Terralaboris asbl

Conditions d’octroi de prestations d’assistance sociale à des ressortissants de l’Union européenne

Commentaire de C.J.U.E., 11 novembre 2014, n° C-333/13

Mis en ligne le lundi 29 décembre 2014


Cour de Justice de l’Union européenne, 11 novembre 2014, n° C-333/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 novembre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé que, pour avoir accéder à certaines prestations sociales, les ressortissants d’autres Etats membres de l’Union ne peuvent réclamer une égalité de de traitement avec les ressortissants de l’Etat d’accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive 2004/38/CE.

Les faits

Une mère, de nationalité roumaine, demande, pour elle et son fils, des prestations de l’assurance sociale de base en Allemagne, étant la prestation de subsistance pour elle-même et l’allocation sociale pour son fils. Elle sollicite également l’intervention des autorités dans ses frais d’hébergement et de chauffage, telle que prévue par la loi allemande.

L’autorité refuse cet octroi.

L’intéressée, qui est entrée en Allemagne pour la dernière fois en novembre 2010, s’est vu délivrer une attestation de séjour à durée illimitée destinée aux ressortissants de l’Union. Depuis son arrivée, elle habite dans l’appartement d’une de ses sœurs, qui pourvoit à son alimentation ainsi qu’à celle de son fils. Pour ce dernier, elle perçoit des allocations familiales (124 € par mois), ainsi qu’une avance sur pension alimentaire, le père étant inconnu.

La mère, qui n’a pas de formation particulière ni de qualification professionnelle, n’a jamais exercé d’activité professionnelle, ni en Allemagne ni en Roumanie. Elle n’est pas venue en Allemagne pour rechercher un emploi (les prestations de l’assurance de base allemande étant réservées à ceux-ci).

Le recours

Un recours est introduit contre la décision de l’autorité devant la juridiction administrative compétente. Il se fonde sur les articles 18 et 45 TFUE, ainsi que sur l’arrêt VATSOURAS et KOUPATANTZE (arrêt du 4 juin 2009, Aff. n° C-22/08 et C-23/08).

Suite au rejet de ce recours, une requête est introduite devant la juridiction sociale compétente.

Celle-ci constate que l’intéressée et son fils n’ont pas droit aux prestations de l’assurance de base. Elle exprime cependant des doutes eu égard à l’article 4 du Règlement n° 883/2004, et vu le principe général de non-discrimination (article 18 TFUE) et le droit de séjour général (article 20 TFUE), qui s’opposent aux dispositions du droit allemand.

La Cour de Justice est dès lors interrogée.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur le champ d’application personnel de l’article 4 du Règlement n° 883/2004, étant de savoir si celui-ci couvre les personnes revendiquant non une prestation d’assurance sociale ou une prestation familiale, mais une prestation spéciale à caractère non contributif (articles 3, § 3 et 70 du Règlement).

En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande si l’article 4 interdit aux Etats membres d’exclure totalement ou partiellement, pour éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales de subsistance à caractère non-contributif, des ressortissants de l’Union qui sont dans le besoin du bénéfice de ces prestations, celles-ci étant accordées aux ressortissants nationaux dans la même situation.

En cas de réponse négative aux questions ci-dessus, la juridiction demande si les Etats membres se voient interdire, en application des articles 20, § 2, 1er alinéa, a et 20, § 2, alinéa 2 du TFUE, ainsi que 24, § 2 de la Directive 2004/38, d’exclure des ressortissants qui sont dans le besoin du bénéfice de ces prestations, celles-ci étant octroyées aux ressortissants nationaux dans la même situation, et ce afin d’éviter une prise en charge déraisonnable de prestations sociales de subsistance à caractère non-contributif.

Enfin, le juge demande si, au cas où l’exclusion partielle de ces prestations de subsistance s’avérerait conforme au droit de l’Union, les prestations à caractère non-contributif (en dehors des cas graves de détresse) peuvent se limiter à la mise à disposition des moyens nécessaires au retour dans l’Etat d’origine ou s’il est imposé d’octroyer des prestations plus étendues rendant possible un séjour permanent (en vertu des articles 1er, 20 et 51 de la Charte).

La décision de la Cour

L’arrêt de la Cour est particulièrement fouillé.

Elle considère dans un premier temps que le Règlement 883/2004 (article 4) s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non-contributif, la levée des clauses de résidence ne valant cependant pas pour ce type de prestations.

La Cour rappelle ensuite le principe selon lequel, en vertu de l’article 20, § 1er TFUE, toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre a le statut de citoyen de l’Union, celui-ci ayant vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres. Tout citoyen peut donc se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité, et ce dans toutes les situations qui relèvent du domaine d’application rationae materiae du droit de l’Union (exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres). Le principe de non-discrimination contenu à l’article 18 TFUE est précisé à la Directive 2004/38 en son article 24, et ce à l’égard des citoyens de l’Union qui, comme en l’espèce, exercent leur droit de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres.

La Cour estime dès lors qu’il y a lieu à ce stade de procéder à l’interprétation des articles 24 de la Directive et 4 du Règlement. Après avoir rappelé le principe selon lequel les prestations visées à l’article 70, § 2 du Règlement relèvent bien de la notion de prestations d’assistance sociale au sens de l’article 24, § 2 de la Directive (étant des régimes d’aide institués par les autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local), la Cour renvoie à l’article 24, § 2 de la Directive, dont elle relève qu’il comporte une dérogation au principe de non-discrimination. En vertu de celui-ci, l’Etat membre d’accueil n’est en effet pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assurance sociale pendant les trois premiers mois de séjour (ou, le cas échéant, pendant la période de recherche d’emploi – article 14, § 4, b) et n’est pas tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études à des personnes autres que les travailleurs salariés ou non-salariés, ainsi que les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille.

En l’espèce, l’intéressée réside en Allemagne depuis plus de 3 mois, elle n’est pas à la recherche d’un emploi et elle n’est pas entrée sur le territoire de l’Etat membre pour y travailler. Elle ne relève dès lors pas du champ d’application personnel de l’article 24, § 2.

En conséquence, il faut examiner sa situation au regard des articles 24, § 1er de la Directive et 4 du Règlement, aux fins de voir si ceux-ci s’opposent au refus de l’octroi de prestations sociales.

La Cour rappelle les principes du droit de l’Union en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales dans le chef d’un citoyen de l’Union dans la situation de la partie requérante : il ne peut réclamer une égalité de traitement avec les nationaux que si son séjour sur le territoire de l’Etat membre d’accueil respecte les conditions de la Directive.

La Cour poursuit en rappelant les trois hypothèses prévues, étant que :

  • Pour les séjours allant jusqu’à 3 mois, l’article 6 de la Directive limite les conditions ou les formalités du droit de séjour à l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité – droit maintenu en vertu de l’article 14, § 1er, étant que le citoyen et les membres de sa famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat d’accueil.
  • Pour une durée de séjour de plus de 3 mois, le bénéfice du droit de séjour doit répondre aux conditions de l’article 7, § 1er, et la même condition de prolongation du droit est prévue, étant que, dans cette hypothèse, le citoyen de l’Union et les membres de sa famille doivent continuer à satisfaire à ces conditions, parmi lesquelles figure celle de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale. Il s’agit d’examiner la situation des citoyens de l’Union économiquement non actifs ayant une durée de séjour supérieure à 3 mois mais inférieure à 5 ans et, parmi les conditions de l’article 7, § 1er, b de la Directive, figure celle de disposer pour lui et les membres de sa famille de ressources suffisantes.
  • Lorsque le droit de séjour permanent est acquis après un séjour légal d’une durée ininterrompue de 5 ans, ce droit n’est pas soumis aux conditions qui précèdent, et ce dans le but de constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de cet Etat.

La Directive fait encore une distinction en ce qui concerne ces ressources entre les personnes qui exercent une activité professionnelle et celles qui n’en exercent pas. La Cour rappelle que le dispositif légal est d’éviter que des citoyens de l’Union économiquement inactifs n’utilisent le système de protection sociale de l’Etat membre d’accueil pour financer leurs moyens d’existence. Il faudra dès lors, pour la Cour, effectuer un examen concret de la situation économique de chaque intéressé, sans prendre en compte les prestations sociales demandées, afin de déterminer s’il est ou non satisfait à la condition de ressources suffisantes pour pouvoir bénéficier d’un droit au séjour au sens de l’article 7, § 1er, b de la Directive.

En l’occurrence, la Cour va conclure que les intéressés ne disposent pas des ressources suffisantes et ne peuvent dès lors réclamer un droit de séjour s’ils ne peuvent, partant, se prévaloir du principe de non-discrimination de l’article 24, § 1er.

La réponse donnée par la Cour de Justice est dès lors double, étant que les prestations spéciales à caractère non-contributif visées aux articles 3, § 3 et 70 du Règlement relèvent du champ d’application de son article 4 et que, par ailleurs, il résulte des dispositions examinées ci-dessus que celles-ci ne s’opposent pas à la réglementation d’un Etat membre qui exclut du bénéfice de certaines prestations spéciales en espèces à caractère non-contributif des ressortissants d’autres Etats membres ne bénéficiant pas d’un droit de séjour en vertu de la Directive.

Intérêt de la décision

La cour a ainsi jugé que pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales, les ressortissants d’un autre Etat membre de l’Union ne peuvent réclamer d’égalité de traitement avec les ressortissants du pays d’accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive « Citoyen de l’Union ».

Cet arrêt confirme une première règle, étant que l’Etat membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois du séjour d’un ressortissant d’un autre Etat membre sur son territoire. Elle fixe également les règles applicables en fonction de la durée du séjour, renvoyant aux conditions expressément visées par la Directive européenne n° 2004/38, étant que, s’il s’agit d’une personne économiquement inactive, elle doit disposer de ressources propres suffisantes. Dans la mesure où ces ressources n’existent pas, l’intéressée ne peut prétendre au droit de séjour et la Cour rappelle, dans ses considérants, que la règle vise les personnes qui se déplacent dans un autre Etat membre dans le seul but de bénéficier de l’aide sociale. La situation de chacun doit être appréciée en effectuant un examen concret de sa situation économique personnelle. La Cour rappelle également que sont dans une situation différente les personnes qui exercent une activité professionnelle et celles qui n’en exercent pas.

Par ailleurs, elle souligne que le Règlement n° 883/2004 est un règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale et qu’il ne régit pas les conditions d’octroi des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. Cette compétence appartient aux Etats membres, qui sont également compétents pour déterminer l’étendue de la couverture sociale assurée par ce type de prestations. Pour la Cour de Justice, les Etats membres, qui peuvent dès lors fixer les conditions et l’étendue de l’octroi des prestations sociales en espèces à caractère non contributif ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’est dès lors pas applicable.

Il y a encore lieu de préciser que l’Observatoire des Politiques sociales en Europe INCA-CGIL Bruxelles a relayé, après le prononcé de cette décision, le communiqué de presse de la Cour de Justice n° 146/14 du 11 novembre 2014, rendu à propos de cette affaire (« Les citoyens de l’Union économiquement inactifs qui se rendent dans un autre Etat membre dans le seul but de bénéficier de l’aide sociale peuvent être exclus de certaines prestations sociales ») et a également commenté l’arrêt.


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