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CPAS : sanction de l’absence de réorientation d’un demandeur d’aide sociale vers un centre d’accueil

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/731

Mis en ligne le lundi 25 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 30 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/731

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Dans un arrêt du 30 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations du CPAS en matière de réorientation, et ce à la lumière de la jurisprudence très récente de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.

Les faits

Un demandeur d’asile se voit désigner un lieu obligatoire d’inscription. Il obtient une attestation d’immatriculation en août 2011 et introduit une demande d’aide sociale auprès du Centre de la commune où il réside. Celui-ci se déclare incompétent, au motif de la désignation intervenue.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui accorde une aide équivalente au revenu d’intégration à partir du 1er du mois où la désignation du lieu obligatoire d’inscription est intervenue.

Appel est introduit par le CPAS, qui parallèlement accorde une aide sociale équivalente au revenu d’intégration pour une période ultérieure, débutant en mai 2012.

L’intéressé bénéficie ensuite de la protection subsidiaire à partir d’août 2012 et est inscrit au registre des étrangers.

Position des parties devant la cour

Le CPAS, partie appelante, considère que le tribunal a alloué plus que ce qui était demandé, en fixant la prise de cours de l’aide sociale au 1er mai 2011. Il fait par ailleurs valoir qu’il n’est pas compétent, vu la désignation d’un centre d’accueil et conclut que l’obligation de réorientation ne concerne pas les centres d’accueil mais uniquement les CPAS.

Enfin, il conteste l’état de besoin.

Quant à l’intéressé, il plaide que le CPAS n’a pas valablement décliné sa compétence. Il demande, au cas où la cour conclurait à la non application de l’article 58, § 3 de la loi du 8 juillet 1976 (relatif à la réorientation) qu’il y a une faute, justifiant l’octroi de dommages et intérêts.

Il maintient que l’aide doit débuter à la date fixée par le tribunal.

Décision de la cour du travail

La cour aborde deux périodes successives. A partir du moment où l’intéressé a disposé d’une attestation d’immatriculation de plus de trois mois, le CPAS de la commune du domicile est compétent. C’est l’application de l’article 8 de la loi du 12 janvier 2007 (complété par la loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses – article 163).

Pour la période antérieure, il n’y a pas eu de réorientation vers le centre d’accueil, ce qui n’est pas contesté. La cour examine dès lors si cette obligation (fixée à l’article 58, § 3 de la loi du 8 juillet 1976) concerne les centres d’accueil, puisque, en cas d’absence de réorientation, le CPAS est tenu d’accorder l’aide sociale.

Elle reprend deux décisions récentes et de premier plan sur la question.

Elle renvoie, en premier lieu, à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2013 (Cass., 16 décembre 2013, RG n° S.13.0056.F – précédemment commenté), qui a considéré que FEDASIL est une institution de sécurité sociale au sens de la Charte de l’assuré social. En conséquence, FEDASIL et ses partenaires (centres d’accueil) doivent être mis sur le même pied qu’un CPAS, la Cour de cassation ayant considéré que l’Agence est une institution de sécurité sociale qui accorde, directement ou à l’intervention de partenaires, une prestation de sécurité sociale, à savoir l’aide matérielle, qui est une des formes de l’aide sociale prévues par la loi. Il y avait dès lors obligation de réorientation.

Elle renvoie également au récent arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne le 27 février 2014 (CJUE, 27 février 2014, arrêt n° C-79/13, Aff. Saciri) qui a conclu qu’un demandeur d’asile ne pouvait être privé fût-ce pendant une période temporaire (ce que la cour souligne) après l’introduction de la demande d’asile de la protection des normes minimales établies par la directive 203/9, ainsi que par l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Reprenant encore les principes en matière d’obligation d’interprétation conforme du droit européen, la cour considère qu’il faut interpréter les dispositions visées en la présente espèce, étant l’article 9, alinéa 3 de la Charte et l’article 58, § 3 de la loi du 8 juillet 1976 comme applicables lorsque le CPAS qui estime que l’aide doit être fournie dans un centre d’accueil manque à son obligation de réorientation : il reste dans cette hypothèse tenu d’assurer l’aide sociale.

Celle-ci est ainsi accordée à partir de la date de la demande, soit depuis septembre 2011.

Enfin, sur l’état de besoin, la cour constate que l’intéressé a bénéficié de l’aide médicale urgente, ce qui révèle celui-ci et que, des pièces déposées, il ressort que la situation qu’il a vécue a des répercussions toujours actuelles. Les arriérés doivent dès lors être versés.

Intérêt de la décision

Cet arrêt poursuit la logique de l’application de la Charte de l’assuré social à FEDASIL et à ses partenaires. S’agissant d’institutions de sécurité sociale qui allouent une prestation d’aide sociale, l’obligation de réorientation visée à l’article 58, § 3 de la loi du 8 juillet 1976 doit s’étendre à ces organismes, lorsque le CPAS saisi d’une demande estime qu’il n’est pas compétent. A défaut, la stricte application de l’article 58, § 3 de la loi du 8 juillet 1976 implique qu’il reste tenu au paiement de l’aide sociale.

L’on peut encore rappeler que l’aide sociale octroyée par les CPAS n’était pas initialement prise en compte par la Charte, son inclusion étant intervenue depuis une loi du 10 mars 2005. Est ainsi visée non seulement l’aide sociale due par le CPAS mais également l’aide matérielle au sein d’une structure d’accueil chargée d’assurer aux demandeurs d’asile l’aide nécessaire pour mener une vie conforme à la dignité humaine.


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