Terralaboris asbl

Représentant de commerce : portée de la présomption légale de contrat de travail en présence d’un contrat d’entreprise

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/654

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 9 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/654

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, vu l’existence d’une présomption légale de contrat de travail dès lors qu’un travailleur est chargé de prospecter et de visiter une clientèle en vue de la négociation ou de la conclusion d’affaires, il appartient au commettant d’établir que l’exécution de la convention est incompatible avec l’exécution d’un contrat de travail.

Les faits

Un « accord de collaboration » est conclu entre un travailleur et une société de transport. Le travailleur a la qualité d’indépendant et il est chargé de l’organisation du transport international et du développement de nouvelles activités.

Trois mois après l’engagement, le conseil de l’intéressé prend contact avec la société rappelant la présomption de l’article 4 de la loi sur les contrats de travail, s’agissant d’une fonction de représentant commercial. Il poursuit en réclamant divers points à régulariser (précompte professionnel, cotisations de sécurité sociale, délivrance de documents sociaux). Un rappel est adressé et une indemnité de trois mois est alors réclamée, le travailleur considérant qu’il y a acte équipollent à rupture.

Une procédure est immédiatement introduite aux fins de faire admettre que la convention entre parties est un contrat de travail de représentant de commerce. L’intéressé demande régularisation de divers chefs de demande dans ce cadre. Il déposera des conclusions de synthèse, dans le cadre de cette procédure, près de 10 ans après l’introduction de l’affaire, réclamant de la rémunération, des frais de déplacement, un pécule de vacances, un treizième mois et une indemnité de rupture.

Par jugement du 21 juin 2002, le tribunal du travail considère qu’il y a contrat de travail et fait droit à la demande en ce qu’elle porte sur les arriérés de rémunération et l’indemnité compensatoire de préavis. La prime de fin d’année est rejetée et une réouverture des débats est ordonnée pour les autres chefs de demande.

La société interjette appel en février 2003, demandant le rejet de la demande, en ce qu’elle porte sur la reconnaissance du statut de travailleur salarié.

Appel incident est interjeté par l’intéressé, qui maintient sa réclamation concernant le treizième mois et demande qu’il soit statué sur les postes réservés par le premier juge.

Décision de la cour du travail

La cour examine un point de droit important.

L’article 4 de la loi du 3 juillet 1978 confère en effet aux représentants de commerce une protection particulière. Le contrat de représentant de commerce est celui par lequel un travailleur s’engage contre rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la négociation ou la conclusion d’affaires hormis les assurances, sous l’autorité, pour le compte et au nom d’un ou plusieurs commettants. La loi poursuit que, nonobstant toute stipulation expresse du contrat ou en son silence, le contrat entre commettant et intermédiaire, quelle qu’en soit la dénomination, est réputé être jusqu’à preuve du contraire un contrat de travail de représentant de commerce.

La cour rappelle que cette présomption s’applique dès lors qu’un travailleur établit qu’il est chargé par un commettant de prospecter et de visiter la clientèle en vue de la négociation ou de la conclusion d’affaires. La portée de la présomption est qu’il y a contrat de travail salarié. Cette présomption étant réfragable, son renversement peut intervenir en apportant la preuve que les éléments du contrat ainsi que l’exécution de celui-ci excluent le lien d’autorité entre parties et qu’ils ne sont dès lors pas compatibles avec un contrat de travail.

La cour examine ensuite les règles dégagées par la Cour de cassation, et ce essentiellement dans un arrêt du 17 mai 2004 (Cass., 17 mai 2004, R.G. n° S.03.0054.N) et rappelle, ainsi, que la preuve contraire n’est pas rapportée du fait que les parties ont entendu conclure un contrat d’entreprise et se sont comportées comme tel pendant la période d’exécution. La preuve doit être livrée de ce qu’il s’agit effectivement d’une convention de collaboration indépendante et cette preuve est à charge de l’employeur (commettant).

Pour la cour, il faut s’en tenir aux critères de l’article 4, étant de savoir si le travailleur était engagé contre rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la négociation ou la conclusion d’affaires. En l’espèce, la qualité lui a été conférée par contrat est celle de délégué commercial et, en tant que tel, le travailleur devait visiter la clientèle existante et rechercher de nouveaux clients (des tarifs lui ayant été confiés à cette fin). Sur la base de cet élément essentiel, la cour conclut à l’existence d’un contrat de représentant de commerce. Sont considérés comme indifférents les éléments avancés et qui ne figurent pas à l’article 4 de la loi, la société faisant notamment valoir qu’il avait une grande liberté d’action. Pour la cour, ceci n’exclut pas l’existence d’un contrat de travail. Il en va de même pour la facturation des prestations, élément qui n’est pas déterminant. Pour la cour du travail, ceci indique simplement que, pendant l’exécution de la convention, les parties ont considéré qu’elles n’étaient pas liées par un contrat de travail mais ceci n’exclut pas l’application de la présomption légale.

La cour considère dès lors devoir confirmer le jugement en ce qu’il a conclu à l’application de la loi du 3 juillet 1978.

Elle va, ensuite, examiner la question des postes réclamés, confirmant ici également le jugement en ce qui concerne l’absence de droit établi par l’intéressé à un treizième mois.

Intérêt de la décision

L’on aura noté la particulière lenteur de la mise en état du dossier, plus de vingt ans s’étant écoulés entre la (brève) durée de l’occupation (octobre 1992 / janvier 1993) et la décision judiciaire. Malgré cette grande lenteur, la cour n’a pas suspendu le cours des intérêts, la chose n’étant pas demandée.

Plus fondamentalement en ce qui concerne la question juridique débattue, la position de la cour du travail est de s’appuyer sur un important arrêt de la Cour de cassation, étant celui du 17 mai 2004 auquel elle se réfère à plusieurs reprises. Cet arrêt permet de fixer une règle spécifique pour l’hypothèse des représentants de commerce (ainsi que dans les autres cas de présomption légale d’existence d’un contrat de travail), étant qu’à partir du moment où existe une telle présomption, elle ne peut être renversée qu’en apportant des éléments de preuve très stricts, permettant au juge de conclure que la convention et son exécution sont incompatibles avec l’existence du contrat de travail légalement présumé.

Rappelons enfin que la loi exclut de ce bénéfice certaines catégories de travailleurs (commissionnaire, courtier, concessionnaire de vente exclusive, intermédiaire libre de remettre ses commandes et en général agent commercial lié au commettant par contrat d’entreprise au sens de la loi relative au contrat d’agent commercial, ainsi que mandat salarié ou tout autre contrat en vertu duquel l’agent n’agit pas sous l’autorité de son commettant).


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