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Représentant de commerce : qu’entend-on par « apport de clientèle » ouvrant le droit à l’indemnité d’éviction ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2014, R.G. 2013/AB/362

Mis en ligne le lundi 29 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 26 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/362

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 26 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions légales du droit à l’indemnité d’éviction, conditions cumulatives énumérées à l’article 101 de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Un représentant engagé comme technico-commercial pour le compte d’un bureau d’ingénieurs en 2000 est licencié en 2008, avec préavis de 10 mois à prester. Deux ans avant le licenciement, l’employeur avait ramené les prestations du travailleur à un temps partiel (alternance de 2 jours par semaine et de 3 jours par semaine), et ce à la demande du travailleur et pour raisons de santé. Suite au licenciement, l’organisation syndicale à laquelle l’intéressé est affilié prend contact avec l’employeur en vue du paiement de diverses sommes, dont une indemnité d’éviction de 4 mois de rémunération. La société contestant la demande, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par jugement du 19 novembre 2012, celui-ci a déclaré la demande non fondée et, par ailleurs, a accueilli la demande reconventionnelle de l’employeur relative à une indemnité pour usage privé du véhicule pendant une période déterminée.

Appel est, par conséquent, interjeté par le demandeur originaire.

La décision de la cour

La cour consacre de longs développements à la question du droit à l’indemnité d’éviction.

Il n’est en effet pas contesté que l’intéressé avait la qualité de représentant de commerce et que les conditions du principe du droit à celle-ci sont présentes. Le seul point de discussion porte sur la question de l’apport de clientèle et sur la preuve à fournir par l’employeur que l’intéressé n’aurait subi aucun préjudice consécutif à la rupture à cet égard.

C’est dès lors sur les principes relatifs à l’apport de clientèle que la cour s’attarde, considérant qu’il y a lieu de faire une distinction entre l’apport de clientèle lui-même et le développement d’une clientèle existante.

Elle donne quelques exemples d’apport, étant que le représentant peut (i) apporter des clients de son employeur précédent à son employeur actuel et qu’il fait dès lors bénéficier celui-ci de la clientèle constituée par lui précédemment, (ii) créer une clientèle, étant que de nouveaux clients sont apportés, ceux-ci n’ayant pas été visités auparavant, (iii) réactiver une clientèle, c’est-à-dire apporter une clientèle qui n’était pas une clientèle existante et (iv) vendre auprès de la clientèle existante des produits nouveaux.

Quant au développement de la clientèle existante, celui-ci vise davantage le chiffre réalisé par le représentant de commerce auprès de la clientèle de l’employeur, ce qui en soi ne peut être considéré comme un apport de clientèle donnant lieu à l’indemnité d’éviction. Ce ne serait, selon l’arrêt, que si le représentant arrivait à transformer considérablement le volume d’affaires réalisées avec ce client que l’on pourrait considérer qu’il y a client nouveau apporté à l’employeur.

La cour renvoie, ensuite, à divers arrêts de la Cour de cassation qui ont balisé la matière. Il faut, pour qu’il y ait apport de clientèle, que le client puisse renouveler ses commandes, ceci ne signifiant cependant pas qu’un tel renouvellement effectif soit exigé. En ce qui concerne l’importance de l’apport de clientèle, il n’est pas exigé que celui-ci soit important mais, par ailleurs, l’apport de quelques clients a été considéré en jurisprudence comme insuffisant.

Enfin, la cour rappelle encore le principe selon lequel l’appréciation de l’apport de clientèle doit se faire pendant l’ensemble de la durée d’occupation du représentant au service de l’employeur.

Si le contrat ne contient pas de clause de non-concurrence, la charge de la preuve de l’apport appartient au représentant de commerce.

Se pose, en conséquence, la question de savoir qui doit prouver quoi et, si les deux parties ont un rôle à cet égard, la cour relève qu’il ne suffit pas d’apporter une liste de clients visités mais de clients apportés à l’employeur.

La cour va dès lors examiner, à partir de ces principes, si l’intéressé a apporté une clientèle à la société. Elle considère qu’une partie importante de ceux figurant dans la liste présentée par l’intéressé étaient déjà clients de la société avant son entrée en fonction (ce qui est établi par des éléments d’ordre commercial) et que, pour d’autres, ils n’ont pas été apportés par lui mais par d’autres représentants ou agents de l’entreprise.

Il en résulte que l’appelant ne prouve pas qu’il a droit à l’indemnité d’éviction, la cour rappelant également que les conditions de l’article 101 de la loi sur les contrats de travail sont des conditions cumulatives.

Elle va, dès lors, après avoir abordé les autres points de l’appel (mineurs), confirmer le jugement qui a débouté l’intéressé de sa réclamation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait à très juste titre des développements nuancés sur la question de l’apport de clientèle, condition subordonnant le droit, pour le représentant de commerce, à l’indemnité d’éviction.

Si le contrat de travail contient une clause de non-concurrence (et ce même si celle-ci ne devait pas correspondre au prescrit légal), il y a présomption d’apport de clientèle et c’est à l’employeur d’établir que celui-ci n’existe pas.

En l’absence d’une telle clause, la charge de la preuve incombe au travailleur et la cour rappelle que l’objet de la preuve est l’apport réel et non la visite de clients ou prospects.

Il est également intéressant de retenir, avec la cour, les caractéristiques exigées en jurisprudence pour qu’il y ait « apport » et les distinctions entre un tel apport et l’augmentation (en chiffre d’affaires) des affaires conclues avec des clients, déjà acquis à l’employeur.


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