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Caractère discrétionnaire des décisions du Fonds spécial de solidarité ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/483

Mis en ligne le lundi 25 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/483

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles considère que les décisions prises par le Collège des médecins-directeurs au sein du Fonds spécial de solidarité de l’INAMI ont un caractère discrétionnaire et que le contrôle judiciaire sur ces décisions est dès lors marginal, le juge ne pouvant se substituer à lui pour ce qui est de la détermination d’un cas digne d’intérêt.

Les faits

Un assuré social atteint d’une maladie grave (cancer médullaire) est orienté par un spécialiste belge vers un hôpital parisien, qui dispose d’un traitement non encore accessible en Belgique, le laboratoire producteur n’ayant pas encore reçu les autorisations en ce sens, contrairement à la France. L’autorisation de traitement est accordée et un transport est organisé dans la précipitation eu égard à une dégradation soudaine de l’état de santé.

Le Fonds spécial de solidarité est saisi en demande de remboursement des frais de transport.

La décision prise par le Collège des médecins-directeurs est négative au motif que les conditions de l’article 26sexies de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 ne sont pas remplies. Le Collège se fonde sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un cas digne d’intérêt et que les prestations de santé à l’étranger ne sont pas prescrites par un médecin spécialiste, spécialisé dans le traitement de l’affection concernée.

Une requête est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Louvain, qui déboute les demandeurs (ayants droit) par jugement du 2 avril 2013, considérant qu’il ne s’agit pas d’un cas digne d’intérêt.

Position des parties en appel

Les appelants font valoir que l’ensemble des conditions de l’article 25sexies de la loi sont réunies. Plus particulièrement, ils concluent que le traitement en cause avait dépassé le stade expérimental, dans la mesure où il a été autorisé en Europe environ un an plus tard.

Pour l’INAMI, le traitement n’était pas enregistré ni en Europe ni aux Etats-Unis et qu’il ne pouvait dès lors être prescrit et/ou acheté pour ladite pathologie. Il considère également qu’il n’est pas cohérent d’exclure, à l’article 35 de la loi, certaines prestations et de les prendre en charge dans le cadre du Fonds spécial. Il s’appuie également sur le fait que les prestations n’ont pas été, préalablement à l’obtention des soins, prescrites par un médecin spécialiste, spécialisé dans le traitement de l’affection concernée et plaide, enfin, que le déplacement vers Paris n’a pas fait l’objet d’une autorisation signée par un tel médecin.

Décision de la cour

La cour examine le mécanisme d’intervention du Fonds spécial (avant une dernière modification intervenue par la loi du 7 février 2014). Elle renvoie à une étude récente de doctrine (M. Van Cotthem, « Het Bijzonder Solidariteitsfonds onder de loep », R.D.S., 2012/3, p. 252-296) pour ce qui est de l’examen des conditions requises. Il y a, en effet, selon la loi cas digne d’intérêt si six conditions sont respectées cumulativement, étant (i) que les prestations dispensées à l’étranger doivent être onéreuses, (ii) qu’elles présentent une valeur scientifique et une efficacité largement reconnues par les instances médicales internationales faisant autorité, (iii) qu’elles ne relèvent plus d’un stade expérimental, (iv) qu’elles visent le traitement d’une affection portant atteinte aux fonctions vitales du bénéficiaire, (v) qu’il n’existe aucune thérapeutique alternative acceptable en Belgique dans un délai raisonnable tenant compte de l’état de santé du bénéficiaire et (vi) qu’elles aient préalablement été prescrites par un médecin spécialisé dans le traitement de l’affection, autorisé à pratiquer la médecine dans un Etat membre de l’U.E. ou de l’E.E.E.

La cour examine dès lors l’étendue du contrôle judiciaire pouvant être exercé sur l’appréciation par le Collège des médecins-directeurs de la notion de « cas digne d’intérêt ». Elle relève qu’il n’est pas contesté que la décision est motivée et que, sur le plan du contrôle de la légalité externe et interne, étant de vérifier s’il a été fait une correcte application des conditions légales, deux questions précises se posent, étant celle du médecin qui a prescrit les prestations ainsi que de l’exigence de l’autorisation du déplacement à l’étranger. La cour rejette ces deux arguments de l’INAMI, le premier étant infirmé par la qualité du médecin en cause et le second étant une exigence qui ne figure pas dans le texte légal.

Elle vient, ensuite, à l’examen de sa compétence sur l’appréciation du Collège des médecins-directeurs de la situation qualifiée de « digne d’intérêt », étant de savoir s’il ne s’agirait pas d’une compétence discrétionnaire dans leur chef, qui aurait pour effet de restreindre la compétence du juge au contrôle de la légalité interne et externe de la décision. La cour reprend sur cette question de principe divers arrêts de la Cour de cassation, rendus en matière de prestations familiales (Cass., 11 décembre 2006, R.G. n° S.06.0016.N et Cass., 28 janvier 2008 – dont la cour du travail relève qu’il n’a jamais fait l’objet de publication), qui ont déterminé que certaines compétences du ministre avaient un caractère discrétionnaire.

La question posée est dès lors de savoir quelle est la nature de l’article 25sexies eu égard à ce critère. La cour du travail relève que la réglementation ne prévoit ici aucun droit subjectif à une intervention, le Fonds étant précisément créé pour des situations où le législateur n’a pas prévu de remboursements. Il s’agit dès lors, contrairement aux articles 25bis à 25quinquies, d’une compétence à caractère discrétionnaire, devant viser des circonstances exceptionnelles. Même si, dans le cas d’espèce, l’intervention demandée est assez limitée, cet élément est indifférent.

Reprenant, enfin, la motivation donnée par le Collège des médecins-directeurs, la cour la considère conforme aux exigences légales. Elle conclut qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du Fonds spécial.

Intérêt de la décision

Optant pour le caractère discrétionnaire de la compétence du Collège des médecins-directeurs, cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles conclut, logiquement, à un contrôle judiciaire marginal, ne lui permettant pas de substituer son appréciation à celle de l’administration.

Il n’échappera pas, cependant, que l’article 25sexies prévoit en son 1° que le cas est digne d’intérêt pour autant qu’il réponde cumulativement à six conditions (étant celles reprises ci-dessus). Aucun autre élément d’appréciation ne figure dans le texte légal. Il est dès lors permis de s’interroger sur la question de savoir si, une fois ces six critères réunis, le cas n’est pas à considérer comme digne d’intérêt au sens où le législateur l’a voulu.


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