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Le CPAS peut-il refuser l’aide sociale au motif d’une non présentation à un contrôle ?

Commentaire de C. trav. Liège, 25 octobre 2006, R.G. 33.514/05

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège, 25 octobre 2006, R.G. 33.514/05

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 25 octobre 2006, après avoir jugé comme légitime un mesure de contrôle imposée à un demandeur d’asile qui devait se présenter tous les deux mois au CPAS de la commune désignée comme lieu obligatoire d’inscription, le cour du travail de Liège considère cependant que l’absence au contrôle bimensuel ne peut en soi justifier une décision de refus de l’aide sociale, dès lors que le CPAS n’établit pas que le non-respect de cette mesure l’a mis dans l’impossibilité d’exécuter sa mission. La cour examine également la question de l’octroi d’une aide sociale pour une période révolue.

Les faits de la cause

M. G. a été aidé par le CPAS de Hasselt, commune qui lui a été désignée comme lieu obligatoire d’inscription (code 207). Sa demande d’asile a été déclarée recevable et l’examen au fond est toujours en cours.

Le CPAS de Hasselt a pris en juin 2004 une décision lui octroyant une aide sociale de 694,54 € par mois. Cette décision imposait à Mr. G de se présenter au CPAS une fois tous les deux mois et, pour l’autre mois, de faxer une copie de son document de séjour.

Par une nouvelle décision qui est contestée, le CPAS de Hasselt a toutefois supprimé l’aide sociale à partir du 1er juillet 2004 au motif que Mr. G ne respecte cette condition.

M. G. est à nouveau aidé par le CPAS à partir de janvier 2005.

La décision du tribunal

Le tribunal a déclaré le recours de M. G. non fondé, retenant que :

  • M. G. ne démontre pas une impossibilité de se rendre à Hasselt une fois tous les deux mois ;
  • la mesure de contrôle décidée par le CPAS n’était pas disproportionnée par rapport à la nécessité pour celui-ci d’être complètement informé de la situation du demandeur d’aide.

Position des parties

M. G. demande que le CPAS soit condamné à lui payer l’aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux isolé avec enfant à charge depuis le 1er juillet 2004. Il estime que le CPAS ne pouvait lui imposer de se présenter tous les deux mois pour justifier de son séjour, considérant que faire dépendre l’aide sociale de cette obligation revient à ajouter une condition à la loi et précisant que la seule condition d’octroi de l’aide sociale est de pouvoir mener une vie conforme à la dignité humaine. M. G. considère également qu’il s’agit d’une mesure disproportionnée puisque le CPAS est informé de la régularité de son séjour par un contact direct avec l’Office des Etrangers.

Le CPAS de Hasselt demande de confirmer le jugement estimant que l’obligation de présentation une fois tous les deux mois imposée à M. G. est légitime et est conçue dans l’intérêt de l’usager.

Décision de la cour

La cour estime que la mesure de contrôle imposée à M. G. par le CPAS est légitime et non disproportionnée, relevant que :

  • Si la personne aidée décide, ce qui est son droit, de résider dans une autre commune que celle qui lui est désignée comme lieu d’inscription obligatoire, le CPAS compétent pour fournir l’aide sociale rencontre une difficulté particulière pour remplir sa mission.
  • L’article 60 de la loi du 8 juillet 1976 comporte une disposition permettant de pallier cette difficulté en autorisant le CPAS qui fournit l’aide à un demandeur d’asile à demander au CPAS sur le territoire duquel réside effectivement cette personne d’effectuer l’enquête sociale. Il s’agit toutefois d’une faculté et le CPAS peut légitimement préférer un contact direct avec la personne aidée, notamment lorsqu’il estime que de façon régulière la situation et les conditions de vie et de séjour doivent être réexaminées.

Toutefois, la cour considère que l’aide sociale ne pouvait être refusée au motif que M. G. ne s’était pas soumis à la mesure de contrôle imposée par le CPAS.

Suivant en cela la thèse de M. G., la cour estime que les conditions d’octroi de l’aide sociale sont déterminées par la loi et un CPAS ne peut ajouter d’autres conditions d’octroi que celles prévues légalement.

La cour distingue deux situations :

  1. S’il c’était avéré que, en ne se soumettant pas à la mesure de contrôle, M. G. ne permettait pas au CPAS de connaître sa situation et apprécier son état de besoin qui détermine la nature et la forme de l’aide appropriée afin qu’il puisse mener une vie conforme à la dignité humaine, le CPAS aurait été justifié à refuser l’octroi de l’aide sociale, non pas parce que la mesure de contrôle n’avait pas été respectée, mais parce qu’il mettait le CPAS dans l’impossibilité de déterminer l’aide qui pouvait lui être octroyée en n’exécutant pas l’obligation de collaboration que lui impose l’article 60 de la loi du 8 juillet 1976.
  2. Cependant, il n’est pas établi que le fait que M. G. ne se soit pas soumis à la mesure de contrôle ait mis le CPAS dans l’impossibilité de connaître sa situation et d’apprécier son état de besoin ou encore la légalité de son séjour, de sorte que c’est à tort que le CPAS a retiré le bénéficie de l’aide sociale à partir du 1er juillet 2004.

C.La cour examine ensuite la question de l’octroi de l’aide sociale pour la période antérieure allant du 1er juillet 2004 au 3 janvier 2005.

A cet égard, elle précise que :

  • Le seul critère d’octroi de l’aide sociale prévu par la loi est le fait pour toute personne de pouvoir mener une vie conforme à la dignité humaine.
  • Il a été jugé que la nature de l’aide sociale ne permet pas qu’elle soit accordée en remontant loin dans le passé. Il n’est pas possible de remonter le cours du temps pour réformer une tranche de vie durant laquelle la personne aurait vécu dans des conditions telles qu’elle ne menait pas une vie conforme à la dignité humaine, de sorte qu’il n’est pas possible d’octroyer une aide sociale pour le passé compte tenu de l’unique but assigné à celle-ci.
  • Toutefois, s’il subsiste des séquelles actuelles de cette carence d’une vie conforme à la dignité humaine, sous forme par exemple de dettes contractées dans le passé, qui actuellement font obstacle à une vie conforme à la dignité humaine, il s’indique de remédier à ces carences par l’octroi d’une aide sociale appropriée.

En l’espèce, la cour estime cependant que rien n’indique que les dettes présentées par M. G. comme subsistant sur la base d’attestations émanant de particuliers, qui disent lui avoir prêté de l’argent, l’empêcheraient actuellement de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Intérêt de la décision

Cette décision est intéressante dans la manière dont elle aborde la question de la sanction du non-respect d’une mesure de contrôle imposée par le CPAS. La cour rappelle que la seule condition d’octroi de l’aide sociale est le fait pour toute personne de pouvoir mener une vie conforme à la dignité humaine. Le CPAS ne peut donc refuser l’octroi de l’aide sociale sur la seule base qu’une mesure de contrôle n’a pas été respectée par le demandeur d’aide.

Un refus de l’aide sociale ne peut se justifier dans le cadre d’une absence à un contrôle que si le CPAS s’est retrouvé empêché d’exécuter sa mission, devant apprécier l’état de besoin et déterminer l’aide approprié à octroyer.

La cour examine par ailleurs la question de l’incidence de l’écoulement du temps sur l’octroi de l’aide sociale, estimant que, le but de celle-ci étant de permettre une vie conforme à la dignité humaine, il n’est pas possible de revenir sur une situation révolue qui peut remonter loin dans le temps. Toutefois, la cour reprend l’enseignement de la Cour d’arbitrage, qui a considéré dans un arrêt du 17 septembre 2003 (C.A., 17 septembre 2003, n°112/2003) que :

«  … il appartient au centre concerné et, en cas de conflit, au juge, de statuer sur l’existence d’un besoin d’aide, sur l’étendue de celui-ci et de « choisir les moyens les plus appropriés d’y faire face ». Il n’existe en effet pas de normes légales qui déterminent dans quelle mesure et sous quelle forme l’aide doit être accordée. Par conséquent, le centre public d’aide sociale peut, dans les limites de sa mission légale, octroyer une aide visant à remédier aux effets encore actuels d’une existence non conforme à la dignité humaine menée précédemment, dans la mesure où ils empêchent l’intéressé de mener désormais une vie conforme à la dignité humaine ».


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