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Pension de survie : droit patrimonial protégé par la Convention européenne des droits de l’homme

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 juin 2009, R.G. 46.755

Mis en ligne le mercredi 3 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 24 juin 2009, R.G. 46.755

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé qu’une différence de traitement fondée exclusivement sur l’origine nationale en ce qui concerne l’indexation des pensions est discriminatoire et, par conséquent, prohibée.

Les faits

L’OSSOM accorde depuis l’année 1997 à une dame T. une pension non indexée.

Celle-ci a introduit un recours contre l’absence d’indexation.

La Cour du travail de Bruxelles a rendu un premier arrêt le 30 avril 2008 ordonnant la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s’expliquer sur l’existence d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait qui justifierait la revision de la décision prise en 1997 avec effet rétroactif et sur la date à partir de laquelle l’intéressée a été, dans les faits, domiciliée sur le territoire de l’Union européenne.

La position de la cour

Reprenant les éléments de fait complémentaires qui lui sont donnés par les parties, la cour considère que la décision prise par l’OSSOM en 1997 est entachée d’une erreur de droit. En effet, elle applique l’article 51 de la loi du 17 juillet 1963 sur la sécurité sociale d’Outre-mer (tel qu’en vigueur en 1997), qui contient une discrimination prohibée à l’égard des étrangers. Il établit, en effet, une différence de traitement entre les pensionnés résidant en dehors du territoire de la Communauté européenne, et ce en fonction de leur nationalité : les pensionnés belges voient leur pension indexée, alors que les étrangers ont une pension qui demeure inchangée.

En ce qui concerne l’intéressée, la différence est importante.

Pour la cour, la jouissance des droits et des libertés reconnus dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être assurée sans distinction aucune fondée sur l’origine nationale. C’est ce que prévoit son article 14, selon lequel une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable. Tel est le cas si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but poursuivi. Si les Etats bénéficient d’une certaine marge d’appréciation à cet égard, seules les considérations qualifiées de très fortes permettent d’estimer qu’est compatible avec la Convention européenne une différence de traitement qui serait exclusivement fondée sur la nationalité.

La cour rappelle que l’article 14 de la Convention s’applique aux droits qui sont protégés par l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde, selon lequel toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. C’est l’enseignement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, initiée par GAYGUSUZ (C.E.D.H., 16 septembre 1996). Figurent parmi les droits patrimoniaux protégés par l’article 1er du premier protocole les prestations de sécurité sociale, dont en l’occurrence la pension de survie dans le régime belge de sécurité sociale d’Outre-mer.

La cour rappelle également l’arrêt de la Cour européenne (C.E.D.H., 6 juillet 2005) ainsi que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2009 (C.A. n° 59/2009, 25 mars 2009, B.6.2), selon lesquels l’article 1er du premier protocole additionnel ne garantit pas le droit à une allocation de sécurité sociale que ne prévoit pas le système juridique d’un Etat. Cependant, lorsqu’une allocation déterminée est prévue par cet Etat, celui-ci ne peut la conditionner à des critères discriminatoires.

En l’occurrence, la différence de traitement n’est pas justifiée, compte tenu à la fois de l’objet et du but de la loi sur la sécurité sociale d’Outre-mer. La cour estime ne voir aucun motif justifiant de ne pas indexer la pension des pensionnés étrangers résidant hors du territoire de la Communauté européenne. Pour la cour, il n’y a pas de lien entre le lieu de résidence du pensionné et le droit à l’indexation, de même qu’il n’y a pas de motif de favoriser la résidence du pensionné étranger sur le territoire de la Communauté européenne. En conclusion, il n’y a pas de considération très forte qui serait susceptible de justifier une différence de traitement fondée exclusivement sur la nationalité, eu égard à la situation visée.

La cour va, cependant, encore rouvrir les débats sur la question de la prescription, tout en ayant, cependant, déjà constaté que la demande ayant été introduite par requête du 8 août 2003, la règle de prescription à l’époque était de 5 ans. Reste en litige la période antérieure au 7 août 1998.

Intérêt de la décision

Les principes dégagés par l’arrêt GAYGUSUZ de la Cour européenne permet à la Cour du travail de Bruxelles de considérer que, la pension de survie faisant partie du patrimoine de la personne, le critère de nationalité figurant dans le texte légal est dépourvu de justification objective et raisonnable.


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