Terralaboris asbl

Temps partiel : application de la présomption légale à la relation employeur / travailleur

Commentaire de C. trav. Mons, 2 juin 2014, R.G. n° 2013/AM/350

Mis en ligne le mardi 2 septembre 2014


Cour du travail de Mons, 2 juin 2014, R.G. n° 2013/AM/350

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 juin 2014, la Cour du travail de Mons, rappelant la controverse sur la question, conclut que la présomption d’occupation à temps plein en cas de non respect de la réglementation du travail à temps partiel s’applique à la relation employeur / travailleur.

Les faits

Un travailleur de l’HORECA (aide-barman) est occupé depuis le 10 janvier 2006 dans le cadre d’un temps partiel. Deux mois et demi après le début du contrat, un litige survient, qui va déboucher sur une rupture dont l’imputabilité va être ultérieurement discutée. L’employeur reproche à l’intéressé d’avoir quitté son lieu de travail, celui-ci contestant la chose, faisant valoir au contraire qu’il a été renvoyé à son domicile.

Chaque partie campant sur sa position, l’organisation syndicale de l’intéressé adresse plusieurs courriers à la société, en février 2007, réclamant une indemnité de rupture, une indemnité pour licenciement abusif ainsi que le paiement d’heures supplémentaires.

En fin de compte, une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Mons en paiement de ces sommes, ainsi que de sommes annexes.

Décision du tribunal

Après avoir ordonné la comparution personnelle des parties, le Tribunal du travail de Mons a rendu un jugement en date du 11 novembre 2010, accueillant une partie des demandes de l’intéressé et ordonnant la réouverture des débats aux fins de permettre de fixer ses droits en ce qui concerne les heures supplémentaires et autres primes et remboursements de frais.

L’intéressé interjette appel. Celui-ci est limité, le tribunal ayant considéré que le licenciement n’était pas abusif et l’ayant débouté de divers chefs de demande relatifs à sa fonction ainsi qu’aux heures prestées.

La société forme appel incident, sur les postes auxquels elle a été condamnée.

Décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu l’ensemble des principes en matière de congé, celui-ci ayant un caractère définitif. Il en découle, selon l’arrêt, que le juge ne peut aller à l’encontre de la volonté de l’auteur de la rupture et ne peut ordonner la reprise, dès lors que celle-ci a été constatée. Il ne peut davantage prolonger un délai de préavis insuffisant.

Après avoir relevé que c’est au demandeur en justice de prouver l’existence du mode de rupture sur lequel il fonde son action, la cour rappelle encore que le juge peut modifier la qualification donnée à l’acte de rupture. Celle-ci doit, pour ce faire, être inconciliable avec les éléments de faits du dossier et avec les revendications présentées.

Examinant les éléments qui lui sont soumis et recourant à la technique de la preuve par présomption de l’homme, dont elle reprend le mécanisme, la cour admet qu’il y a eu licenciement immédiat, et ce d’autant que deux courriers recommandés ont été adressés par l’organisation syndicale et qu’il n’a pas été répondu à ceux-ci. L’indemnité compensatoire de préavis est dès lors due.

En ce qui concerne l’indemnité pour licenciement abusif, relevant qu’il n’y a pas eu abandon de travail, la cour revient à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, R.G. n° S.09.0092.N) dans lequel la Cour suprême a considéré qu’un licenciement fondé sur un motif en lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur est abusif lorsque le motif invoqué présente un caractère manifestement déraisonnable. C’est dès lors au juge du fond qu’il appartient d’apprécier si la conduite ou l’aptitude du travailleur constitue un motif de rupture légitime. Un tel motif n’est pas présent en l’espèce et la cour fait dès lors droit à ce chef de demande, tout en ordonnant une réouverture des débats sur le montant de l’indemnité.

Elle examine ensuite le bien-fondé de la réclamation relative au paiement de la rémunération du dernier mois de prestation. Elle déboute l’intéressé de sa prétention en ce qu’elle vise au paiement de la rémunération correspondant au barème de barman et non d’aide-barman, constatant que le critère à prendre en compte est la nature exacte du travail effectué et non les diplômes, formations ou aptitudes du travailleur. Ceux-ci ne sont que des indices. La preuve n’étant pas apportée de prestations de barman, c’est la catégorie inférieure qui est retenue.

En ce qui concerne, ensuite, la réclamation d’heures supplémentaires, la cour rappelle les principes selon lesquels celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Il s’agit de la stricte application des articles 870 du Code judiciaire et 1315 du Code civil. En matière d’heures supplémentaires, il faut dès lors établir d’une part la réalité et le nombre de celles-ci, et d’autre part qu’elles ont été accomplies à la demande ou - à tout le moins - avec l’approbation tacite de l’employeur.

S’agissant, par ailleurs d’un contrat conclu dans le cadre d’un temps partiel, la cour rappelle la réglementation spécifique à ce type d’occupation, étant l’obligation d’un écrit, pour chaque travailleur individuellement au plus tard au moment où celui-ci commence l’exécution de son contrat. Doivent y figurer le régime de travail à temps partiel ainsi que l’horaire convenu. Une copie doit être conservée à l’endroit où le règlement de travail peut être consulté et, en cas d’horaire variable, des obligations supplémentaires doivent être respectées : (i) les horaires journaliers doivent être portés à la connaissance des travailleurs par affichage au moins cinq jours à l’avance (sauf modalités autres prévues par CCT ou par le règlement de travail), (ii) un avis déterminant les horaires individuels doit être affiché avant le commencement de la journée de travail et (iii) l’employeur doit disposer d’un document consignant toutes les dérogations aux horaires de travail précités (carnet de dérogations).

En l’occurrence, la cour constate que ces obligations n’ont pas été respectées, le contrat faisant uniquement référence à un régime de travail de temps partiel de 20 heures par semaine mais ne précisant pas sa répartition. Le règlement de travail déposé par la société reprend certes la ventilation de l’horaire variable de l’intéressé en termes hebdomadaires mais la cour relève que celle-ci n’est pas revêtue de la signature de celui-ci, alors que c’est obligatoire.

Elle en vient, ainsi, à un examen de cette réglementation, qu’elle analyse dans son objectif, rappelant les controverses qui ont surgi tant en doctrine qu’en jurisprudence, eu égard aux modifications législatives intervenues et aux divers arrêts de la Cour de cassation sur la question (renvoyant notamment à Cass., 18 février 2002, R.G. n° S.01.0093.N). La cour rappelle que les règles reprises aux articles 11bis de la loi du 3 juillet 1978 et à la loi-programme du 22 décembre 1989 ne concernent pas la relation entre l’employeur et le travailleur, ayant pour objet de tendre vers un meilleur contrôle du travail à temps partiel et dès lors de lutter contre le travail clandestin. La présomption légale de l’article 171 de la loi du 22 décembre 1989 a, dans cette idée, été instaurée au profit des institutions et des fonctionnaires, ce qui a renforcé l’idée que le travailleur serait sans droit pour invoquer cette présomption à l’appui d’une demande de paiement de rémunération sur la base d’un temps plein. La cour relève cependant que cette conception n’a pas été toujours suivie par les juges du fond. Elle renvoie à des décisions de la Cour du travail de Bruxelles, de Liège ainsi que de sa propre cour (C. trav. Mons, 4 décembre 1997, Juridat JS50805, C. trav. Bruxelles, 19 février 1998, Juridat JS51202 et en sens contraire C. trav. Liège, 28 février 1997, Juridat JS50432).

La cour en revient alors aux travaux parlementaires de l’article 45 de la loi du 26 juillet 1996, selon lesquels la preuve contraire de l’occupation à temps plein peut désormais être apportée mais, à défaut d’une telle preuve, le travailleur devra être considéré et rémunéré comme s’il avait travaillé à temps plein pendant toute la période pendant laquelle les obligations de publicité n’ont pas été remplies. La cour reprend ici la doctrine sur la question (D. SAVOSTIN, « Travail à temps partiel : l’article 171 de la loi-programme du 22 décembre 1989, une disposition superflue ? » in Chron. Dr. Soc. 1998, p. 211 et L. PELTZER, « Impact du régime de travail à temps partiel sur le contrat de travail et sa rédaction » in A.E.B., Contrats de travail, Kluwer, n° 237, p. 23 et s.).

Elle en conclut que le travailleur est en droit d’invoquer à son profit le bénéfice de la présomption d’occupation à temps plein, étant toutefois entendu que celle-ci n’instaure qu’un renversement de la charge de la preuve, l’employeur restant autorisé à apporter la preuve contraire.

Enfin, elle considère que dans la mesure où l’employeur n’a pas sollicité en l’espèce le droit de renverser la présomption réfragable en prouvant (la cour souligne) que l’intéressé n’a pas été occupé à temps plein pendant la durée des relations contractuelles, il n’y a pas lieu de l’y autoriser.

Elle ordonne dès lors la réouverture des débats sur les chiffres uniquement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons contient deux enseignements importants :

  • en ce qui concerne la rupture, le demandeur en justice doit qualifier le mode de rupture sur lequel il se fonde et celui-ci peut être modifié par le tribunal s’il est inconciliable avec les éléments du dossier et les revendications en justice,
  • surtout, sur la présomption d’occupation à temps plein en cas de non respect de la réglementation à temps partiel, la cour opte pour la thèse selon laquelle cette présomption peut être invoquée par le travailleur et n’est pas réservée aux administrations dans le cadre d’une lutte contre le travail clandestin.

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