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Prescription de l’action en récupération d’indu AMI en cas de manœuvres frauduleuses

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mai 2014, R.G. 2012/AB/723

Mis en ligne le vendredi 22 août 2014


Cour du travail de Bruxelles, 28 mai 2014, R.G. 2012/AB/723

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 28 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation, a jugé qu’en cas d’infraction (production de faux documents), le délai de prescription de récupération d’indu de soins de santé n’a pu commencer à courir qu’à la fin du comportement infractionnel, celui-ci étant situé à la date du dernier paiement litigieux.

Les faits

L’O.N.S.S. ayant procédé au désassujettissement d’office d’un assuré social, celui-ci se voit notifier une demande de remboursement d’indemnités d’incapacité de travail, ainsi que de remboursement de soins de santé par son organisme assureur. Cette notification date de mars 2009 et concerne des indemnités d’avril et mai 2007, ainsi que des soins de santé pour la période de janvier 2003 à novembre 2008.

Une procédure est dès lors introduite devant le tribunal du travail en récupération de ces montants.

La décision du tribunal

Par jugement du 14 juin 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles considère qu’il y a prescription pour ce qui est des soins de santé relatifs à la période de janvier 2003 à mars 2004. Il admet qu’il y a indu pour ce qui est des indemnités d’incapacité de travail et ordonne la réouverture des débats pour la partie non prescrite des soins de santé.

Les décisions de la cour

Suite à l’appel de l’organisme assureur, la cour rend deux arrêts.

Dans un premier arrêt du 21 février 2013, elle confirme que l’intéressé ne pouvait avoir la qualité de travailleur salarié. Elle a cependant ordonné la réouverture des débats aux fins de savoir si, pour les soins de santé, il ne pouvait en bénéficier autrement. Sur la prescription, la cour a, reprenant la suggestion de l’Avocat général, demandé que soit examinée l’application des articles 26 et 28 du titre préliminaire du C.I.C.

Dans l’arrêt annoté, du 28 mai 2014, la cour aborde successivement la question du caractère indu des prestations et le délai de prescription de la récupération.

Elle rappelle qu’une modification législative est intervenue à partir du 1er janvier 2009, s’agissant de l’entrée en vigueur d’une modification de l’article 164, dernier alinéa de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, modification introduite par la loi-programme du 22 décembre 2008. Avant celle-ci, la disposition ne concernait que la récupération de l’indu, auquel l’on ne pouvait renoncer en cas de fraude. Cette disposition laissait cependant ouverte la voie de la régularisation, les prestations pouvant être remboursées à la personne en une autre qualité. C’est ce texte qui trouve à s’appliquer en l’espèce.

La cour relève encore que la situation pouvait être régularisée conformément à l’article 32, 15° de la même loi, s’agissant d’un étranger autorisé au séjour de plus de 3 mois en Belgique. Les conditions de régularisation sont, dans cette hypothèse, de verser une cotisation (sauf revenus insuffisants).

Aucune de ces deux voies n’a été explorée par l’assuré social (qui fait d’ailleurs défaut). La cour constate dès lors qu’il n’y a pas de possibilité de régularisation et que l’indu doit être confirmé.

Sur le délai de prescription, celui-ci est de 5 ans. La cour relève que ce que l’U.N.M.S. critique, c’est le point de départ, et ce afin de pouvoir englober les soins relatifs à la période de janvier 2003 à mars 2004. La mutuelle plaide, en soutènement de sa thèse, qu’il y a dommage causé par une faute et que son action est une action civile résultant d’une infraction.

Sur le premier point, étant la faute telle que réglementée, sur le plan de la prescription, à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2 du Code civil (prescription par 5 ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation, ainsi que de l’identité du responsable), la cour rappelle que toute faute n’entraîne pas l’écartement de la prescription spécifique à la matière au profit d’une prescription plus longue, qui serait celle prévue à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2 du Code civil.

Elle rappelle un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1998 (Cass., 18 mai 1998, n° S.96.0167.N), selon lequel, en cas de remboursement d’indu, fondé sur l’article 1382 du Code civil, il s’agit d’une contestation relative aux droits et obligations résultant de la législation A.M.I. Cette hypothèse d’une action fondée sur une faute entraîne ainsi deux conséquences, pour la cour, étant que les juridictions du travail sont compétentes, mais que, également, reste d’application le délai particulier applicable à l’action elle-même. Elle fonde également sa décision de rejeter la règle de la prescription de droit commun sur la conclusion que l’appliquer reviendrait à contourner la nécessité de prévoir en sécurité sociale des délais dérogatoires, renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2005 (C. const., 19 janvier 2005, arrêt n° 13/2005).

Enfin, sur les articles 26 et 28 du titre préliminaire du C.I.C., c’est à un arrêt du 19 novembre 2012 de la Cour de cassation que la cour du travail renvoie (Cass., 19 novembre 2012, n° S.11.0098.F), dont elle tire le double enseignement que :

  • S’il y a infraction, le délai de prescription ne commence à courir que lorsque le comportement infractionnel a pris fin ;
  • Il s’agit d’une règle de droit commun applicable en toute matière, même lorsqu’il existe une règle particulière fixant un point de départ particulier.

En l’espèce, l’infraction est le fait d’avoir fait usage de faux documents et celle-ci s’est poursuivie jusqu’au dernier paiement. Celui-ci étant intervenu en décembre 2008, il s’est écoulé moins de 5 ans entre le début de la prescription (à cette date) et l’introduction de l’action. Il n’y a dès lors pas prescription.

La cour condamne, enfin, aux intérêts calculés à partir de la date du paiement, s’agissant de manœuvres frauduleuses.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle qu’il n’y a pas lieu de renvoyer à une prescription de droit commun, en sécurité sociale, dès lors qu’existent des règles particulières, dérogatoires. Par contre, il découle de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en cas d’infraction, le délai de prescription ne commençant à courir qu’à la fin du comportement infractionnel, c’est à ce moment qu’il faut se placer pour vérifier si le délai – généralement de 5 ans – est expiré ou non.


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