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Bénéficiaire d’une pension de retraite de conjoint divorcé : délai de prescription pour la récupération de l’indu en cas de remariage

Commentaire de C. trav. mons, 9 septembre 2010, R.G. 2009/AM/21.800

Mis en ligne le lundi 30 juin 2014


Cour du travail de Mons, 9 septembre 2010, R.G. n° 2009/AM/21.800

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 septembre 2010, la Cour du travail de Mons confirme qu’il faut appliquer un délai de six mois de prescription en cas de récupération par l’ONP d’un indu suite au remariage (non déclaré) d’un bénéficiaire d’une pension de conjoint divorcé.

Les faits

Mme H., divorcée en 1964, remariée ultérieurement, bénéficie d’une pension de conjoint séparé, dans le cadre de son second mariage, à partir du 1er juillet 1984.

Elle divorcera de son second mari en 1991, l’ONP lui notifiant la fin de l’octroi de la retraite de conjoint séparé, à dater du 1er du mois suivant la transcription du divorce.

Fin 1992, elle introduit une demande de pension de retraite à partir du 1er août 1993, date à laquelle elle atteindrait l’âge de 60 ans.

Elle bénéficie, ainsi, d’une pension de retraite au taux isolé ainsi que d’une pension de retraite de conjoint divorcé (pour les deux mariages).

L’intéressée se remarie une troisième fois en 1995.

Le 6 mai 2002, l’ONP lui notifie une nouvelle décision par laquelle sa pension de retraite lui est maintenue mais non sa pension de retraite d’épouse divorcée, qui est suspendue. La décision administrative se fonde sur le fait qu’elle a omis de signaler son remariage en 1995 et que subsiste, ainsi, un indu de l’ordre de 10.000€.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Charleroi.

La position du tribunal du travail

Le tribunal confirme la décision de l’ONP en ce qui concerne à la fois le maintien de la pension de retraite personnelle et la suspension de la pension de retraite d’épouse divorcée. Il modifie cependant le montant de l’indu (l’ONP faisant application de la prescription quinquennale) et considère qu’il y a lieu d’appliquer une prescription de six mois.

La position des parties en appel

L’ONP interjette appel sur le délai de prescription, au motif qu’il y a eu abstention dans le chef de l’intéressée de déclarer son remariage alors qu’elle savait ou devait savoir que dans cette hypothèse elle n’avait plus droit à une pension de conjoint divorcé.

La position de la cour du travail

La cour est saisie uniquement de la question de la prescription et examine celle-ci en rappelant tout d’abord la loi du 13 juin 1966 (relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres), dont l’article 21, § 3 en vigueur au moment des faits dispose que l’action en répétition de prestations payées indûment se prescrit par six mois à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. En cas de paiement indu dont l’origine est l’octroi ou la majoration d’un avantage accordé par un pays étranger ou d’un avantage dans un autre régime que celui visé au § 1er, l’action en répétition se prescrit par six mois, ce délai commençant à courir à la date de la décision octroyant ou majorant les avantages précités. Le délai est porté à cinq ans en cas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes. La disposition assimile à cette hypothèse celle où les sommes ont été payées indûment par suite de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

La question litigieuse est de savoir si l’intéressée a omis de faire une déclaration prescrite par un texte réglementaire ou résultant d’en engagement souscrit. Il n’y a, en effet, pas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes.

La cour relève que la règle est la prescription de six mois et l’exception celle de cinq ans. Il importe, en conséquence, à l’ONP, qui invoque l’exception en cause, d’établir que les conditions en sont remplies.

Pour la cour, pour qu’il y ait abstention de production d’une déclaration (impliquant des effets sur le délai de prescription), il faut la preuve de la connaissance par la personne qui bénéficie de la prestation qu’elle ne remplit plus les conditions d’octroi de celle-ci (la cour souligne). Il s’agit de la combinaison des règles des articles 21 de la loi du 13 juillet 1966 et 2, alinéa 1er de l’arrêté royal du 31 mai 1933. L’ONP devrait dès lors établir que l’intéressée savait qu’elle n’était plus en droit de bénéficier de la prestation.

Le contrôle judiciaire porte, dès lors, en fonction des circonstances de la cause, sur la question de cette connaissance dans le chef de la personne concernée. La cour rappelle que l’ignorance de la loi ne peut suffire pour établir cette connaissance et rappelle que depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, R.G. S.04.072.F), l’adage « nul n’est sensé ignorer la loi » ne peut plus être appliqué tel quel sans examen spécifique des circonstances propres à la cause.

Dans le cas d’espèce, la cour constate que l’omission de déclaration reprochée ne repose ni sur une obligation légale ni encore sur un engagement individuel qui aurait été pris par l’intéressée. Lorsque celle-ci a bénéficié de la pension de conjoint divorcé, ceci a été l’application de l’article 75 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, qui définit les conditions d’octroi de la pension mais n’impose pas une déclaration en cas de remariage après cet octroi. Cet article ne peut dès lors fonder la base d’une obligation légale.

Par ailleurs, il n’y a pas davantage d’engagement individuel, ni eu égard aux termes du formulaire de demande de pension ni encore à ceux de la décision d’octroi, qui précise uniquement l’obligation d’informer de l’octroi d’une pension à charge d’un autre régime belge ou étranger à l’exception de droits qui pourraient exister dans celui des travailleurs indépendants. Il n’existe, comme le relève la cour, avec l’avocat général d’ailleurs, aucune obligation d’informer de la modification de l’état civil.

L’on ne peut dès lors considérer que c’est la prescription quinquennale qui doit être appliquée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle très judicieusement les conditions dans lesquelles l’absence de déclaration peut être prise en compte en cas de pension perçue indûment. Dans ce régime, sont assimilées aux manœuvres frauduleuses ou aux déclarations sciemment incomplètes ou inexactes, l’absence de déclarations faites dans d’autres hypothèses, mais ces cas ne visent que l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par la loi ou un autre texte réglementaire ou une telle déclaration résultant d’un engagement pris par l’assuré social antérieurement. Les documents émanant de l’ONP ne comportent aucune obligation en ce qui concerne les modifications de l’état civil, comme le rappelle à juste titre la cour du travail.


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