Terralaboris asbl

Intérêt légal en accident du travail : sur quels montants ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2013, R.G. 2012/AB/836

Mis en ligne le lundi 13 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 4 novembre 2013, R.G. 2012/AB/836

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 novembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la modification apportée à l’article 42 de la loi sur les accidents du travail par la loi du 8 juin 2008, qui a restreint l’intérêt légal aux seules indemnités dues en exécution de la loi (le remboursement de frais n’étant plus visé).

Faits

Un travailleur est victime d’un accident du travail alors qu’il est occupé au service d’un employeur non assuré contre ce risque. Le Fonds des Accidents du Travail intervient dès lors dans la réparation.

Dans l’attente du règlement du litige, l’organisme assureur AMI prend en charge le remboursement des frais médicaux et procède au paiement en faveur du F.A.T. de montants importants, liquidés en quatre paiements s’étalant entre le 10 mars 2003 et le 24 juin 2003. Par lettre du 30 avril 2003, l’organisme assureur, se fondant sur l’article 42 de la loi, réclame les intérêts sur la première tranche de ses débours. Le F.A.T. effectue le calcul des intérêts, considérant cependant que, pour les prothèses, les frais médicaux et les frais de déplacement, il n’y a pas d’intérêt légal et que seul peut être appliqué l’intérêt moratoire. Il renvoie à l’article 42, qui vise les indemnités d’incapacité de travail.

Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite par l’organisme assureur, portant sur un montant provisionnel à majorer de l’intérêt légal.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 23 juin 2011, le tribunal du travail fait partiellement droit à la demande, condamnant le F.A.T. au paiement d’intérêts moratoires sur les postes contestés, intérêts à partir de la mise en demeure, et ce pour chacun des états adressés.

La mutuelle interjette appel du jugement.

La décision de la cour

La cour se livre à un examen approfondi de la portée de l’article 42, 3e alinéa de la loi du 10 avril 1971. Comme elle le souligne d’emblée, il s’agit de la mouture de cet article avant sa modification par la loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses (article 61). L’article 42, alinéa 3 de la loi du 10 avril 1971 prévoit, à cette époque, que les indemnités prévues par « la présente loi » portent intérêt de plein droit à partir de leur exigibilité. Pour la cour, le Fonds ne peut être suivi lorsqu’il soutient que les remboursements de frais médicaux, pharmaceutiques, chirurgicaux et hospitaliers ne constituent pas des indemnités au sens de cette disposition légale et qu’en conséquence, seuls seraient dus des intérêts moratoires. La cour rappelle que le législateur a entendu viser dans le terme « indemnités » tous les montants dus en vertu de la loi sur les accidents du travail, et ce indépendamment du débiteur. La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2007 (Cass., 19 février 2007, n° S.06.0003.N). Les intérêts sont également dus de plein droit depuis la date de paiement sur les indemnités couvrant les frais médicaux, pharmaceutiques, chirurgicaux et hospitaliers payés par l’organisme assureur en application de l’article 41, alinéa 2 de la loi, lorsque celui-ci réclame le remboursement de ces indemnités à l’assureur-loi ou, le cas échéant, au demandeur. C’est l’enseignement de cet arrêt et, pour la cour, c’est donc à bon droit que l’organisme assureur demande le paiement de ces intérêts.

La cour rejette également, dans l’argumentation du Fonds, le renvoi fait par celui-ci aux travaux préparatoires, rappelant, avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que ceux-ci ne peuvent être opposés à un texte clair et sans ambiguïté.

La cour du travail rappelle encore que cet article 42, 3e alinéa est une exception à l’article 1153 du Code civil et que cette exception vaut pour la totalité de cette disposition. Dès lors que les débours de l’organisme assureur constituent des indemnités au sens de l’article 42, l’intérêt est exigible de plein droit, ce qui exclut le recours à l’article 1153 dans son ensemble. Il s’agit d’une lex specialis.

Enfin, la cour examine l’argument du Fonds concernant les effets de la modification législative introduite par l’article 61 de la loi du 8 juin 2008. Elle rappelle qu’une loi nouvelle est, en règle, non seulement d’application pour les situations nées suite à son entrée en vigueur, mais également qu’elle vaut pour les effets futurs de situations existant sous l’empire de la loi antérieure et qui perdurent après l’entrée en vigueur de la norme nouvelle, pour autant cependant qu’il ne puisse être porté atteinte à des droits définitivement acquis.

La loi nouvelle est entrée en vigueur le 18 juin 2008 et la cour précise que la demande de l’organisme assureur a été formée par citation du 8 juillet 2005 et que celle-ci ne porte pas sur les effets futurs de situations existant sous l’empire de l’ancienne loi.

La cour fait dès lors droit à l’appel de l’organisme assureur et réforme le jugement dans la mesure où il a considéré que les indemnités pour frais médicaux, pharmaceutiques, chirurgicaux et hospitaliers ne constituent pas des indemnités au sens de l’article 42, 3e alinéa de la loi, considérant de la sorte que seuls des intérêts moratoires seraient dus.

La cour condamne en conséquence aux intérêts légaux. Elle rouvre les débats pour les montants.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle en premier lieu la notion d’indemnité visée à l’article 42 de la L.A.T., dans sa mouture avant la modification législative du 8 juin 2008. Il faut noter que, depuis l’entrée en vigueur de celle-ci (jour de sa publication au Moniteur), le texte prévoit que les intérêts sont dus de plein droit à partir de leur exigibilité en ce qui concerne les indemnités prévues par « le présent article », étant l’article 42 lui-même. Celui-ci renvoie, en son alinéa 1er, aux indemnités temporaires et, en son alinéa 2, aux allocations annuelles ainsi qu’aux arrérages de rente et aux autres allocations.

Dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2007, cité ci-dessus, l’arrêt faisait valoir que les indemnités temporaires, même si elles ne constituaient pas des rémunérations, devaient être payées aux mêmes époques que celles-ci et que, selon le Conseil d’Etat, il était dès lors préférable de prévoir un régime similaire à celui de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, et ce pour la matière des accidents du travail, recommandation suivie par le législateur. Eu égard aux termes généraux de l’article 42, alinéa 3 et nonobstant la recommandation du Conseil d’Etat, la disposition légale visait toutes les prestations visées au chapitre II de la loi, étant le chapitre relatif à la réparation de l’accident.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi contre cet arrêt, au motif que, par le terme « uitkeringen » (indemnités) utilisé à l’article 42, alinéa 3, le législateur avait visé toutes les sommes dues en vertu de la loi du 10 avril 1971, et ce quel que soit le débiteur.

Le texte légal a cependant été modifié suite à un arrêt de la Cour de cassation et les intérêts de plein droit sont actuellement restreints aux indemnités visées à l’article 42. La question des soins médicaux et autres est quant à elle réglée par les articles 28 et suivants.


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