cause, la cour admet qu’elle est compétente pour connaître de cette demande, étant une demande incidente.

Aux fins de déterminer si celle-ci est fondée, la cour commence par rappeler les principes, concernant la mission de l’avocat : celui-ci est tenu contractuellement d’une obligation de résultat envers son client lorsqu’il a reçu instruction de contester une décision ou d’introduire une procédure et, s’il laisse passer le délai de prescription, l’avocat verra sa responsabilité professionnelle engagée (sauf force majeure, faute du client ou d’un tiers). La faute étant établie, il y a lieu, pour la cour, de vérifier dans le cadre d’une mesure d’expertise s’il y a dommage en relation causale avec l’accident. Elle désigne dès lors un expert et, vu la limitation de la portée de la mesure, elle décide de recourir à la procédure d’expertise simplifiée.

Intérêt de la décision

Dans l’espèce commentée, où l’action est manifestement tardive, la cour du travail a scrupuleusement examiné les conditions dans lesquelles un manquement pourrait être reproché, en l’occurrence au F.A.T., en cas de non-respect des obligations d’information reprises dans l’arrêté royal du 24 novembre 1997 venu adapter au secteur des accidents du travail les obligations de la Charte mises à charge des institutions de sécurité sociale.

Outre cet important rappel, ainsi que celui de la règle selon laquelle le défaut desdites mentions fait certes obstacle à ce que le délai de recours prenne cours – mais non celui de prescription –, la cour rappelle que l’avocat a une obligation de résultat pour ce qui est du respect des délais de prescription.

Son assureur en responsabilité professionnelle invoque, pour sa part, à juste titre, que non seulement une faute doit exister dans son chef, mais que celle-ci doit être en relation causale avec le dommage que son ancien client déclare avoir subi et dont il demande la réparation.


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