Terralaboris asbl

Assurance de groupe et égalité hommes-femmes

Commentaire de Cass., 16 septembre 2013, n° C.12.0032.F

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour de cassation, 16 septembre 2013, n° C.12.0032.F

Terra Laboris asbl

L’application dans le temps de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes à un contrat d’assurance-groupe qui, lors de l’entrée en vigueur de cette loi, était résilié dans les relations entre l’employeur et l’assureur mais qui imposait toujours des obligations à ce dernier à l’égard du travailleur.

Les faits de la cause

Mme K. est employée depuis le 14 mars 1983 par la société Phoenix Worx dont la s.a. Arcelor Mittal Belgium a repris les droits et obligations.

Son employeur avait, le 1er juillet 1975, souscrit une assurance-groupe « invalidité » auprès d’un assureur devenu la s.a. Allianz Belgium.

Mme K. a été victime d’un accident du travail en 1991. Elle a perçu des indemnités en vertu du contrat d’assurance de groupe.

Ce contrat a été résolu par l’employeur en novembre 1994.

Mme K., dont le contrat avait pris fin le 31 décembre 2006 suite à sa mise en prépension, a bénéficié d’une rente annuelle de l’assureur jusqu’au 31 juillet 2010, date à laquelle elle a atteint l’âge de 60 ans. La police d’assurance de groupe prévoit en effet que les prestations sont payables au plus tard jusqu’au mois du 60e anniversaire d’un assuré féminin ou jusqu’au mois du 65e anniversaire d’un assuré masculin.

Dès 2008, Mme K. a invoqué le caractère discriminatoire de cette disposition en citant l’assureur devant le tribunal de première instance de Liège aux fins de se voir reconnaître le droit au paiement des indemnités jusqu’à son 65e anniversaire. Elle a également cité son ex-employeur en vue de le voir condamner in solidum au paiement de ses indemnités. Cet aspect du litige ne sera pas développé.

Le premier juge, par jugement du 27 octobre 2009, a décidé que la clause litigieuse emportait une discrimination contraire au principe européen d’égalité de traitement entre hommes et femmes qui, dès avant 1994, était bien établi et dit pour droit que le bénéfice du contrat devait être acquis à Mme K. jusqu’à l’âge légal de la retraite.

L’assureur ayant interjeté appel de cette décision, la cour d’appel l’a confirmée.

Elle a fondé sa décision sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes, relevant : que cette loi s’applique dans le domaine dans lequel rentre le contrat litigieux à savoir les régimes complémentaires de sécurité sociale ; que son article 12 prévoit, en ce qui concerne ces régimes, qu’une distinction directe fondée sur le sexe constitue une discrimination directe ; que le paragraphe 2 de cette disposition prévoit certes qu’une distinction fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination pourvu que cela ne se traduise pas par une discrimination fondée sur le sexe ; qu’en l’espèce il y a bien discrimination fondée sur le sexe.

Quant à l’application dans le temps de cette loi, elle rappelle qu’une loi d’ordre public s’applique au contrat en cours, à tout le moins pour ses effets futurs. Dans les relations entre l’assureur et la travailleuse, ce contrat portait toujours ses effets lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, l’assureur ayant d’ailleurs continué à effectuer les versements jusqu’en juillet 2010.

La cour d’appel conclut que la disposition critiquée de la police est nulle, d’une nullité absolue, le principe de non-discrimination, d’ordre public, étant un droit fondamental qui touche à l’organisation de la société. La nullité a pour conséquence l’alignement sur la catégorie de personnes favorisées, celle des travailleurs masculins.

Elle décide qu’il est sans incidence que le contrat ait été résilié en novembre 1994 en sorte que l’assureur n’a pu modifier les primes à payer alors qu’elles n’avaient pas été évaluées sur la base de la loi nouvelle. Ce problème est en effet étranger à la travailleuse qui est la bénéficiaire du contrat et non l’employeur preneur d’assurance.

La requête en cassation

Le premier moyen de cassation, le seul qui concerne les relations entre l’assureur et la dame K., est pris de la violation des dispositions qui régissent l’application dans le temps des lois nouvelles en matière de conventions (2, 6, 1131, 1133, 1134, alinéa 1er du Code civil et le principe général du droit relatif à la non-rétroactivité des lois et arrêtés).

L’assureur invoque qu’en matière de conventions, la loi ancienne reste en règle applicable sauf si la loi nouvelle est d’ordre public ou impérative et que, dans ce cas, elle s’applique aux effets futurs des contrats en cours mais non aux effets futurs de droits irrévocablement fixés sous l’empire de la loi ancienne. Or la loi nouvelle est entrée en vigueur le 9 juin 2007 alors que les droits contractuels avaient été fixés en 1991 lors de l’accident de travail en vertu d’un contrat conclu en 1975 et résolu en 1994. L’application de la loi nouvelle porterait dès lors atteinte à des droits irrévocablement fixés.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette le moyen de l’assureur.

Après avoir rappelé les constatations de l’arrêt, elle retient que « le droit aux indemnités d’incapacité de travail, stipulé par l’assureur au profit de la (dame K.), constitue un effet du contrat d’assurance de groupe, qui s’est prolongé sous l’empire de la loi du 10 mai 2007 malgré la résiliation de ce contrat en 1994. En appliquant à ce droit les dispositions de cette loi, qui sont d’ordre public, l’arrêt ne viole pas les dispositions légales et ne méconnaît pas le principe général du droit invoqués au moyen ».

L’intérêt de la décision

La souscription par l’employeur d’une police d’assurance-groupe pour le compte de son personnel s’analyse comme une stipulation pour autrui. Le travailleur trouve dans ce contrat un droit direct à l’exécution du bénéfice de la stipulation.

Cette stipulation a certes en principe ses limites dans le contrat principal entre le stipulant et le promettant. Mais ces limites ne peuvent violer les dispositions d’ordre public, telles celles qui imposent l’égalité de traitement entre hommes et femmes.

L’assurance-groupe est une « opération à trois » dans le cadre de laquelle les droits du travailleur à l’égard de l’assureur peuvent persister alors même que le contrat principal entre l’employeur et l’assureur a pris fin. L’intérêt de l’arrêt est de souligner que tant que le travailleur trouve dans le contrat le droit aux indemnités d’incapacité de travail, ce droit constitue un effet du contrat d’assurance qui se prolonge nonobstant sa résiliation.

On observera que le premier juge avait adopté une autre voie pour aboutir à la même solution, étant la consécration du droit de la dame K. au paiement de la rente jusqu’à 65 ans. Il avait en effet retenu que, dès avant sa résiliation, la stipulation contestée du contrat d’assurance-groupe était contraire au principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes.

C’est effectivement dès 1968 et plus particulièrement entre 1990 et 1994 que la Cour de Justice a dégagé les règles essentielles relatives à l’égalité de traitement entre hommes et femmes, notamment dans les contrats d’assurance-groupe, consacrées par l’article 119 du Traité CE (devenu 141 TCE puis 157 TFUE) (cf. not. l’arrêt Bilka du 13 mai 1968, C-170/84 ; Barber du
17 mai 1990, C-262/88 ; van den Akker du 28 septembre 1994, C-28/93 et Coloroll Pensions Trustees Ltd c/ Russel et ô du 28 septembre 1994, C-200/91).


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