Terralaboris asbl

Mode de désignation de la délégation syndicale : mécanisme de la CCT n° 5

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/7

Mis en ligne le jeudi 3 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 19 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/7

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 juin 2012, la cour du travail de Bruxelles rappelle que les règles de désignation de la délégation syndicale admises au niveau d’une entreprise peuvent résulter d’un usage ou d’un accord tacite et que, s’agissant d’une règle plus favorable que celle prévue par la CCT n° 5, elle n’est pas inconciliable avec les termes de celle-ci

Les faits

Une infirmière prestant en milieu hospitalier est désignée par une organisation syndicale comme déléguée effective. L’organisation communique ce choix à la direction de l’hôpital par lettre recommandée, qui reprend comme début du mandat la date de réception du courrier.

Deux ans après cette désignation, l’infirmière démissionne de son mandat. Elle est cependant redésignée en cette fonction par le syndicat deux mois plus tard, et ce selon la même voie.

La direction de l’établissement conteste cette désignation.

Elle licencie l’intéressée quatre mois plus tard avec préavis, non presté.

La procédure

L’infirmière introduit un recours devant le tribunal du travail afin d’obtenir une indemnité de protection équivalente à un an de rémunération.

Le tribunal la déboute de sa demande par jugement du 26 avril 2005.

La décision de la cour du travail

La Cour examine longuement les dispositions de la CCT n° 5 conclue au sein du Conseil National du Travail le 24 mai 1971, concernant le statut des délégations syndicales du personnel des entreprises.

Elle précise en premier lieu qu’il s’agit d’une convention collective cadre, devant faire l’objet de dispositions spécifiques aux niveaux inférieurs, étant les secteurs et les entreprises. Ceci est destiné à permettre, selon l’article 1er de la CCT, aux parties intéressées de tenir compte aussi adéquatement que possible des conditions particulières aux branches d’activités ainsi qu’aux entreprises elles-mêmes. Il s’agit de dispositions minimales et il est loisible d’adopter, au sein des commissions et sous-commissions paritaires, des dispositions plus favorables dans le respect des principes qu’elle énonce. En outre, les modalités d’application qui seront définies au niveau des (sous-) commissions paritaires pourront encore être précisées et complétées au niveau des entreprises.

Peut ainsi être précisé par les partenaires sociaux le mode de nomination, à savoir désignation ou élection, avec dans cette seconde hypothèse les conditions d’électorat et d’éligibilité, les modalités du scrutin, etc.

Dans le secteur concerné (services de santé), une convention collective a été prise, qui renvoie pour l’élection ou la désignation des délégués aux conditions existant pour les délégués du personnel à l’actuel CPPT. Celle-ci organise en outre une procédure préalable au licenciement et prévoit une sanction en cas de non respect de celle-ci, étant une indemnité équivalant à un an de salaire.

L’infirmière fait cependant valoir qu’existe au sein de l’entreprise un accord tacite ou, à tout le moins, un usage quant au mode de désignation : celle-ci pouvait intervenir à l’initiative de l’organisation syndicale, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à une élection, ainsi que prévu dans la convention de secteur. Aussi, des courriers étaient-ils régulièrement échangés entre l’organisation syndicale et la direction quant aux délégués désignés, ainsi qu’aux mandats.

La Cour relève que ceux-ci ne sont pas contestés et qu’il en découle que l’organisation était libre de désigner la personne de son choix, décision dont elle informait l’établissement. Des explications sont également données quant au mode de remplacement en fin de mandat (remplacement intervenant par la même voie), ce que la Cour retient comme constituant un accord des parties sur la manière d’agir. Elle précise que, à tout le moins, ce mode de désignation présente les caractères de généralité, de fixité et de constance requis pour constituer un usage, celui-ci étant une source de droit.

Pour la Cour, c’est donc en vain que l’entreprise conteste la qualité de représentante syndicale de l’intéressée, au motif que sa désignation ne serait pas intervenue conformément aux procédures fixées dans la convention collective. L’établissement hospitalier faisant ici valoir que la hiérarchie des sources établie par l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968, selon lequel les conventions verbales et l’usage ne peuvent déroger aux conventions collectives de travail rendues obligatoires par arrêté royal (telle étant la convention collective en l’espèce), la Cour rappelle l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 5 juin 2000, J.T.T., 2000, p. 420), selon lequel la norme de rang inférieur doit être écartée lorsque deux normes ayant le même objet sont inconciliables entre elles. Deux normes ne sont cependant pas inconciliables lorsque la norme supérieure contient des dispositions minimales qui ne s’opposent pas à l’existence de normes inférieures plus favorables, telles qu’en l’occurrence. Elle précise que le caractère minimal de la norme supérieure peut découler de son interprétation.

Elle entame ensuite l’analyse de la CCT n° 5 et de la convention de secteur, soulignant que l’esprit de l’une et de l’autre est de tenir compte des conditions particulières existant au sein des institutions du secteur et que, vu l’objectif poursuivi, il ne pourrait y avoir d’obstacle mis à un accord ou un usage existant permettant l’institution d’une délégation syndicale au sein d’un établissement selon des modalités plus favorables que celles prévues par les normes de droit supérieures. Il n’y a dès lors pas incompatibilité et la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu d’écarter la règle plus favorable que la règle minimale, au motif de contrariété avec celle-ci.

Cette conclusion n’est, pour la Cour, en rien énervée par le caractère d’ordre public de la convention collective de secteur (point sur lequel l’entreprise insiste), dès lors que celle-ci ne fixe que des règles minimales.

Enfin, reste à déterminer s’il n’y a pas abus de droit, l’intéressée n’ayant, pour l’employeur, demandé à être redésignée que pour tenter d’éviter le licenciement alors qu’elle avait fait l’objet d’un avertissement. La Cour rappelle sur cette dernière question que la protection contre le licenciement dont bénéficient les délégués syndicaux a été instituée dans le but de garantir leur indépendance dans l’exercice de leur mandat et d’assurer leur entière liberté de se porter candidat à l’exercice de ces fonctions. Si une désignation ne poursuivait aucun de ces buts, elle pourrait être abusive mais la Cour conclut sur ce point qu’il appartient à l’employeur d’établir l’abus en cause, preuve qui n’est pas apportée en l’occurrence. Elle alloue dès lors l’indemnité de protection.

Intérêt de la décision

C’est non seulement pour le rappel fait du mécanisme de la hiérarchie de normes mais aussi celui de la CCT n° 5 que cet arrêt est à épingler. Il précise en outre que, si une candidature est suspectée d’abus, il appartient à celui qui se prévaut de son caractère abusif de l’établir. En l’occurrence, la Cour relève que le détournement du droit devrait s’examiner eu égard aux fondements de la protection : indépendance dans l’exercice du mandat syndical et garantie de la liberté de se porter candidat.


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