Terralaboris asbl

Dans quelles conditions une prime de fin d’année allouée sans obligation légale ou contractuelle peut-elle être un droit pour le travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 novembre 2014, R.G. 2012/AB/1.099

Mis en ligne le lundi 29 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 3 novembre 2014, R.G. n° 2012/AB/1.099

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 novembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’usage est une source de droit, figurant dans la hiérarchie des sources reprise à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968, et reprend les conditions que doit réunir un paiement fait par l’employeur pour constituer un droit dans le chef des travailleurs.

Les faits

Dans une entreprise relevant de la Commission paritaire n° 100 pour son personnel ouvrier, est payée une prime de fin d’année, régulièrement. Un travailleur est licencié à la mi-décembre 2009. Il était en service depuis 2002 et a perçu celle-ci pendant toute sa durée d’occupation, le licenciement intervenant à la mi-décembre 2009. Seule celle pour l’année 2009 n’est pas payée.

Après la rupture, l’intéressé demande à son organisation syndicale de réclamer cette prime au prorata des prestations de cette année. En fin de compte, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles (section de Wavre) en paiement de celle-ci.

Dans un jugement du 7 septembre 2012, le tribunal du travail reconnaît le droit à cette prime et condamne la société au montant réclamé.

Appel est interjeté devant la cour du travail.

Position des parties devant la cour

La société conteste qu’il y ait un usage au sein de l’entreprise ouvrant le droit au paiement de cette prime. Pour la société, il s’agit en réalité d’une prime de mérite allouée sur la base de l’appréciation par l’employeur de la qualité des prestations des travailleurs. Elle donne des éléments relatifs aux montants versés aux travailleurs prestant à son service, étant que ceux qui ne sont plus en fonction au moment du paiement ne la perçoivent pas, que le montant correspondant varie d’année en année et ne suit aucun critère mathématique, s’agissant de montants fixés de manière discrétionnaire par l’employeur.

Le travailleur fait valoir, au contraire, que tous les travailleurs ayant été en service au mois de décembre même sans être présents dans l’entreprise en fin d’année percevaient cette prime. Il expose également qu’un acompte a été versé en début du mois de décembre et plaide que le montant alloué est un montant fixe sans lien avec le travail fourni, la société procédant de la même manière pour les employés. Il admet cependant qu’un complément éventuel pouvait être octroyé sur la base de critères individuels. Il considère, enfin, que le critère de fixité est rencontré, le montant de la prime ayant été identique depuis 2007 et les variations antérieures étant indifférentes.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les critères requis pour qu’il y ait usage, source d’obligation au sens de l’article 51, 9° de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires : il faut que celui-ci réponde aux conditions de généralité, de fixité et de constance.

La généralité suppose que l’avantage soit accordé à tous les travailleurs de l’entreprise ou à tous ceux d’une même catégorie.

La fixité suppose également qu’existe un principe permettant de calculer la prime en cause.

Quant à la constance, celui-ci suppose qu’il n’y ait pas eu d’interruption dans le paiement de l’avantage aux ouvriers qui en bénéficient.

La cour va dès lors constater, sur chacun de ces critères, que les conditions légales sont réunies :

  • Les comptes individuels des ouvriers magasiniers (catégorie visée) reprennent tous, pour une période de sept années, le paiement d’une « prime » payée dans le courant du 4e trimestre - la cour relevant que celle-ci est non autrement définie.
  • Sur la fixité, étant constaté le paiement d’un montant annuel variant entre 1.200€ et 1.750€ selon le travailleur, il y a une logique préétablie – même si la société ne la précise pas.
  • Enfin, sur le critère de constance, étant l’absence d’interruption, celle-ci résulte également des données de l’espèce.

La cour considère également que n’est pas démontré le fait qu’il s’agirait d’une prime de mérite, l’attestation du comptable n’étant – quoique très détaillée – pas de nature à emporter la conviction de la cour.

L’arrêt pointe encore qu’aucune évaluation n’a été faite quant à la qualité du travail des intéressés, ce qui serait utile pour accréditer la thèse de l’employeur.

En conséquence, il y a obligation de payer cette prime au travailleur, étant constatée une pratique générale, constante et fixe au sein de l’entreprise.

Enfin, l’employeur faisant état de l’exigence de la présence de l’intéressé au moment du paiement, la cour constate que ceci ne ressort d’aucun élément.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle très judicieusement les conditions requises pour qu’il y ait usage, c’est-à-dire une source légale d’obligation dans le cadre des relations entre employeur et travailleur. Celui-ci est prévu dans la hiérarchie des sources de l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968. N’étant pas autrement précisé dans la loi, l’usage a trouvé, progressivement, ses éléments de définition dans la jurisprudence. Il y a dès lors lieu d’examiner si l’avantage réclamé a été octroyé en respectant les critères de généralité, fixité et permanence (ou constance).

Comme la cour le rappelle ici à très juste titre, la seule circonstance que le montant versé ne soit pas identique pour chaque travailleur n’exclut pas que son évaluation procède de modalités de calcul prédéfinies. En outre – appliquant les règles normales en matière de charge de la preuve – la cour souligne que, si l’entreprise entend plaider qu’il s’agit d’une prime de mérite, elle doit l’établir (et notamment par l’existence d’évaluations) et de même pour la condition de présence du travailleur dans l’entreprise au moment du paiement de la prime.


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