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Accident du travail : la Cour constitutionnelle se prononce sur la limitation de l’aide de tiers à l’incapacité permanente

Commentaire de C. const., 19 septembre 2014, n° 121/2014

Mis en ligne le lundi 27 octobre 2014


Cour constitutionnelle, 19 septembre 2014, n° 121/2014

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 24 juin 2013 (précédemment commenté), le Tribunal du travail de Bruges avait posé à la Cour constitutionnelle la question de savoir si la limitation de l’aide de tiers à la période d’incapacité permanente consécutive à un accident du travail était compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Les faits

Une travailleuse est victime d’un accident du travail en 2002. Elle connaîtra une période d’incapacité temporaire de 7 mois environ et l’expert judiciaire désigné conclut qu’il est indispensable, pendant celle-ci, de prévoir une assistance régulière d’un tiers, et ce pour une période de deux semaines à la suite d’une opération chirurgicale.

L’assureur-loi ayant opposé que la loi ne prévoit pas d’allocations pour l’assistance de tiers pendant la période d’incapacité temporaire, le tribunal a considéré devoir interroger la Cour constitutionnelle. En effet, l’article 24, alinéa 3 est muet quant à la question, prévoyant que la victime a droit à une allocation annuelle complémentaire si son état exige l’assistance régulière d’une autre personne. Le juge souligne que, si cette disposition est le plus souvent interprétée comme ne visant que la période à partir de la consolidation, l’aide de tiers est généralement ressentie comme plus importante pendant la période d’incapacité temporaire, où l’état d’incapacité est souvent total, contrairement à l’incapacité permanente, qui n’est bien souvent que partielle.

Le premier juge a renvoyé à d’autres réglementations en sécurité sociale (réglementation AMI et prestations aux personnes handicapées). Il a également relevé le questionnement de la doctrine à cet égard.

La décision de la Cour constitutionnelle

La Cour constate qu’elle est en réalité interrogée sur deux questions, étant d’une part la compatibilité de la loi avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle ne prévoit pas le droit à une aide de tiers pendant l’incapacité de travail temporaire, ainsi que de l’article 24, alinéa 4, plus précisément avec ces dispositions, en ce qu’il est interprété comme ne visant que l’incapacité permanente. Elle examine les deux questions ensemble.

Elle reprend la disposition légale, selon laquelle, si son état exige absolument l’assistance régulière d’une autre personne, la victime peut prétendre à une allocation annuelle complémentaire, fixée en fonction du degré de nécessité de cette assistance, sur la base du RMMMG. Elle constate également que le premier juge fait la comparaison, d’une part en AMI, avec le régime de l’article 93, alinéa 8 de la loi et, d’autre part, en matière de prestations aux personnes handicapées, avec les articles 2, § 3 et 6, §§ 3 et 4 de la loi.

Elle rappelle que l’objectif de la loi sur les accidents du travail est d’assurer une protection du revenu du travailleur contre un risque professionnel censé se réaliser même lorsqu’un accident survient par la faute de celui-ci ou par celle d’un compagnon de travail, ainsi encore que de préserver la paix sociale et les relations de travail dans les entreprises en excluant la multiplication des procès en responsabilité.

Elle reprend également le caractère forfaitaire de la réparation ainsi que de celui du financement assuré par les employeurs.

Dans le cadre de la réparation, la situation de la victime est régie par l’article 22 de la loi tant qu’il y a incapacité temporaire et totale de travail. L’article 24, quant à lui, vient organiser un système de réparation qui remplace l’indemnité journalière à partir du jour où l’incapacité présente un caractère de permanence, c’est-à-dire à partir de la consolidation. Il y a dès lors, en application de cette disposition, droit à une indemnité, alors appelée « allocation annuelle forfaitaire », fixée en tenant compte de la perte ou de la diminution de la capacité concurrentielle de la victime sur le marché général de l’emploi.

Dès lors qu’il est fait état de l’octroi d’une allocation complémentaire, à la même disposition, et ce si l’état de la victime exige absolument l’assistance régulière d’une autre personne, la Cour constitutionnelle constate que l’allocation pour l’assistance régulière d’un tiers est une allocation annuelle complémentaire, puisqu’elle est fixée sur la base du degré de nécessité de l’assistance régulière d’une autre personne et est calculée à partir du montant du RMMMG.

Le montant de cette allocation ne peut d’ailleurs dépasser celui du RMMMG multiplié par 12.

Ensuite, dès lors que le délai de revision est expiré, cette allocation annuelle est elle-même remplacée par une rente viagère.

La Cour constate que le législateur a toujours conçu cette allocation pour aide de tiers comme une allocation annuelle complémentaire qui ne pouvait être octroyée qu’à partir du moment où l’incapacité présente un caractère de permanence. Elle souligne cependant que la législateur pourrait envisager de mettre fin à cette différence de traitement, et ce d’autant que le système des aidants proches est actuellement reconnu légalement.

Elle relève cependant que, dans le cadre d’un régime d’indemnisation en grande partie forfaitaire, qui est le résultat de la mise en balance spécifique des intérêts des employeurs et des travailleurs, il n’est pas dénué de justification raisonnable que cette allocation complémentaire soit octroyée à partir de la consolidation et ne prenne dès lors en compte que la nécessité régulière d’une telle aide.

La Cour se fonde également sur le texte légal, qui précise que celle-ci est accordée lorsque l’état de la victime « exige absolument l’assistance régulière d’une autre personne ».

Pour la Cour, la comparaison avec les autres régimes cités ne conduit pas à une autre conclusion, et ce eu égard à la particularité de la législation sur les accidents du travail. La distinction opérée dans ce régime de réparation spécifique, qui fixe une période d’incapacité temporaire et prévoit ensuite une indemnisation dans le cadre de la réparation permanente, implique une différence de traitement qui n’apparaît pas dans les autres régimes, ceux-ci étant régis par leurs propres modalités.

La Cour répond dès lors par la négative.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour constitutionnelle rappelle certes une constante dans son examen des discriminations éventuelles soumises à sa censure, et ce dans le régime des accidents du travail. Elle revient dans l’ensemble de sa jurisprudence sur le caractère forfaitaire de l’indemnisation, ainsi que sur l’équilibre obtenu en supprimant la mise en cause de la responsabilité patronale, et ce dans un objectif de paix sociale.

Ces considérations, si elles sont constantes, ne manquent cependant pas d’engendrer une certaine frustration, ledit équilibre ayant été obtenu en 1903, soit il y a plus de 110 ans. L’indemnisation de l’accident du travail est régulièrement questionnée, ici eu égard à l’exclusion de l’aide de tiers pour la période d’incapacité temporaire. Elle pose souvent question pour le caractère forfaitaire de la réparation, dont le pan le plus délicat est l’exclusion du dommage moral.

L’on notera encore que, sur la question de l’aide de tiers, la Cour constitutionnelle fait un petit appel du pied au législateur en vue de revoir la question.


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