Terralaboris asbl

Redistribution des charges sociales et imputation des remises sur les cotisations restant dues

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/1.077

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 mai 2014, R.G. n° 2012/AB/1.077

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 14 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend le mécanisme mis en place par la loi-programme du 8 juin 2008 en ce qui concerne la redistribution des charges sociales, et ce eu égard à une dette de cotisation annuelle de vacances, cotisation ne faisant pas partie des cotisations dues pour le trimestre de référence pour la remise.

Les faits

Une société cesse d’occuper du personnel dans le courant du 4e trimestre de l’année 2010. Elle reçoit le 1er avril 2011 notification d’un débit de cotisations annuelles de vacances pour cet exercice. Un paiement partiel intervient mais la société considère pouvoir procéder à une compensation avec une remise annoncée dans le cadre de la redistribution des charges sociales.

L’ONSS poursuit en paiement du solde de la cotisation de vacances, avec majoration et intérêts. Il est débouté par jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 4 septembre 2012 et interjette appel.

Décision de la cour

La cour est ainsi saisie de l’interprétation des articles 35 à 38 de la loi-programme du 8 juin 2008 (modifiée par la loi de relance économique du 27 mars 2009). En vertu de ceux-ci, les employeurs (en ce compris les titulaires de professions libérales exerçant ou non leur profession sous forme de société) se voient accorder le 1er juillet de chaque année une remise (11,5%) de l’ensemble des cotisations sociales dues trimestriellement pour chacun des quatre trimestres de l’année précédente (année civile), et ce avec plafond.

Par ailleurs, tout employeur doit payer annuellement à l’ONSS, pour chacun de ces mêmes trimestres, une cotisation de compensation (11,55% de la tranche de l’ensemble des cotisations qui dépassent 26.028,82€). Il y a ici également un plafond, celui-ci pouvant par ailleurs adapté par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

L’ONSS est tenu de communiquer un avis à chaque employeur dans le courant du 2e trimestre de l’année civile indiquant le montant à recevoir ou à payer résultant de l’application des mesures ci-dessus. Ce montant est inscrit au crédit de son compte à la date du 1er juillet et il est à valoir sur les cotisations du 2e trimestre de l’année.

La cour du travail constate que, suivant ce mécanisme, les petites entreprises ont droit à une réduction de cotisations, les grandes devant quant à elles payer un supplément. Le calcul est effectué à partir des cotisations versées l’année précédente.

En cas de remboursement, celui-ci fait l’objet d’une inscription au crédit de l’employeur en date du 1er juillet et il est procédé à l’imputation de ce crédit sur les cotisations dues pour le 2e trimestre. Pour la cour, toute autre forme de compensation est dès lors exclue et les règles générales relatives à ce mécanisme de droit civil ne peuvent être appliquées.

En l’espèce, il y a un crédit fixé à un montant de l’ordre de 1.300€. Or, dans le courant du 2e trimestre de l’année 2011, la société n’occupait, à ce moment, plus de personnel et le montant à recevoir n’a dès lors pas pu être imputé sur d’éventuelles cotisations relatives à ce trimestre.

Se pose dès lors la question de savoir si, comme l’a fait le premier juge, il pouvait y avoir imputation sur une autre cotisation, en l’espèce, la cotisation annuelle de vacances.

La cour constate que celle-ci ne fait pas partie des cotisations correspondant au 2e trimestre de l’année en cours. Elle est prévue à l’article 38, § 3, 8° de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Elle concerne les travailleurs manuels (ainsi que les artistes) et est de 16.27% de leur rémunération. Cette cotisation est destinée au régime des vacances légales de ces travailleurs. Une part de celle-ci (10,27%) n’est versée qu’annuellement dans le cours de l’année qui suit l’exercice de vacances, à la date fixée par le Roi et selon les modalités déterminées par arrêté royal.

Cette mesure a fait l’objet d’un arrêté royal d’exécution du 12 mars 1984, qui a précisé que la part de 10,27% est due annuellement le 31 mars de l’année qui suit l’exercice de vacances et qu’elle doit être versée à l’ONSS au plus tard le 30 avril de la même année.

Il s’agit dès lors d’une cotisation destinée à assurer une partie du financement des pécules de vacances dues aux travailleurs manuels sur la base des prestations de l’année de référence (année qui précède). Cette cotisation est dès lors étrangère aux cotisations du 2e trimestre de l’année en cours.

L’imputation du crédit sur cette cotisation annuelle ne pouvait dès lors intervenir.

La cour rappelle encore la ratio legis du mécanisme de redistribution des charges sociales, étant que celles-ci sont destinées à favoriser l’emploi dans les PME et que, de ce fait, elle ne doit pas profiter à une entreprise qui n’occupe plus de personnel au moment où l’avantage est accordé (ce qui est le cas de la société, qui n’occupe plus de membres du personnel dans le courant du 2e trimestre 2011).

La cour relève encore que l’ONSS aurait pu constater la chose plus tôt et ne notifier un avis de crédit.

Reste une dernière question que la cour soulève, eu égard à la situation constatée, étant celle de la mise à charge des dépens dans le chef de la société. La cour estime indispensable de rouvrir les débats sur cette question, la Cour de cassation ayant rappelé dans un arrêt du 14 mai 2001 (Cass., 14 mai 2001, R.G. n° S.00.0079.F) que si, en règle, une partie ne peut, en application de l’article 1017, alinéa 1er du Code judiciaire, être condamnée aux dépens que si elle a succombé, ceux-ci peuvent être mis à sa charge si elle les a causés par sa faute.

Intérêt de la décision

Le mécanisme mis en place par la loi du 8 juin 2008 (loi-programme) en ses articles 35 à 38 permet une compensation entre cotisations dues et un crédit de cotisation, mais dans une mesure limitée. La cour du travail a ainsi considéré dans le présent arrêt que l’on ne peut de manière générale appliquer le mécanisme de compensation de droit civil, eu égard aux conditions plus strictes autorisées ici. Par ailleurs, reprenant les objectifs du législateur dans le cadre de ces mesures de redistribution des charges sociales, la cour conclut à l’absence de compensation possible, eu égard au fait que les conditions pour bénéficier d’un crédit n’étaient plus remplies, étant que la société n’occupait plus de personnel pendant le trimestre de référence.

Un autre intérêt – et non des moindres pour les plaideurs – est que la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2001, qui a confirmé le principe selon lequel les dépens sont en règle mis à charge de la partie qui succombe mais peuvent également l’être à charge de celle qui – sans succomber – a causé ces dépens par sa faute.

Affaire à suivre donc.


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