Terralaboris asbl

Subsides publics : raisons objectives justifiant le renouvellement de contrats à durée déterminée ?

Commentaire de Trib. trav. Malines, 8 septembre 2009, R.G. 08/954/A

Mis en ligne le lundi 14 juillet 2014


Tribunal du travail de Malines, 8 septembre 2009, R.G. 08/954/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 8 septrembre 2009, le tribunal du travail de Malines examine la problématique des contrats successifs à durée déterminée à partir des conditions fixées par l’accord-cadre européen du 18 mars 1999 et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautées européennes.

Les faits

Une dame D. est engagée par une asbl en tant qu’éducatrice le 19 novembre 2001 avec un contrat de travail à temps partiel et pour une durée déterminée jusqu’au 29 mars 2002. Elle est réengagée l’année suivante avec divers contrats à durée déterminée successifs et toujours dans le cadre d’un temps partiel, pour les mêmes fonctions (ou fonctions voisines). Celles-ci seront étendues dans un contrat ultérieur. Il s’agit de tâches d’encadrement d’enfants, parfois décrites comme davantage administratives.

Le dernier contrat vient à échéance le 30 juin 2007.

Par courrier du 22 octobre 2007, son organisation syndicale réclame une indemnité compensatoire de préavis, l’engagement devant, selon elle, être compris comme étant un contrat à durée indéterminée.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle les règles en matière de contrat à durée déterminée successifs, contenus dans l’article 10 de la loi sur les contrats de travail. Pour le tribunal, cette disposition contient une présomption légale de contrat de durée indéterminée. Cependant, celle-ci peut être renversée par l’employeur, qui peut établir la justification des contrats successifs (le tribunal reprend notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2002 (J.T.T., 2003, p. 404)). Les motifs pouvant être invoqués sont essentiellement la nature du travail ou d’autres raisons légitimes.

Le tribunal se pose la question de la conformité de cette disposition avec la directive 1999/70 qui exécute l’accord-cadre européen du 18 mars 1999 en matière de contrat de travail à durée déterminée.

Examinant les dispositions de l’accord-cadre (essentiellement les points 1.A et 5.1), dont il ressort que les Etats membres sont tenus d’adopter dans leur législation nationale des dispositions de nature à mettre celle-ci en conformité avec la législation européenne, si de telles mesures n’existent pas encore, et ce afin d’éviter le recours à l’abus de contrats successifs à durée déterminée. Le tribunal rappelle à cet égard l’arrêt ADELENER (C.J.C.E., 4 juillet 2006, C-212/07 – considérant n° 65).

En application de ces principes, il faut dès lors retenir que l’article 10 de la loi doit viser des « raisons objectives », conformément à la clause 5.1.a. de l’accord-cadre. Cette définition n’est pas donnée dans celui-ci mais, se référant toujours à l’arrêt ADELENER, le tribunal conclut qu’il faut se référer au but poursuivi et au contexte de la clause précitée.

Les parties signataires de l’accord-cadre ont en effet eu pour objectif d’exiger des raisons objectives pour la succession des contrats à durée déterminée, aux fins d’éviter les abus. Le critère d’objectivité est une manière d’éviter ceux-ci.

Par raison objective, il faut dès lors entendre des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée, de telle manière qu’elle justifie que, dans un contexte déterminé, il puisse être fait recours à la succession de ces contrats. Ces circonstances doivent découler de la nature particulière des tâches pour lesquelles de tels contrats sont conclus et des caractéristiques inhérentes à ceux-ci ou éventuellement de la poursuite d’un objectif raisonnable en matière de gestion sociale.

Aussi, une disposition nationale qui se bornerait, par le biais d’un article de loi, à permettre de mettre sur pied, de manière générale et abstraite, un recours à des contrats successifs pour une durée déterminée ne répond pas à l’exigence de telles caractéristiques. Une disposition formelle de ce type comporte en effeet un risque sérieux d’abus et serait donc en contradiction avec l’objectif poursuivi et avec l’effet utile voulu par l’accord-cadre.

Celui-ci ne permet pas que le recours à des contrats successifs à durée déterminée soit justifié par le fait qu’une disposition de la législation d’un des Etats membres le permet. La notion de « raison objective » au sens de la clause 5.1.a. exige une justification, qui est à rechercher dans des éléments concrets en lien avec l’activité elle-même et avec ses conditions d’exercice.

Examinant l’article 10 dans ce contexte, le tribunal retient que son libellé (nature du travail ou autre raison légitime) correspond à des éléments objectifs au sens de l’accord-cadre et donc de la directive 1999/70. Il faut, dès lors, vérifier si l’asbl apporte la preuve des raisons légitimes qu’elle invoque. Il s’agit essentiellement du fait que la mise au travail de l’intéressée dépendait de subsides publics et la référence à ceux-ci figure dans les divers contrats de travail. Ces contrats sont, en effet, intervenus dans le cadre de projets spécifiques qui ne pouvaient être menés à bien par l’asbl que par l’octroi de ces subsides, étant que sans cet octroi, les contrats ne pouvaient être conclus. Le tribunal considère qu’une telle situation constitue une raison légitime de telle sorte que la succession de ces contrats se justifie. Ces conditions ne sont cependant pas tout à fait présentes dans cinq contrats, leur libellé quant aux fonctions étant plus larges.

Considérant (sur la base de l’arrêt du 14 avril 2005 de la Cour de cassation (J.T., 2005, p. 661) que, pour juger, le tribunal doit se fonder sur les moyens invoqués par les parties à l’appui de leur demande mais qu’il doit, dans le cadre du respect des droits de défense, tenir compte des règles applicables au litige, le tribunal rouvre les débats aux fins de permettre à l’asbl d’établir que les contrats litigieux étaient, également, susceptibles d’être justifiés par une raison légitime.

Intérêt de la décision

Le jugement du tribunal du travail de Malines ci-dessus rappelle certaines balises dans le cadre de l’appréciation de la licéité de la succession de contrats à durée déterminée, balise contenue dans l’accord-cadre européen et dans la directive 1999/70. Il rappelle également l’interprétation qu’en a faite la Cour de justice des Communautés Européennes dans son arrêt ADELENER du 4 juillet 2006.

Il faut cependant relever que la jurisprudence est loin d’être unanime sur la question (v. notamment Trib. trav. Bruxelles, 3 avril 2008, R.G. 11.775/06 sur www.terralaboris.be)


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