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Pension de travailleur salarié : conditions de remboursement de la pension du mois en cours en cas de décès

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 octobre 2014, R.G. 2013/AB/156

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2015


Cour du travail de Bruxelles, 16 octobre 2014, R.G. n° 2013/AB/156

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 octobre 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine dans quelles conditions les arrérages de pension doivent être remboursés à l’ONP, dès lors que le bénéficiaire décède dans le courant du mois pour lequel un paiement a déjà été effectué. L’arrêt est également l’occasion pour la cour du travail de rappeler la distinction à opérer entre la charge de la preuve et l’administration de celle-ci.

Les faits

Une bénéficiaire de plusieurs prestations au titre de pension (pension de survie, pension de retraite et rente de vieillesse) décède en mai 2011. Les paiements sont suspendus par l’ONP et le remboursement des mensualités de mai et juin est demandé à l’office bancaire, qui procède au remboursement ultérieurement.

L’ayant droit de la personne décédée demande ensuite à l’ONP que soit versé le montant de la pension de mai ainsi que le pécule de vacances. La chose est refusée par l’Office, invoquant le fait que le décès est intervenu avant le paiement.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par jugement du 15 janvier 2013, il est fait droit à la demande.

L’ONP interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour est dès lors saisie de la question du sort des arrérages du mois de décès.

Elle procède dans un premier temps au rappel des principes, étant ceux contenus à l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, dont l’article 72 vise les arriérés. Il est en effet prévu, selon le mécanisme légal, qu’en cas du décès du bénéficiaire, les arrérages échus et non payés sont versés d’office au conjoint cohabitant au moment du décès. A défaut, ces mêmes arrérages (échus et non payés) y compris la prestation du mois de décès sont versés à divers bénéficiaires, dont l’ordre légal est donné par la loi. Il s’agit (i) des enfants avec lesquels il vivait au moment du décès, (ii) de toute personne avec qui il vivait à ce moment, (iii) de la personne qui est intervenue dans les frais d’hospitalisation et (iv) de la personne qui a acquitté les frais de funérailles. La disposition précise, pour ceux-ci, que le versement intervient pour autant que le bénéficiaire n’était pas décédé à la date d’émission de l’assignation postale ou (en cas de paiement sur un compte) à la date de l’exécution du paiement auprès du système national de compensation.

La cour relève encore qu’une disposition identique figure dans l’arrêté royal du 22 décembre 1967 dans le secteur des indépendants.

Il y a dès lors lieu d’examiner si l’ensemble de ces conditions est rempli et, parmi celles-ci, essentiellement si le paiement des arrérages du mois du décès a eu lieu avant celui-ci ou après. Le décès étant intervenu le 12 du mois, la cour pose dès lors la question de savoir si ce paiement est intervenu le 12 au plus tard (première hypothèse) ou le 13 au plus tard (seconde hypothèse).

Il s’avère, en l’espèce, que le compte bancaire a été crédité le 13 et l’ayant droit soutient dès lors que le paiement n’a pu avoir lieu le jour même mais la veille.

Par contre, pour l’ONP, en vertu d’une convention conclue entre lui-même et l’ABB (Association Belge des Banques), il y a compensation bancaire à une date prévue dans un calendrier fixé annuellement et, pour le mois de mai, cette date est celle du 13 mai.

La cour constate, en l’espèce, l’intervention de deux organismes bancaires, l’un qui a effectué le paiement pour l’ONP et l’autre qui l’a reçu pour l’intéressée. Le crédit, intervenu le 13, fait présumer, pour la cour, que l’ordre de paiement ou la présentation au CEC est antérieur.

La cour va dès lors reprocher à l’Office de ne pas fournir la preuve de la date de l’envoi de l’ordre au CEC ou encore de celle du débit de son propre compte bancaire, d’autant que le calendrier arrêté dans la convention passée avec l’ABB a été établi par l’Office lui-même et il n’est d’ailleurs pas établi qu’il a été respecté.

L’Office restant en défaut de communiquer les renseignements demandés par la cour, celle-ci rappelle les principes, sur le plan de la collaboration à l’administration de la preuve : aucun plaideur ne peut se retrancher dans le silence ou l’abstention, et ce sous prétexte que la charge de la preuve incmbe à la partie adverse dès lors qu’il disposerait d’éléments dont ce dernier pouvait se prévaloir. C’est l’enseignement de D. MOUGENOT, cité expressément (D. MOUGENOT, Droit des obligations – La preuve, Larcier, 2002, p. 99).

Dès lors que l’Office tente d’expliquer sa position au motif de l’illisibilité des données informatiques, la cour rejette cette position de l’administration, confirmant qu’il s’agit d’une absence caractérisée de collaboration à l’administration de la preuve. Elle rappelle que l’Office est chargé de missions d’ordre public.

Elle confirme dès lors le jugement, considérant que les pensions et rentes du mois de mai pouvaient être conservées par l’intéressée et doivent dès lors être restituées à son héritier.

Intérêt de la décision

Les éléments de la cause se situent dans un « mouchoir », la date charnière permettant de déterminer si la pension doit être restituée ou non, à savoir la date du décès, coïncidant manifestement avec la veille de celle où le compte bancaire de l’intéressée a été crédité.

Cet arrêt est l’occasion pour la cour du travail de rappeler que l’administration de la preuve ne doit pas se confondre avec la charge de celle-ci.

Les règles en matière de charge de la preuve impliquent qu’à défaut pour celui sur qui cette obligation repose de la respecter, il y a un doute et que ce doute profitera à la partie adverse. Cependant, toute autre est la question de déterminer les obligations des parties dans une procédure dès lors que l’une d’entre elles dispose d’éléments dont la partie adverse pourrait se prévaloir. Il y a obligation pour chacune de collaborer loyalement à l’administration de la preuve, étant de permettre à la fois au juge et à la partie adverse de disposer de tous les éléments requis et de permettre la loyauté des débats et le caractère équitable du procès.


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