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Protection contre le licenciement : règles spécifiques en cas de plainte pour harcèlement ou pour discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 juillet 2014, R.G. 2012/AB/999

Mis en ligne le mardi 21 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 juillet 2014, R.G. n° 2012/AB/999

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions spécifiques de la protection contre le licenciement en cas de plainte déposée dans le cadre de la loi du 4 août 1996 (pour ses dispositions en matière de harcèlement) et de celle du 10 mai 2007 (visant certaines formes de discrimination).

Les faits

Un employé est amené à dénoncer le comportement d’une collègue, suite à un jeu de mots fait par cette dernière sur son nom de famille, ce qu’il considère comme peu respectueux. Aucune plainte officielle n’est cependant déposée, l’intéressé s’étant contenté de dénoncer le fait auprès d’un supérieur, qui relaye la chose, et la collègue est rappelée à l’ordre.

L’intéressé insiste, cependant, auprès de sa direction pour que la plainte soit traitée de manière formelle et que des mesures disciplinaires soient prises à l’encontre de la collègue.

Il tombe en incapacité de travail et, parallèlement, la collègue ayant présenté ses excuses, la hiérarchie reprend contact avec lui aux fins de clore l’incident.

Il est licencié peu de temps après, moyennant un préavis de 6 mois avec dispense de prestations. Est invoquée à l’appui de la mesure la suppression du poste qu’il occupe.

L’intéressé introduit une procédure, demandant des dommages et intérêts pour licenciement « illégitime ». Il articule sa demande, à titre principal, comme une demande de dommages et intérêts basée sur l’article 32tredecies, § 4 de la loi du 4 août 1996 et, à titre subsidiaire, sur la loi du 10 mai 2007.

Il formule encore, à titre plus subsidiaire, une demande d’indemnité pour licenciement abusif.

La décision de la cour

La cour examine, dans l’ordre de présentation de l’argumentation du demandeur originaire (appelant), la question de la protection eu égard à la législation en matière de harcèlement d’abord et de discrimination ensuite.

Sur le premier point, elle se réfère à l’article 32tredecies, § 1er de la loi, qui vise cinq hypothèses de protection. Il s’agit de cas limitativement énumérés. Les trois premiers visent le travailleur qui a déposé une plainte, le quatrième concerne le travailleur qui a intenté une action en justice, et le cinquième vise les témoins dans le cadre de l‘examen de la plainte motivée par le conseiller en prévention.

La cour rappelle que les canaux légaux pour le dépôt de la plainte motivée sont au nombre de trois (les trois premiers cas ci-dessus) : (i) la plainte motivée déposée au niveau de l’entreprise, (ii) la plainte auprès du fonctionnaire chargé de la surveillance et (iii) celle déposée auprès des services de Police, d’un membre du Ministère public ou du juge d’instruction.

S’il s’agit d’une plainte déposée au niveau de l’entreprise, la cour rappelle qu’en vertu de l’arrêté royal du 17 mai 2007 (d’exécution de la loi du 10 janvier 2007), celle-ci doit être motivée et consister en un document daté et signé remis par le travailleur à la personne de confiance ou au conseiller en prévention compétent. Cette plainte doit être précédée d’un entretien personnel à ce sujet avec l’une de ces personnes.

La cour constate qu’en l’espèce, l’institution employeur n’avait pas désigné de personne de confiance et qu’elle était affiliée à un service externe pour la prévention et la protection au travail. Le personnel n’était cependant pas informé via le règlement de travail de l’identité du conseiller en prévention auprès de qui déposer la plainte. La cour en conclut que l’intéressé ne peut être protégé contre le licenciement sur la base de cette possibilité. Par ailleurs, il n’a pas déposé celle-ci non plus auprès de la Direction Contrôle du Bien-être au Travail du SPF Emploi ni auprès des services de Police, du Ministère public ou d’un juge d’instruction. Elle estime que vu l’existence de ces autres voies – non utilisées –, l’intéressé ne bénéficie pas de la protection contre le licenciement.

Elle en vient ensuite à la question de la discrimination, le demandeur faisant valoir comme motif son orientation sexuelle et sa nationalité. Dans le cadre de la loi du 10 mai 2007, ces critères sont protégés et la cour rappelle qu’en vertu de l’article 17, l’employeur ne peut adopter de mesures préjudiciables à l’encontre d’une personne qui introduit une plainte pour discrimination dans de telles hypothèses. Ceci suppose cependant qu’il y ait dépôt d’une plainte conformément à la loi. A la différence de la législation en matière de harcèlement, l’intervention du conseiller en prévention n’est pas prévue et la plainte peut être adressée directement à l’employeur. Elle doit cependant être motivée, datée, signée et notifiée par lettre recommandée à la Poste. Ce sont les termes de l’article 17, § 3, alinéa 2 de la loi.

Par ailleurs, en matière de discrimination, la charge de la preuve est partagée, la loi précisant que, lorsqu’une personne s’estime victime de discrimination, elle doit établir l’existence de faits permettant de présumer l’existence de celle-ci et qu’il incombe alors à l’autre partie de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination. C’est l’article 28, § 1er de la loi. La cour rappelle également l’arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2008 (Cass., 18 décembre 2008, n° C.06.0351.F) sur la question.

La cour constate que la plainte n’a pas été introduite conformément aux modalités imposées et que, la loi étant d’ordre public et la protection contre le licenciement dérogatoire au droit commun, le juge ne peut donner à celle-ci une interprétation large. Les conditions légales ne sont pas remplies et l’intéressé ne peut bénéficier de cette protection légale non plus. Elle reprend également l’exclusion prévue à l’article 6 de la loi, étant que celle-ci n’est pas applicable en cas de harcèlement dans les relations de travail et que, dans ces hypothèses, l’on peut uniquement recourir aux dispositions de la loi du 4 août 1996.

Enfin, elle en vient à la question du licenciement abusif, où, reprenant l’important arrêt rendu par la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.05.0035.F), elle rappelle que le droit de licencier est un droit-fonction, qui poursuit une finalité économique et sociale, étant l’intérêt de l’entreprise ou de l’institution. Les circonstances du licenciement peuvent également contribuer à conférer à celui-ci un caractère abusif.

En l’espèce, examinant l’ensemble des éléments soumis, la cour conclut à l’absence de caractère abusif de la mesure. La cour rencontre à la fois le motif du licenciement (étant, pour l’institution employeur – active dans le secteur non marchand –, une réduction de budget en raison de la crise financière) et les circonstances du licenciement, en ce compris la dispense de prestations.

La cour déboute dès lors l’intéressé de l’ensemble de ses demandes.

Intérêt de la décision

Cet arrêt met en parallèle les mécanismes de protection dans le cadre des deux lois visées. L’arrêt rappelle très judicieusement l’article 6 de la loi du 10 mai 2007, qui exclut de manière expresse de son champ d’application les faits de harcèlement survenus dans le cadre des relations de travail, pour lesquels le texte renvoie exclusivement aux dispositions correspondantes de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être.

En ce qui concerne l’absence de respect par l’employeur de ses obligations en matière de harcèlement, et plus particulièrement l’information obligatoire via le règlement de travail, la cour a laissé sans conséquence le fait que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations en ce qui concerne l’obligation d’information sur la procédure à suivre en cas de dépôt auprès du conseiller en prévention.

L’on peut certes regretter que la question n’ait pas été prise en compte dans le cadre de l’examen du caractère abusif du licenciement. Dans un jugement du 24 février 2009, le Tribunal du travail de Namur a, dans une telle hypothèse, pris en compte la non mise en place par l’employeur des structures destinées à recevoir les plaintes des travailleurs, ceci constituant une faute, vu le non-respect d’obligations imposées par une loi d’ordre public dont la violation est sanctionnée pénalement. Le Tribunal y a retenu un dommage moral, l’employé s’étant vu allouer, au titre d’abus de droit, une indemnité fixée forfaitairement à 3.500 € (Trib. trav. Namur, 24 février 2009, R.G. 07/132.151/A).


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