Terralaboris asbl

Prestations médicales ne correspondant pas aux conditions d’attestabilité : conditions de récupération et règles de prescription

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 novembre 2011, R.G. 1997/AB/34.508 et 17 octobre 2012, R.G. n° 1997/AB/34.510

Mis en ligne le lundi 30 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 30 novembre 2011, R.G. 1997/AB/34.508 et 17 octobre 2012, R.G. n° 1997/AB/34.510

Terra Laboris asbl

Dans deux arrêts du 30 novembre 2011 et 17 octobre 2012, la Cour du travail de Bruxelles se penche, à l’occasion d’un très ancien litige, sur les conditions de récupération des interventions I.N.A.M.I. pour des prestations ne répondant pas aux conditions d’attestabilité. Elle examine en outre les règles de prescription applicables et la question des intérêts.

Les faits

Le Service de Contrôle administratif de l’I.N.A.M.I. signale aux organismes assureurs qu’un hôpital porte systématiquement en compte des prestations de biologie clinique demandées par un médecin interniste (prescripteur) et attestées par un chirurgien. Les faits sont anciens (1984).

Il est précisé que ces prestations sont sujettes à récupération dans les limites de la prescription légale, et ce quels que soient les numéros codes attestés, vu que les conditions d’attestabilité ne sont pas remplies.

Un recours est introduit l’année suivante par une mutuelle contre l’hôpital aux fins de s’entendre condamner à rembourser une somme, correspondant aux dépassements. L’I.N.A.M.I. est appelé en intervention (déclaration de jugement commun).

Le jugement du tribunal

Par jugement du 20 septembre 1996, le tribunal considère la demande fondée et ordonne le remboursement des montants réclamés, à majorer d’intérêts compensatoires depuis les décaissements et d’intérêts judiciaires depuis l’introduction de l’action. Le jugement est déclaré commun à l’I.N.A.M.I.

L’hôpital (en réalité, le C.P.A.S. dont il dépend) interjette appel.

Les arrêts de la cour de travail

L’arrêt du 30 novembre 2011

Dans un premier arrêt du 30 novembre 2011, la cour cerne le cœur du problème du débat comme suit : il s’agit d’examiner si l’assurance obligatoire soins de santé doit rembourser des prestations de biologie clinique et de radiologie effectuées au sein de l’Institution en cause pendant des périodes de garde pour une période qu’elle situe dans le temps. La question essentielle est de savoir si les attestations délivrées l’ont été dans le respect des conditions de contrôle devant être observées lorsqu’un médecin non spécialiste en biologie clinique ou en radiologie atteste de celles-ci. Il y a également lieu d’examiner la question de la prescription.

La cour examine dès lors les textes applicables, étant l’arrêté royal du 16 novembre 1973 (tel qu’en vigueur à l’époque). Elle constate que, précisément, est intervenue une modification légale pour les prestations de biologie clinique le 1er janvier 1983 et qu’il faut distinguer selon que la demande de restitution concerne une prestation accomplie avant ou à partir de cette date.

En tout état de cause, que ce soit avant ou après celle-ci, il est prévu dans la nomenclature des prestations de santé que les honoraires de radiologie ne sont dus que si le médecin est physiquement présent dans le service au moment où la prestation est dispensée (la présence impliquant un contrôle direct, réel et effectif) et que les médecins agréés au titre de spécialistes dans une discipline autre que la radiologie sont autorisés, pour les malades qu’ils soignent dans le cadre de leur spécialité, à porter en compte les prestations de radiologie connexes à celles-ci.

Se pose dès lors la question en l’espèce du contrôle des prestations. La cour constate que, dans le dossier de l’I.N.A.M.I., ne figurent pas d’éléments permettant de conclure à une méconnaissance des conditions de remboursement et que, si les conditions mises à celui-ci quant à l’exigence de présence de médecins sur les lieux de la prestation (ou à tout le moins pendant les phases essentielles de celles-ci) ont évolué, il résulte de l’examen du dossier que, pour les prestations de biologie clinique, la condition de présence physique n’est pas remplie quand elle devait l’être.

Par contre, pour les prestations de radiologie, la cour, examinant l’arrêté royal du 16 novembre 1973, constate que le remboursement des honoraires supposait qu’un médecin contrôle la prestation de manière directe, réelle et effective, et que, dans la mesure où cette condition d’effectivité est exigée, la présence dans le service ne peut se comprendre que comme une présence effective. N’étant pas présents dans le service de radiologie et n’exerçant aucun contrôle effectif, les médecins connexistes ne remplissaient dès lors pas les conditions et la demande de l’organisme assureur est en tout cas fondée pour l’ensemble des prestations de radiologie.

La cour considère dès lors la demande concernant les prestations de biologie clinique fondée à partir du 1er janvier 1983.

Se pose, à ce stade, la question de l’examen de la prescription, puisque, selon le texte applicable à l’époque (article 106, § 1er, 6° de la loi du 9 août 1963), la récupération des prestations octroyées indûment à charge de l’assurance maladie soins de santé se prescrit par deux ans (le point de départ étant la fin du mois au cours duquel elles ont été remboursées). Se pose, ainsi, la question de l’interruption et la cour va retenir une première lettre recommandée et, ensuite, la citation en justice.

En ce qui concerne plus particulièrement les prestations de radiologie, la cour relève que, vu le risque de prescription eu égard à la règle ci-dessus, l’organisme assureur invoque la prescription de l’action civile résultant d’une infraction et/ou la prescription applicable à l’indu qui résulte de manœuvres frauduleuses. La cour répond dès lors à ces deux arguments, faisant référence à l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, selon lequel l’action civile résultant d’une infraction ne peut être prescrite avant l’action publique. Il faut dès lors examiner le délai de prescription applicable à celle-ci et vérifier quel serait le délai applicable à l’action publique. Pour ce, le juge doit examiner si ces faits tombent sous l’application de la loi pénale et il doit relever les éléments constitutifs de l’infraction ayant un effet sur l’appréciation de la prescription. C’est l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 9 février 2009, n° S.08.0067.F).

Les dispositions invoquées par l’organisme assureur (article 57 de la loi du 14 février 1961 d’expansion économique, de progrès social et de redressement financier) ont en l’occurrence été abrogées par l’article 103 de la loi du 9 août 1963 et ne peuvent dès lors être invoquées. Ne peuvent davantage l’être – et ce point est soulevé d’office par la cour du travail – des infractions de faux et d’usage de faux, celles-ci requérant une intention frauduleuse ou un dessein de nuire, circonstances qui ne sont pas établies en l’espèce.

Enfin, en ce qui concerne les manœuvres frauduleuses (pour lesquelles le délai applicable à l’origine était le droit commun avant d’être réduit à 5 ans), celles-ci exigent des agissements malhonnêtes, réalisés malicieusement en vue de tromper l’organisme assureur pour son propre profit, pouvant consister aussi bien en acte positif qu’en abstention (la cour renvoyant à plusieurs décisions de jurisprudence, ainsi qu’à la doctrine). Les conditions requises ne sont pas davantage rencontrées ici.

En conclusion, la cour limite dès lors les sommes pouvant être réclamées, tenant compte des actes interruptifs posés et confirme le jugement. Elle invite cependant les parties à s’expliquer sur les montants.

L’arrêt du 17 octobre 2012

Dans ce second arrêt, la cour va fixer le montant de la condamnation en principal et réserver des développements intéressants en ce qui concerne la suspension du cours des intérêts.

Elle constate que les intérêts moratoires ont pu prendre cours par une lettre envoyée le 12 septembre 1984 et que les intérêts judiciaires ont débuté avec la citation du 23 avril 1985.

La partie demanderesse n’ayant cependant pas diligenté l’affaire, la suspension du cours de ceux-ci est demandée.

La cour énonce que la procédure a duré pendant 27 ans ! Elle renvoie, dès lors, à des développements qu’elle a déjà faits dans d’autres arrêts, à partir de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui contient l’exigence du délai raisonnable.

Cet article s’applique à la sécurité sociale, selon divers arrêts rendus, et la cour réexplique les effets du dépassement de ce délai raisonnable, étant qu’il faut déterminer s’il entraîne ou non une atteinte irrémédiable aux droits de la défense.

En l’espèce, après avoir constaté qu’il est abusif pour le demandeur de réclamer des intérêts judiciaires pour des périodes pendant lesquelles il est resté en défaut de faire progresser l’affaire, la cour reprend les éléments de fait et constate que, sans l’inertie coupable de l’organisme assureur, vu les éléments de l’espèce (difficultés diverses), la cause n’aurait pas pu durer plus de 5 ans. Il y a dès lors suspension des intérêts à partir d’une date se situant 5 ans après la citation.

Intérêt de la décision

Cette affaire est intéressante à plusieurs égards, étant d’abord qu’elle rappelle les conditions mises par la nomenclature pour le remboursement de prestations spécifiques (prestations de biologie clinique et de radiologie). La cour y rappelle en outre les divers fondements permettant d’appuyer les règles de prescription, ainsi que les conditions spécifiques de chacun de ceux-ci.

Enfin, elle réexpose ce qui semble être une jurisprudence bien établie et incontournable, en ce qui concerne la suspension du cours des intérêts. Le lien est fait avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dont l’article 6 est applicable à la sécurité sociale. La sanction spécifique ici appliquée est que la cour a évalué le temps raisonnable qu’aurait dû prendre l’instruction du litige, vu les diverses composantes de celui-ci, et que, ceci étant fait, elle suspend les intérêts pour la période ultérieure jusqu’au prononcé de sa décision.

L’on peut encore préciser que, dans un autre arrêt du même jour (C. trav. Bruxelles, 17 octobre 2012, R.G. 1997/AB/34.511 – disponible sur www.terralaboris.be), la cour a considéré, dans une affaire opposant la même institution à un autre organisme assureur, que, si l’on peut encore invoquer comme fondement à la demande de récupération, l’article 1382 du Code civil, celui-ci est sans incidence sur le délai de prescription applicable : qu’il s’agisse de simples négligences et en l’absence de fraude ou de manœuvre frauduleuse, l’action reste soumise au délai de prescription de l’article 106, § 1er, 6° de la loi du 9 août 1963 et non au délai quinquennal de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2 du Code civil.


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