Terralaboris asbl

La protection du candidat non-élu mais élu lors des élections sociales précédentes doit-elle être limitée aux deux premières années de la législature sociale ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 21 avril 2010, R.G. 36.285/09

Mis en ligne le mardi 1er juillet 2014


Cour du travail de Liège, section Liège, 21 avril 2010, inédit, R.G. 36.285/09

TERRA LABORIS ASBL

La Cour du travail de Liège a été saisie de cette question après cassation.

Les faits

Monsieur G. a travaillé à partir du 13/3/1992 pour la S.T.I.B. dans les liens d’un contrat de travail d’ouvrier à durée indéterminée dans la fonction de conducteur de rames.

Lors des élections sociales de 1995, il a été élu représentant du personnel au conseil d’entreprise dans la catégorie des jeunes travailleurs.

Lors des élections sociales de 2000, quoique candidat, il n’a pas été élu.

Le 22/5/2002, soit un peu plus de deux ans après lesdites élections, l’employeur l’a licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 56 jours.

Par citation du 26/2/2003, monsieur G. a réclamé la condamnation de la S.T.I.B. à lui payer une indemnité de protection égale à 3 ans de rémunération ; monsieur G. estime qu’il bénéficiait, au moment du licenciement, de la protection prévue par la loi de 19/3/1991 portant un régime de licenciement particulier pour les représentants du personnel et les candidats non-élus.

Pour le cas où il serait débouté de sa demande d’indemnité de protection, monsieur G. a également introduit, à titre subsidiaire, une demande visant à faire condamner l’employeur au paiement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois pour licenciement abusif par application de l’article 63 de la loi du 3/7/1978 sur les contrats de travail.

La procédure a quo

Par jugement du 23/3/2006, le tribunal du travail de Bruxelles a débouté monsieur G. de sa demande d’indemnité de protection pour le motif que la loi du 19/3/1991 n’accorderait une protection de 4 ans au candidat non-élu qu’à l’occasion de la première candidature.

Le tribunal du travail a considéré que, n’ayant pas été élu à l’occasion d’une candidature ultérieure, monsieur G. ne pouvait bénéficier que d’une période de protection de 2 ans.

Le licenciement étant intervenu plus de deux ans après la 2e candidature, et celle-ci ayant été infructueuse, monsieur G. ne pouvait pas se prévaloir de la protection de la loi du 19/3/1991.

Le tribunal du travail a justifié sa décision par le fait que le régime de protection prévu par la loi de 1991 est exceptionnel et que les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive.

Sur l’appel de monsieur G., la Cour du travail de Bruxelles a, par arrêt du 15/10/2007, confirmé le jugement.

Toutefois, sur le pourvoi de monsieur G., la Cour de cassation a, par arrêt du 8/12/2008, cassé cette décision et renvoyé la cause devant la Cour du travail de Liège.

La position de l’employeur

Devant le Cour du travail de Liège, l’employeur expose qu’il ne peut partager la position de la Cour de cassation et, bien plus, fait valoir que, selon lui, la sécurité juridique a été mise en péril par le fait que la décision de la Cour de cassation revient à accorder à monsieur G. une protection qui n’est pas prévue par la loi du 19/3/1991.

L’employeur estime que le cas de figure révélé par l’affaire de monsieur G. ne pourrait être résolu que par une application par analogie des dispositions qui prévalaient avant l’entrée en vigueur de la loi du 19/3/1991.

A suivre l’employeur, il y aurait, dans les travaux préparatoires de la loi du 19/3/1991, des éléments qui confirmeraient la limitation de la période de protection à 2 ans ; cette limitation se justifierait aussi par l’interprétation stricte qu’il convient de donner au régime exceptionnel de protection prévu par cette loi.

La décision de la Cour du travail de Liège

La Cour du travail analyse tout d’abord l’article 2 § 1er de la loi du 19/3/1991, qui interdit le licenciement d’un délégué ou d’un candidat-délégué sauf motif grave ou motif d’ordre économique ou technique et pour autant que ceux-ci aient été préalablement reconnus au terme d’une procédure ; elle expose que cette disposition prévoit bien un principe général d’interdiction de licenciement et que, en cas de violation de ce principe, l’article 16 de la loi impose comme sanction spécifique le paiement d’une indemnité de protection tant en faveur du représentant élu (effectif comme suppléant) que du candidat non-élu.

Ensuite, la Cour observe que, sur pied de l’article 2 § 2 de la loi, la période de protection débute en principe le trentième jour précédant l’affichage de l’avis fixant la date des élections sociales et se termine un peu plus de 4 ans plus tard, à date d’installation des candidats élus lors de l’élection suivante, sauf dans le cas, prévu à l’article 2 § 3 de la loi, où « ils ont déjà été candidats et qu’ils n’ont pas été élus à l’occasion des élections précédentes ». Dans ce cas particulier, la protection commence le trentième jour précédant l’affichage de l’avis fixant la date des élections sociales et se termine 2 ans après l’affichage de l’avis fixant le résultat desdites élections.

La Cour du travail en déduit que, pour les candidats non-élus lors d’une élection ultérieure après une première candidature infructueuse lors de l’élection précédente, la période de protection doit être limitée à 2 ans et constate que rien n’est prévu expressis verbis pour les candidats non élus lors de l’élection ultérieure après une première candidature pourtant fructueuse.

La Cour en conclut que, par une interprétation stricte de l’article 2 § 3, l’on ne peut réduire à 2 ans la période de protection que dans le cas où le candidat n’a pas été élu et à la condition qu’une candidature lors de l’élection antérieure ait été, elle aussi, infructueuse ; elle ajoute que, dès lors que l’article 2 § 1er pose le principe d’une interdiction de licenciement valant tant pour les délégués que pour les candidats non-élus, l’existence d’une protection de 4 ans au profit candidat non élu mais élu à l’élection précédente ne peut pas être niée.

Par la suite, répondant en cela aux arguments de l’employeur, la Cour du travail rappelle la référence des dispositions légales et réglementaires relatives à la protection des délégués qui ont précédé la loi du 19/3/1991. Elle expose qu’il ne peut absolument plus en être fait application, même par analogie ; elle estime, contrairement à l’employeur, que les travaux préparatoires de la loi de 1991 ne comportent aucun élément de nature à plaider en faveur de l’attribution d’une période de protection réduite aux candidats non-élus après une candidature fructueuse lors de l’élection précédente.

Et la Cour du travail de Liège d’indiquer qu’elle se rallie à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (Cass., 5/3/2007, J.T.T., 2007, 258) et, en particulier, à l’arrêt rendu par la Cour suprême dans la même cause, qui énonce qu’ : « Il suit de ces dispositions que le législateur n’a pas entendu limiter […] la protection accordée à un candidat qui, ayant été élu lors des élections précédentes, échoue dans sa nouvelle candidature » (Cass. 8/12/2008, RG S.08.0047.F, http://www.juridat.be).

La Cour du travail estime que cette interprétation est absolument conforme à la ratio legis de la loi du 19/3/1991 et rappelle que la protection des délégués et des candidats a été instituée dans l’intérêt général, qu’elle est d’ordre public et qu’elle a pour but, d’une part, d’assurer l’entière liberté des travailleurs de se porter candidats aux élections sociales et, d’autre part, de permettre aux délégués du personnel d’exercer pleinement leur mission dans l’entreprise (Cass., 4/9/1995, J.T.T., 1995, 493 ; Cass. 1/12/1997, Pas., I, 518).

Il est, dès lors, logique, pour la Cour, que la protection du candidat non-élu mais élu précédemment ne soit pas réduite à 2 ans, puisque ce dernier a pu avoir été amené à défendre des positions contraires à celles de l’employeur.

Enfin, la Cour souligne que cette application des dispositions de la loi du 19/3/1991 respecte le principe d’une interprétation stricte des dispositions en matière de protection des délégués et qu’elle n’est pas en soi génératrice d’insécurité juridique.

Partant, par application de l’article 16 de la loi, elle condamne l’employeur à verser à monsieur G. une indemnité de protection égale à 3 ans de rémunération étant donné que monsieur G. avait, au moment du licenciement, une ancienneté d’un peu plus de 10 ans.

Pour autant que de besoin, la Cour précise encore que cette indemnité ne peut être cumulée avec une indemnité pour licenciement abusif et qu’il n’y a dès lors pas lieu d’examiner si le licenciement a été ou non abusif au sens de l’article 63 de la loi du 3/7/1978.

Intérêt de cette décision

La durée de la protection du candidat non-élu mais élu lors des élections précédentes a été un temps controversée, certains prétendant qu’il fallait appliquer une période de protection réduite à deux ans comme pour le candidat non-élu deux fois d’affilée.

La Cour du travail de Liège s’écarte de ce courant et se rallie logiquement à la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur ce point, à savoir l’arrêt du 5/3/2007 par lequel notre Cour suprême a jugé que : « …les termes de l’article 2, §3, alinéa 2, « lorsqu’ils ont déjà été candidats et qu’ils n’ont pas été élus à l’occasion des élections précédentes » impliquent que, si le candidat-délégué du personnel qui est élu à la suite d’une candidature ultérieure et qui bénéficie de la période de protection en résultant, bénéficie de la même protection s’il se présente aux élections suivantes sans être élu. Il ne bénéficie que de la courte période de protection s’il se présente en vain à toutes autres élections ultérieures » (Cass. 5/3/2007, J.T.T., 2007, 258 ; voy. aussi : L. ELIAERTS, « Einde van de beschermingsperiode van de kandidaat-personeelsafgevaardigde bij verschillende kandidaturen », R.W., 2007-2008, 983) ainsi que, en particulier, à l’arrêt rendu le 8/12/2008 par la Cour de cassation dans la même affaire (voy. M. PERIGNON, « La durée de la protection particulière contre le licenciement accordée au candidat délégué du personnel », Ors, 2009, n°7, 23).


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