Terralaboris asbl

Personnel d’Ambassade et assujettissement à la sécurité sociale belge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 septembre 2014, R.G. 2012/AB/714

Mis en ligne le jeudi 11 décembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 17 septembre 2014, R.G. n° 2012/AB/714

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 17 septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le personnel d’Ambassade qui ne participe pas aux missions de service public de l’Etat d’envoi, dont il n’est pas un ressortissant, doit être assujetti à la sécurité sociale belge.

Les faits

Un citoyen originaire du Bangladesh, résidant en Belgique, est engagé par un Etat étranger en qualité de gardien/agent de sécurité, pour son Ambassade, en 1999. Est signée une lettre d’engagement reprenant le montant de la rémunération mensuelle, ainsi que la mention selon laquelle la convention est soumise aux règles de l’Etat d’envoi concernant l’organisation des employés locaux occupés dans les missions étrangères.

L’intéressé acquiert ultérieurement la nationalité belge.

Son contrat de travail est rompu en octobre 2008 et une indemnité « compensatoire » est versée.

Une procédure est introduite par ce dernier, demandant la condamnation de son ex-employeur à payer les cotisations de sécurité sociale sur sa rémunération pendant toute sa période d’occupation. Il sollicite une indemnité provisionnelle de réparation du préjudice subi, étant évaluée à 125.000 €, eu égard au non-paiement de ses cotisations. Il réclame également les pécules de vacances impayés pendant toute la durée du contrat, ainsi que des primes de fin d’année et des heures supplémentaires.

La décision du tribunal

Par jugement du 25 octobre 2011, le tribunal du travail se déclare compétent et dit pour droit que l’intéressé devait être assujetti à la sécurité sociale belge pour toute la période et que l’Etat étranger doit payer à l’O.N.S.S. les cotisations calculées sur le brut correspondant au net perçu. L’Etat est également condamné à délivrer les documents sociaux. Les autres chefs de demande sont réservés.

Appel est interjeté.

La position des parties devant la cour

L’Etat étranger considère qu’il n’y a pas lieu à assujettissement. Il demande, en conséquence, que le travailleur soit débouté de l’ensemble de ses demandes.

Quant à celui-ci, il sollicite bien sûr la confirmation du jugement en ce qui concerne la question de l’assujettissement. Sa demande, dans laquelle il avait ajouté une indemnité pour licenciement abusif, est réduite dans ses conclusions d’appel au seul chef relatif aux cotisations.

La décision de la cour

La cour règle la seule question de fond posée, étant de savoir s’il y a lieu à assujettissement.

Elle considère que la demande ressortit à la juridiction des cours et tribunaux belges et que l’Etat ne peut bénéficier d’une immunité à cet égard.

Elle renvoie à un arrêt rendu par la même cour (autrement composée) le 19 juin 2007 (C. trav. Brux., 19 juin 2007, J.T.T., 2007, p. 451), qui a rappelé le principe selon lequel l’immunité ne concerne pas les actions fondées sur les actes de gestion posés par l’Etat étranger et que le contrat de travail de droit privé conclu pour l’exercice de tâches d’exécution avec un travailleur qui n’a pas la nationalité de l’Etat étranger, qui résidait en Belgique lors de la conclusion et qui n’avait pas d’autre lien avec celui-ci que ceux nés du contrat de travail, est un tel acte de gestion, qui ne participe pas à l’exercice de la puissance publique de l’Etat étranger. Il ne met dès lors pas en cause l’exercice de la mission diplomatique.

La cour du travail considère qu’il y a lieu de faire sienne cette conclusion.

Pour ce qui est de la compétence internationale des juridictions belges, la cour constate qu’il n’y a pas de convention entre l’Etat étranger et la Belgique et que, de ce fait, il faut appliquer le CODIP, dont l’article 96 dispose que les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toutes demandes en matière d’obligations s’il s’agit d’une obligation contractuelle née en Belgique, qui y est ou doit y être exécutée.

Une convention attributive de compétence internationale ne produirait d’effet que si elle était postérieure à la naissance du litige.

La cour relève à cet égard qu’un contrat de travail est produit, attribuant aux juridictions de l’Etat étranger la compétence pour tout différend relatif à celui-ci, mais que ce contrat n’est pas signé et qu’il ne fait pas obstacle à la compétence du juge belge.

En ce qui concerne la loi applicable, en vertu de la Convention de Rome du 19 juin 1980, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de son article 6, § 1er, le choix des parties dans le contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection assurée par les dispositions de la loi qui aurait été applicable à défaut de celui-ci. En l’absence de choix, le contrat de travail est régi par la loi d’exécution du contrat, et il y a lieu ici de se référer aux critères de l’occupation habituelle, sauf si d’autres liens plus étroits existaient avec un autre pays.

En l’espèce, l’intéressé a toujours été occupé en Belgique et a exercé des fonctions de garde/agent de sécurité. La cour relève encore que l’intéressé ne dispose d’aucun régime de sécurité sociale et conclut à l’application du droit belge.

Elle rejette, enfin, que l’on puisse se fonder sur l’article 48 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, et ce eu égard aux fonctions de l’intéressé, étant un agent au sein de l’Ambassade (et non un domestique privé au service exclusif d’un agent diplomatique). Ne participant pas aux missions de service public de l’Etat étranger, dont il n’est en sus pas un ressortissant, cet agent devait voir son contrat soumis au droit belge et l’employeur avait l’obligation de l’assujettir à la sécurité sociale belge.

Le jugement est dès lors confirmé en ce qui concerne l’obligation d’assujettissement pour toute la période d’occupation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les principes concernant le personnel d’Ambassade, personnel d’exécution recruté localement. L’on peut encore rappeler, sur la même question, qu’ont été rendus deux importants arrêts par la même cour du travail, étant, outre l’arrêt cité par la cour. Dans une première décision du 15 septembre 2011 (C. trav. Brux., 15 septembre 2011, R.G. 2010/AB/760), la cour avait été saisie de la situation d’une secrétaire engagée par l’Ambassade en Belgique d’un Etat étranger, secrétaire inconnue à la fois du fisc belge et de l’O.N.S.S. L’Etat étranger s’étant fondé sur une note circulaire du 15 mai 2007 de la Direction Protocole du SPF Affaires étrangères, qui définit différentes catégories de personnel au sein des missions diplomatiques, la cour du travail avait relevé qu’il n’était nullement établi par l’Etat étranger que la Belgique avait accordé à celle-ci des privilèges et indemnités particuliers et que n’était pas davantage prouvée une prétendue immunité diplomatique dont elle aurait bénéficié, cette preuve étant à charge de l’Etat étranger (et pouvant d’ailleurs être facilement apportée, par le biais du Service du Protocole du SPF Affaires étrangères).

Dans un arrêt ultérieur du 9 janvier 2013 (C. trav. Brux., 9 janvier 2013, R.G. 2010/AB/374), la cour a confirmé la compétence des juridictions belges pour connaître les conditions de travail et de licenciement du personnel d’Ambassade n’ayant pas de statut diplomatique. Elle a également encore rappelé à cette occasion les règles en matière de déclaration des travailleurs, soulignant que le paiement des rémunérations, ainsi que celui des cotisations sociales, sont des matières pouvant donner lieu à des infractions pénales et étant actuellement couvertes, depuis le 1er juillet 2011, par le Code pénal social (article 181, 218 et 233).


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